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Flagrant Delhi, danse contemporaine ?

Publié le 09 mars 2008 par Bal2tasar
J'avais laissé tombé l'idée d'écrire sur ce spectacle, pour toutes sortes de raisons. Les deux principales étant que je ne suis guère publiciste dans l'âme et - secondement - que j'étais sorti de la salle dans un état difficile à décrire.
Et puis, jeudi soir, alors que joyeusement je m'alcoolisais au vernissage d' Alain Huck à l'annexe de vice-versa, voilà que - presque sans faire exprès - j'engage la discussion avec un des employés du théâtre de l'arsenic. L'enthousiasme éthylique aidant, c'est tout juste si je ne lui saute pas au cou lorsqu'il me cite son employeur:

- l'Arsenic ! J'y suis allé samedi dernier, ce spectacle est extraordinaire! Nous étions cinq à ne rien connaître de la danse contemporaine, et nous sommes sortis bouleversés, nourris, inspirés, prêts à réinventer l'art dans une chope de blonde !

Il était bien heureux, dit-il, de m'entendre. Car il avait eu tant de mauvais échos, de mauvaise presse même au sujet de ce spectacle, que c'en était affligeant. A vrai dire, cela ne me surprenait qu'à moitié. Tout ignare que je suis, je pressentais bien que des puristes ou des amateurs avertis se sentiraient malmenés par un tel spectacle. N'étant ni l'un ni l'autre, j'avais pu, moi, en goûter impunément l'impertinence.

Ce matin, par curiosité, j'ai donc tapé Flagrant Delhi , titre de cette oeuvre iconoclaste.

Je suis d'abord tombé sur une note de blog rappelant que l'affiche s'était faite censurer. Bon début, j'avais oublié ce détail. Je suis ensuite tombé sur une critique effectivement exécrable parue dans Le Temps , et c'est à peu près tout. Voilà qui était effectivement un peu misérable pour un travail comme celui-ci.

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Voici donc, modestement, les impressions d'un quidam une semaine après avoir vu le dernier spectacle de Jean-Marc Heim, Flagrant Delhi.

Ça commence avec une impression étrange: la salle est si vaste que les danseurs semblent n'avoir pas de loge. Ils attendent donc, nous regardant nous asseoir, nous faisant face, nous fixant. Jusqu'à cette seconde où l'on en vient à se demander qui est le spectateur de qui ? Et cette phrase, dite d'une bouche de marquise:

- Nous risquons de subir quelques bouleversements dans nos perspectives...

Allusion sous-jacente à l'expérience indienne de la troupe qui séjourna plus d'un mois sur le continent aux mille dieux pour n'y rien trouver, rien d'autre du moins qu'une expérience d'aliénation.L'aliénation est sans doute un sentiment qui met en exergue de la manière la plus éclatante notre fragilité. Et c'est de cela dont il va être question.

Les tableaux s'avancent donc, mouvant les corps, bien sûr, et les voix surtout. Jean-Marc Heim joue sur les limites: pousser l'humour jusqu'à l'absurde, l'absurde jusqu'au cri et le cri trop longtemps. A l'instant où je ressens la fatigue des bêlements (car oui, ils bêlent, et si l'image peut sembler facile elle n'en perd rien de sa pertinence et donc de sa nécessité), je ressens aussi combien les artistes aussi se fatiguent. La fatigue est irréductible à leur travail: ils savent qu'il doivent bêler jusqu'à n'en plus pouvoir et après encore un peu et ensuite s'arrêter, dès que la limite de l'outrance est franchie. Quelque truculente tirade plus loin, alors qu'une sage marquise finit par s'emporter, et c'est la sauvagerie qui affleure, qui d'abord se cache derrière des calicots blancs, puis noir, qui s'assume dans une course au ralenti où la lutte n'est pas sans rappeler certain travail de Bill Viola, et finit par s'imposer dans une bagarre abusrde, elle aussi trop longue. On s'étripe sans raison, comme dans la vie. Et puis c'est fini.

Les acteurs/danseurs viennent saluer. On applaudit, mais il y a, comment dire ?, une sorte de malaise. C'est nul que ça finisse comme ça, il y avait eut des moments drôles, des choses même touchantes, des moments forts et d'autres moins bons, mais c'est cruellement réaliste de terminer sur une étripade insensée. Les gens sont comme ça, on le sait, on n'a pas forcément envie qu'on nous le rappelle avec autant d'insistance. Mais visiblement, les danseurs non plus n'ont pas trop envie que ça se termine. Les salutations s'éternisent, c'en est parfois burlesque. Ils finissent par s'en aller mais il en reste une qui admet ce que tout le monde pense:

"non, on ne peut pas s'en aller comme ça..." et elle goûte le silence du public qui attend, encore un peu sonné.

Alors ils reviennent, déguisés en moutons virginaux. C'est amusant mais c'est moins fort. Ils théorisent la transgression, donnant ainsi, après coup, les clés de la première partie. Puis vient le tableau final, vraiment final, sans doute le meilleur. Les artistes ont passé plus d'une heure à explorer leur fragilité, leurs limites, à les montrer difficilement, à se demander s'ils allaient oser. Maintenant, alignés comme des moutons (!) ils chantent une piètre chanson: "viens je t'emmène sur l'océan..." La fatigue trouble leur voix et fragilise l'accord. C'est déjà une mise à nu. Puis, en reculant, ils se défont de leurs déguisements, sans cesser de chanter, lentement. La mise à nu réelle, vers toujours plus d'obscurité paradoxalement. Ne reste que la trace de leur passage bien ordonné, par ces habits au sol, en lignes parallèles. C'est visuellement très fort, très plastique. Les danseurs s'étant ainsi dépouillés (mais peut-être est-ce l'ultime artifice ?), on a plus envie de leur demander quoi que ce soit. On a juste envie de silence, d'une bière et d'une cigarette pour digérer tout cela.

Après la séance, les danseurs les danseurs m'ont avoué que cette représentation (la troisième) était la première où la relation avec le public s'était vraiment établie. Cela explique peut-être l'amertume du critique du Temps. C'est assez facile à comprendre: ils travaillent sur la monstration de la fragilité, du déséquilibre. Ils utilisent l'humour, arme interdite si l'on veut faire de l'art sérieux ! Tout cela fait que les répétitions sans spectateurs ne permettaient en aucun cas se préparer à emmener un public avec soi.

Maintenant ça fonctionne, du moins ai-je trouvé. D'autres dates sont prévues en Suisse si vous ne pouvez pas aller à Lausanne ce soir. Et avis au Parisiens, voilà un spectacle qu'il vous faudrait acceuillir.

Certains d'entre vous l'ont-ils vu ? Qu'en avez vous pensé ?


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