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Inévitable protectionnisme, Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Adrien de Tricornot

Publié le 18 mars 2012 par Edgar @edgarpoe

ip.jpg Un livre intéressant, écrit avec un - peut-être trop - grand souci de caresser l'opinion médiatique dans le sens du poil.

Les trois auteurs, journalistes au Monde, à l'Expansion et à l'Express ont bien conscience d'enfreindre la ligne jaune. Il est bien dommage qu'ils ne se risquent pas à penser plus hardiment, au risque de passer pour des défenseurs d'une nouvelle doxa.

Une première partie retrace l'échec du libre-échange. C'est probablement la meilleure.

Il est rappelé que le libre-échange a echoué sur plusieurs points et plusieurs clichés du moment sont dénoncés comme tels.

Le nouveau miracle allemand n'est pas dû à un positionnement particulièrement intelligent, mais à une stratégie de réduction des salaires réels, qui fait que l'Allemagne accumule des excédents sur ses partenaires européens mais est déficitaire notamment avec la Chine.

Les résultats chinois sont eux aussi largement imputables à une stratégie de sous-évaluation du yuan de grande ampleur (on note cependant que sur ce point les auteurs devraient constater que la Chine a ce faisant mis en place, en réalité, un véritable protectionnisme monétaire).

Les auteurs montrent aussi que le libre-échange ne réussit pas à provoquer une convergence mondials des salaires. L'exemple du marché unique nord américain, l'ALENA, montre que les salaires stagnent au Mexique comme aux Etats-Unis. De fait, la situation des classes moyennes a cessé de s'améliorer dans les pays développés. L'avenir est même inquiétant. Certains avaient en effet imaginé que les pays développés pourraient se spécialiser dans les travaux de conception, pendant que les pays en développement assureraient la fabrication. Cette vision vaguement colonialiste fait fi des stratégies volontaristes des pays en développement, qui consentent des efforts de R&D destinés à les placer eux aussi en position de concevoir.

Toute cette partie est très riche en références récentes et pertinentes.

La deuxième partie invite ensuite à revenir sur le combat intellectuel entre protectionnisme et libre-échange. Il s'agit de montrer comment ces thèmes ont été défendus depuis le XIXème, chacun par la droite ou par la gauche selon les pays et les dates. Il est fait usage notamment du livre de David Todd, L'identité économique de la France, qui a l'air très riche.

Cette partie se termine par le cadrage d'un protectionnisme qui serait acceptable aujourd'hui.

Là est le défaut énorme du livre. On lit en effet que le «bon» protectionnisme est européen, forcément européen, quasiment sous peine de dérive fasciste : "Quand on ethnicise la notion de citoyenneté dans un pays, lorsqu'on défend l'idée d'une sorte d'appartheid de la protection sociale [...] alors l'idée d'un protectionnisme national [...] vient naturellement à l'esprit des démagogues".

Contrairement au reste de l'ouvrage, la volonté de précision et de didactisme s'efface, au profit de la pétition de principe la plus grossière. Après deux ou trois petit paragraphes destinés à invalider un protectionnisme national, l'auteur du chapitre s'attribue un brevet de vertu morale à peu de frais : "Avis aux vendeurs d'illusion et autres penseurs de comptoir : aujourd'hui, seul le cadre européen est adapté pour préserver les intérêts commerciaux de la France. Le véritable protectionnsime vertueux..."

Il s'agit donc de remplacer la doxa à la Alain Minc par une autre, tout aussi méprisante et, disons-le, méprisable. 

Du coup, la troisième partie, qui envisage les modalités d'un protectionnisme efficace, tombe un peu à plat - on voit mal ce qui convertirait l'Allemagne ou le Royaume-Uni à un protectionnisme fût-il intelligent. Et, de fait cette partie est assez confuse.

Plusieurs types de protection sont en effet envisagés :

1. Une taxe de type taxe carbone, frappant les biens en fonction du taux de CO2 moyen du pays exportateur.

2. Une taxe assise sur les différentiels salariaux.

3. Une taxe prélevée sur les pays dont les droits sociaux sont inférieurs à des normes jugées satisfaisantes.

4. Une harmonisation fiscale pour éviter le dumping à l'impôt sur les sociétés par exemple. On ne voit cependant pas bien les modalités de cette lutte anti-dumping.

Au final, on ne sait pas très bien quelle serait la formule préférée des auteurs.

L'intention morale

Dans le souci, probablement, d'éviter de passer pour d'affreux nationalistes, les auteurs souhaitent d'une part autoriser l'Afrique à se protéger - dans un jeu mondial où le protectionnisme s'organiserait par régions. D'autre part, ils reprennent l'idée, avancée par Attac que les taxes de protection européenne devraient être reversées sous forme d'aide au développement. L'idée est un peu baroque.

