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Itinérances - Parcours allemands (3)

Par Pseudo

Dudeldorf.hagd.jpgJe ne risquais pas de m'y attendre, retrouver comme ça la trace de mes logeurs en Allemagne : la Toile a de ces courts-circuits... Du blog d'une Américaine un peu écolo, grand-mère de naissance philippine vantant ses recettes de porc grillé – qu'est-ce que j'étais allé faire là-dessus ? –, quel guide inspiré m'a ramené tout à trac trente-cinq ans en arrière ? A Dudeldorf très précisément, Hauptstrasse, au cœur de l'Eifel.

Il a fallu cette dernière glissade de souris... A deux doigts de zapper, ce titre d'article qui traverse l'écran : "Oma Adelaide L..., