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Guerre d’Algérie : un colloque inopportun à Nîmes

Publié le 11 mars 2012 par Frontere

« Soixante soixante-deux » (Paroles : Claude Moine - Musique : Pierre Papadiamandis, 1987)

Les faits : ce week-end a lieu à Nîmes, auditorium du Conseil général (voir ci-dessous), un colloque consacré à "l'histoire de la fédération de France du F.L.N. (Front de Libération Nationale) 1954-1962". Le coordonnateur de ce colloque est M. Bernard Deschamps, ancien député communiste (1978-1981, deuxième circonscription du Gard, et 1986-1988, élu à la proportionnelle), président d'honneur de l'association France - El Djazaïr ou France - Algérie.

Les circonstances : à travers ce colloque, il ne s'agit pas pour les organisateurs (un collectif de neuf associations) de commémorer l'anniversaire des accords d'Évian du 18 mars 1962, ils ont marqué la fin de la guerre d'Algérie¹, mais, je cite : de "faire mieux connaître au grand public la présence et l'action en France, pendant la guerre d'Algérie, de l'organisation clandestine du F.L.N. algérien".

Mon positionnement (≠ position) par rapport au sujet : je suis né à Béziers, à 15 kilomètres de la Méditerranée, sur la rive opposée des côtes algériennes, pendant le week-end de la Toussaint rouge (l'insurrection du 1er novembre est généralement considéré comme le début de la guerre d'Algérie), mon père descend de l'une de ces familles dont parle Jules Roy (1907-2000) dans sa saga Les chevaux du soleil (1967-1972) et auxquelles il a rendu hommage lors de sa visite au cimetière de Sidi Moussa en 1995 à Alger :

« Enfin apparut une masse de granit gris, "famille Paris", puis, près de l'ancienne porte où s'amoncelaient grilles et carcasses enchaînées entre elles et cadenassées, d'autres tumulus moins sombres, de solides monuments de taille supérieure au nôtre. Je déposai là une première  gerbe de roses, poussai l'autre, au nom de mon ami Jean Pélégri, sur le marbre des siens, en mémoire des colons de la plaine [de la Mitidja je suppose], des Ronda, des Orfila, des Schembri et des Picinbono, des Manint et des Sposito, des Bertaut, des Paris de l'Arba et des Paris de Rovigo, où je ne pouvais pas aller, de tous ceux que j'ai cités, décrits et célébrés dans ma saga Les Chevaux du soleil

La problématique et les points qui posent problème :

→ Bernard Deschamps présente cette manifestation comme une rencontre entre historiens, universitaires, chercheurs, auteurs, ayant pour objet de relater de manière impartiale l'histoire du F.L.N. en France. L'absence d'invitation aux associations de rapatriés dans une ville, une région, où ils constituent une importante communauté, à une semaine à peine du cinquantième anniversaire des accords d'Évian, pose néanmoins problème : il est vrai que l'intitulé du colloque semble avoir été choisi pour écarter toute possibilité de contradiction. Quid du pluralisme? De l'échange républicain? De la confrontation des idées?

Élu député sous l'étiquette communiste en 1978, du temps où le secrétaire général du parti était Georges Marchais (1920-1997), M. Deschamps ne chercherait-il pas à commémorer dans le confort de l'entre-soi les noces d'or du nationalisme algérien radical et du communisme stalinien?

→ Pourquoi M. le Préfet du Gard n'a-t-il pas interdit ce colloque comme le demandait le député de la circonscription, M. Yvan Lachaud (Nouveau centre) ? Vraisemblablement au nom du principe constitutionnel de la liberté d'expression. De plus, en dépit d'une manifestation d'opposants (élus de droite, rapatriés, harkis, anciens parachutistes), l'allégation de risques de trouble à l'ordre public était difficile à invoquer.

→ Pourquoi le logo du ministère de la Culture a-t-il été utilisé alors que l'État ne subventionne pas cette manifestation? La réponse vaut son pesant d'or. M. Deschamps explique en substance qu'il a indiqué au ministère, en l'occurrence à la D.R.A.C. (Direction régionale des affaires culturelles), que l'absence de réponse de l'État vaudrait approbation tacite à la demande de subvention et droit y afférent d'utiliser le logo du ministère!

→ L'attribution d'une salle par le Conseil général signifie-t-elle que l'institution départementale accorde son soutien au colloque comme des milieux proches de l'extrême droite l'ont annoncé? Nullement. M. Damien Alary, Président du Conseil général du Gard (majorité de gauche) a été on ne peut plus clair, je cite (cf. « Objectif Gard » du 23 février 2012) :

« L'institution départementale ne participe pas financièrement à cette manifestation et n'assistera pas aux débats. Le droit de réunion et d'opinion est une règle républicaine. C'est d'ailleurs au nom de ce principe que le Conseil général loue à l'association France - El Djazaïr l'auditorium comme il le fait pour d'autres associations »

→ Existe-t-il des arrière-pensées électorales sous-jacentes à cette réunion? Il est permis de le penser. Pour l'aile la plus radicale du P.C. gardois proche de l'extrême gauche, il s'agit de s'assurer le leadership sur l'appareil local globalement favorable à l'unité de la gauche, de gêner par la même occasion le P.S. nîmois, très frileux sur ce sujet, au risque de blesser des consciences et de promouvoir nolens volens le candidat du F.N. dans la deuxième circonscription du Gard, l'avocat Gilbert Collard, qui a pris l'initiative - l'occasion était trop belle - d'une réunion publique dans un café de la ville.

Dans ces conditions, et pour les raisons que je viens de développer, oui, ce colloque était particulièrement inopportun à Nîmes ce week-end, comme l'aurait été, j'imagine, un colloque consacré à Alger à l'action et à l'histoire des "soldats perdus" de l'O.A.S. Mais là je pense que les autorités algériennes l'eussent interdit...

Et alors que je viens de lire l'intégralité des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, je fais le constat que ce week-end à Nîmes certains vont bafouer la mémoire et profaner - même si c'est de manière symbolique - les tombes des Français d'Algérie. On les appelait les "Pieds-noirs".

→ J'ai publié cet article légèrement modifié sur le site AgoraVox, il a entraîné une quinzaine de réactions

Notes

¹ Cette date est contestée par de nombreux historiens, par beaucoup d'associations de rapatriés et par celles et ceux qui étaient en Algérie à l'époque, ils estiment que les massacres commis par le F.L.N. après cette date ne peuvent permettre de la retenir en tant que date de fin de la guerre ; pour être tout à fait juste notons que l'O.A.S. (Organisation armée secrète) a également commis des attentats et des meurtres après les accords d'Évian à travers ce que l'on a appelé "la politique de la terre brûlée"
² cf. Le Monde, édition du 10 juin 1995


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