D'une part, si ces taxes de protection sont acceptables, c'est pour remédier à des distorsions de concurrence. Elles ont donc vocation à s'effacer. Il est difficile de faire asseoir une taxe censément altruiste sur une base fiscale fondante.

D'autre part, c'est sans doute la Chine qui bénéficie le plus du libre échange aujourd'hui. On voit mal comment l'aider à se développer mieux qu'elle ne le fait actuellement : le pays a l'air de se débrouiller parfaitement et n'est probablement pas disposé à accepter des conseils venant d'états qui semblent s'ingénier à casser leur propre croissance avec application.

Il faudrait donc soit reverser à la Chine ce qu'on lui prend, soit le reverser à d'autres en fonction de clés de répartition bien malaisées à établir.

On voit donc mal ce qui justifie ces contorsions quand la rupture avec le laisser faire actuel, qu'il soit commercial ou monétaire, s'impose pour ne pas arriver à un réel chaos social.

Par ailleurs, les auteurs le soulignent à plusieurs reprises, le véritable protectionnisme consisterait tout simplement à établir une juste parité des différentes monnaies internationales. À tel point que face à une sous-évaluation du yuan de 25%, Paul Krugman a proposé de taxer les biens chinois entrant aux Etats-Unis à hauteur de 25%. Les auteurs citent même Pierre-Noël Giraud, économiste réputé : "l'effet des fluctuations des grandes monnaies est bien supérieur à toutes les mesures envisagées par les protectionnistes les plus acharnés".

La mesure proposée par Krugman, et dont j'avais formulé une variation destinée à la rendre plus universelle et permanente, est bien plus simple, et justifiée, que toutes celles envisagées par les auteurs.

*

L'impression que donne donc l'ouvrage est qu'il s'agit d'une compilation des bonnes idées à propos des defauts du libre-échange actuel et des moyens d'y remédier par un protectionnisme raisonnable, plus que d'une véritable stratégie.

On en veut pour preuve que le protectionnisme européen, qu'ils appellent de leurs vœux - comme Emmanuel Todd - suppose l'accord de l'Allemagne.

Il est possible que l'Union Européenne, au terme de quelques années dediscussion, puisse accoucher d'une écotaxe européenne frappant les biens entrant en Europe d'une somme de 1% à 2%. Par rapport aux 25%, 30% ou 40% de sous-évaluation du yuan (et du dollar), ce serait tout à fait insuffisant pour rétablir un équilibre des échanges internationaux.

Un autre point négligé par les auteurs est celui des Etats-Unis. Certes la Chine dispose d'une monnaie tres fortement sous-évaluée, mais les Etats-Unis ont une monnaie également fortement sous-évaluée. Il conviendrait donc de ne pas se focaliser sur la seule Chine, au risque de retomber dans des accusations d'occidentalo-centrisme justifiées.

Par ailleurs et enfin, les auteurs n'ont pas bien pris en compte les déséquilibres internes à la zone euro. Le protectionnisme européen laisserait intact le déficit béant de productivité qui se creuse chaque année entre les pays à inflation modérée et ceux à inflation très contrôlée, comme l'Allemagne. Ils oublient également l'existence d'un très fort dumping interne à l'Union européenne.

C'est un travers commun aujourd'hui, une fois que l'on a conclu qu'une solution européenne doit être trouvée, le chemin est terminé. Les auteurs donnent finalement l'impression de s'en tenir à cela.

Il faudrait pourtant ajouter ceci à leur raisonnement, pour tenir compte de la situation politique sans se contenter de poses morales :

1. Si rien n'est fait de significatif au niveau européen, il conviendra d'appliquer des taxes au niveau national.

2. Pour de nombreux pays européens il est de toute façon préférable de sortir de la zone euro, qui n'est pas viable comme telle, c'est la mesure protectionniste la plus importante.

Finalement, mon point de vue est que la question des déséquilibres des échanges commerciaux est une question qui est monétaire plus que commerciale. C'est d'ailleurs pour cela que nous pouvons agir en ce sens tout en restant dans l'OMC. Les mesures à prendre pour remédier à l'échange inégal qui nous est imposé portent sur les taux de change, pas sur les droits de douane.

Elles sont plus simples que la plupart des taxes imaginées et recensées par les auteurs. La compensation des écarts de change déloyaux n'a pas besoin d'être justifiée par des raisons morales, ou de s'effectuer au nom du développement durable ou du développement de l'Afrique - toutes causes qui sont valables par elles-mêmes, non comme sous-produit d'un protectionnisme en quête de sens. Comme l'écrivent les auteurs, les déséquilibres qui s'accumulent sont des causes de guerre.

Sur le même sujet, outre les divers liens ci-dessus, on lira ma note sur le livre de Baumol et Gomory, Global trade and conflicting interests.

Lire aussi ma note sur Le coût humain de la mondialisation, de Zygmunt Bauman.


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