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DEUX AMIS, d'après Maupassant

Publié le 16 mars 2012 par Dubruel


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Monsieur Sauvage, mercier

Et monsieur Morissot, horloger

Se serrèrent la main énergiquement.

-Et quel temps !

-C’est le premier beau jour du printemps

-Allons pêcher comme autrefois.

Ils allèrent prendre leurs instruments.

-Je connais le colonel Dufoix,

Il nous donnera des laissez-passer.

Les avant-postes traversés,

Les pêcheurs s’installaient, pieds ballants

Au-dessus du courant.

-Quelle douceur !

-Je ne connais rien de meilleur.

Sauvage prit le premier goujon.

Morissot attrapa le second.

-À Orgemont, y a les Prussiens.

-Y en a partout des Prussiens.

L’inquiétude paralysa les deux amis.

-Ils sont autour de Paris,

Tout puissants

Depuis des mois pillant,

Massacrant,

Affamant.

Pris de terreur superstitieuse,

De haine pour cette armée victorieuse,

Sauvage colla sa joue au sol pour écouter

Si on ne marchait pas à proximité.

-Non, nous sommes seuls,

Bien seuls.

Rassurés, en toute sérénité,

Ils se remirent à pêcher.

Ils n’écoutaient plus rien.

Ils ne pensaient plus à rien.

Ils pêchaient.

Soudain du côté du Mont-Valérien

Le canon tonna.

-Faut-il être idiot pour se tuer comme ça

-C’est pis que des bêtes.

Morissot venait de saisir une ablette.

-Dire que ce s’ra toujours ainsi tant

Qu’il y aura des gouvernements.

-Avec les rois, on avait les guerres dehors.

Avec la République, on a la guerre dedans.

-Je suis d’accord.

Sauvage regardait

Son bouchon plongeant.

Il tira un vairon argenté.

Une nouvelle détonation gronda.

Il grommela :

-C’est la vie.

-Dis plutôt

Que c’est la mort, reprit

Morissot.

Soudain ils sentirent

Qu’on venait de marcher derrière eux.

Effarés, ils tressaillirent.

Ayant tourné les yeux,

Ils virent

Quatre soldats Prussiens debout

Les tenant en joue.

En deux secondes, ils furent saisis,

Attachés, emportés, conduits

À l’officier du détachement

Qui leur demanda en un français excellent :

-Avez-vous, messieurs, fait bonne pêche ?

Alors qu’un des soldats se dépêche

De déposer le filet plein de poissons

Aux pieds de son officier,

Ce dernier

Dit : -Pour moi, vous êtes deux espions

Envoyés pour nous guetter.

Vous faisiez semblant de pêcher

Afin de mieux dissimuler vos projets.

Les soldats épaulèrent, tirèrent.

Les pêcheurs s’écroulèrent.

Ils eurent de grosses pierres attachées au cou

Et furent balancés dans la Seine, d’un coup.

L’officier reprit sans manière :

-Maintenant, c’est le tour des poissons.

Il ramassa le filet aux goujons,

Appela la cantinière :

-Fais-nous frire cela immédiatement ;

Ce sera excellent.

Quentin KIDAM-SIMET

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Dieu me garde de mes amis. Mes ennemis, je m’en charge.

Cromwell

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