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Le Bonheur, selon David Hume

Publié le 19 mars 2012 par Savatier

Le Bonheur, selon David HumeSi une notion reste fort complexe à définir, c’est bien celle du bonheur. Chacun y aspire, beaucoup pensent l’avoir atteint alors qu’ils ne pratiquent inconsciemment qu’un raisonnement a contrario (« parce que je ne suis pas malheureux, alors je suis heureux »). Certes, les courants philosophiques tentent de nous aider, de nous montrer des repères ; sans pour autant y parvenir vraiment, puisque les écoles nous suggèrent de suivre des voies différentes – et souvent opposées.

Auteur majeur de son siècle, David Hume (1711-1776) s’était, lui aussi, attaché à définir le bonheur. Son texte, issu des Essais moraux et philosophiques (1764), est aujourd’hui disponible sous le titre Essais sur le bonheur – Les Quatre philosophes (Mille et une nuits, 104 pages, 3,50 €).

D’une lecture très aisée, cet ouvrage se divise en quatre sections, chacune étant consacrée à un courant philosophique. Avec beaucoup d’habileté, l’auteur se glisse donc tour à tour dans la peau d’un Epicurien, d’un Stoïcien, d’un Platonicien et d’un Sceptique, les uns et les autres défendant naturellement leur doctrine.

Le discours de l’Epicurien ne s’articule pas simplement autour d’un carpe diem qui aurait été trop facilement attaquable par ses adversaires. Il met d’abord en évidence les contradictions des « philosophes graves », terme générique derrière lequel on reconnaîtra notamment Stoïciens et Platoniciens qui voudraient, à l’instar de nos gouvernants d’aujourd’hui, faire notre bonheur contre nous-mêmes : « Vous promettez de me rendre heureux, et vous voulez employer, pour cet effet, la raison et les règles de l’art. Mais mon bonheur ne dépend-il pas de ma constitution interne ? Il faut donc que vous ayez l’art de me refondre, et que vos règles puissent me créer de nouveau. Mais je doute de votre pouvoir et votre industrie m’est suspecte. Et quand bien même je leur accorderais quelque réalité, n’aurais-je pas toujours une opinion plus avantageuse de la sagesse de la Nature que de la vôtre. » S’en suit une évidence, naturellement incompatible avec l’idéal ascétique : « Cependant, s’il y a une Intelligence suprême, un Esprit qui tient entre ses mains les rênes de l’univers, soyons assurés qu’Il se plaît à nous voir remplir le but de notre existence en jouissant de tous les plaisirs pour lesquels nous avons été créés. »

Le Bonheur, selon David Hume
A l’opposé, le discours du Stoïcien invite, non à suivre sa nature, mais à l’effort, « à régler ses désirs, à subjuguer ses passions et à discerner les véritables biens de ceux qui n’en ont que l’apparence » en établissant une hiérarchisation qui ne soulève aucune ambigüité quant aux intentions : « Il ne faut pas beaucoup d’étude pour connaître le juste prix des différents genres de vie ; il n’y a qu’à comparer l’esprit au corps, la vertu aux richesses, la gloire à la volupté. Cette comparaison mettra dans tout leur jour les avantages d’une vie laborieuse. » Bref, pour le Stoïcien, « l’homme moral, sans rien décider dans une matière aussi épineuse, vit content de cette portion qu’il a plu au souverain dispensateur de lui assigner. »

Plus profondément encore ancré dans le registre de l’ascétisme, le Platonicien, dès les premières lignes, condamne sans appel « les plaisirs ignobles des sens » et, pour mieux promouvoir un « beau intellectuel […] supérieur à tous les autres genres du beau », dresse un portrait effrayant (et très partial) du voluptueux, de son « âme […] tourmentée par les remords », de « son corps […] abattu par la satiété et le dégoût. » Le bonheur proposé par le Platonicien serait donc celui qui conviendrait à un esprit désincarné.

Reste le discours du Sceptique, plus élaboré que les précédents et dont on sent qu’il emporte la préférence de l’auteur. Celui-ci critique les trois doctrines présentées, puis se livre à une belle apologie du relativisme : « S’il y eut jamais un principe passablement certain en philosophie, je crois que c’est celui-ci : il n’y a rien qui soit, en soi-même, beau ou laid, digne d’amour ou de haine, d’estime ou de mépris ; ces différentes qualifications dépendent uniquement des sentiments et des affections de chaque homme en particulier. […] Le bien et le mal, tant naturel que moral, ne sont qu’une affaire de goût et de sentiment. » Ses développements, fort judicieux, méritent examen. Ils sont une manière de nous suggérer de rester à notre propre écoute, sans nous encombrer des tyrannies opposées du plaisir à tout prix et de l’ascétisme obligatoire. « Comme si [pour reprendre un extrait de la quatrième de couverture], quand il s’agit de se rendre heureux, le plus sûr des principes est de ne pas en avoir… » A lire, assurément.

Illustration : David Hume, gravure.


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