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Le parti socialiste et la demande d’ordre des catégories populaires : le grand malentendu

Publié le 13 mars 2012 par Delits

Que les catégories populaires soient les catégories les plus en demande d’ordre, voilà un constat qui n’est ni neuf, ni polémique. Jérôme Fourquet et Gilles Finchelstein ont tous deux dressé très récemment des radiographies complètes de cette France populaire, en quête de sécurité (de « sécurisation », écrivait J. Fourquet) et d’ordre. Quand les cadres supérieurs font de l’ordre le cadet de leurs soucis, loin derrière la tolérance, la solidarité et même l’innovation, les ouvriers et les employés la rangent au premier rang de leurs préoccupations (Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès).

Face à cette demande d’ordre criante, la gauche, et très précisément le Parti Socialiste, a toujours pris ses distances. Obstinément attaché « au corpus libertaire des années 60 et 70″ (( Laurent Baumel et François kalfon, l’équation gagnante, 2011 )) le Parti Socialiste a développé un discours centré sur la libéralisation des mœurs, l’attention à l’épanouissement individuelle, en évacuant largement les questions relatives à l’ordre et la sécurité, entendu comme répression et contrainte.

Une grille de lecture se dégage aisément de ces deux constats : le PS a privilégié l’horizontalité (d’individu à individu, de communauté à communauté) , là où les catégories populaires réclament une certaine verticalité : une autorité en surplomb qui fixe des normes fortes, un cadre, un ordre. Si l’on excepte la courte incursion de Ségolène Royal sur ce terrain en 2007, avec un Ordre Juste beaucoup trop sous-estimé dans sa valeur politique, le Parti Socialiste de 2012 n’a rien de très différent du PS de 2002 -celui-là même qui avait pêché par « naïveté » en matière de sécurité.

Le Parti Socialiste ne peut remporter l’élection s’il n’intègre pas à son corps doctrinal cette approche verticale. L’ordre public est l’un des facteurs de l’Equation gagnante.

Il est pourtant plusieurs verrous à la libération de cet « ordre » de gauche. Le premier est idéologique. C’est une bataille de la pensée, qui consiste à admettre que  face aux désordres de l’économie il est un espace pour un ordre politique, créateur de répère et de bien-être individuel. Cet ordre-là peut être socialiste : « La demande d’ordre dans la sphère public n’est nullement incompatible avec la demande de liberté dans la sphère privée », bien au contraire. C’est le chemin pris par Arnaud Montebourg, et dans un autre registre, par Jean-Luc Mélenchon.

L’autre verrou, et c’est celui qui nous intéresse ici, est un verrou analytique. Toute une frange d’observateurs politiques et de politologues ne voit pas cette « France de l’Ordre », et a fortiori ne la comprend pas,  parce que cette France de l’Ordre est ramenée sans distinction à la « France fermée ». Deux clivages sont gaiement superposés, au risque de la caricature.

- La France ouverte (tolérante, généreuse, éduquée) est ipso facto « horizontale », préoccupée de libéralisation des mœurs et d’épanouissement individuel ;

- La France de l’ordre, verticale, est elle mécaniquement « fermée » (repliée sur elle-même, passablement xénophobe, culturellement frustre).

C’est mêler deux grilles de lecture complémentaires mais distinctes ; le clivage ouvert/fermé qualifie le rapport à l’autre, à l’inconnu, là où le clivage horizontal/vertical qualifiera plutôt le rapport à la transcendance politique, à la hiérarchie. Les deux ne vont pas de pair. Le conservatisme culturel n’est pas consubstantielle à la demande d’ordre. Tout au plus peut-on supposer que parfois, le premier sert de prétexte à la seconde. Comme l’écrit Jérôme Fourquet : « entendre la demande de protection des milieux populaires comme une revendication de l’idéologie du protectionnisme et du repli sur soi relève de la confusion intellectuelle », de même que « l’assimilation entre demande de sécurisation et idéologie sécuritaire ». 

Symptôme de cette confusion des esprits, le rapport de Terra Nova « Quelle majorité électorale pour 2012 ». Les auteurs n’ont pas hésité à assimiler dans un même mouvement classe ouvrière et pensée réactionnaire.

« Liberté sexuelle, contraception et avortement, remise en cause de la famille traditionnelle… : la classe ouvrière n’est pas une fervente partisane de la libération des moeurs à laquelle s’est ralliée la gauche politique. 

Un peu plus loin, la demande d’ordre de la « classe ouvrière » est aussitôt réduite à une demande d’ordre moral, et de protection contre l’étranger.

« le déclin de la classe ouvrière – la montée du chômage, la précarisation, la fragmentation sociale et la perte d’identité collective – donne lieu à des réactions de repli. La fierté ouvrière laisse place au développement d’un ressentiment contre de possibles nouveaux entrants. La lutte contre l’immigration – et les immigrés -, la lutte contre l’assistanat – et les assistés –, la promotion d’une société « morale », dotée de normes fortes, où l’on se protège des marges, ont alors trouvé dans la classe ouvrière un terrain de jeu favorable. »

C’est ainsi que l’on  occulte la demande d’ordre : en l’assimilant à la frustration et au rejet de l’autre.

Sans aller jusque là, de nombreux politologues ont inventé un champ lexical dont l’effet d’occultation est identique. « Exclus », « dominés », « silencieux » : ces appellations là (dans lesquelles ne se reconnaitraient pas volontiers les premiers intéressés) dessine une France in et une France out. La France installée et la France enfermée dehors. Ce champ lexical-là est tout aussi impuissant à rendre compte des aspirations des catégories populaires, parce qu’il les expulse. La demande d’ordre qu’ils expriment est regardée comme étrangère à la démocratie installée.

Le Parti Socialiste  a tout intérêt à sortir de cette confusion : il en est la première victime. Pascal Perrineau nous le déclarait lors du deuxième Zinc de Délits d’Opinion : « le vainqueur de l’élection présidentielle sera celui qui sera parvenu à satisfaire la demande d’ordre des catégories les plus populaires ».


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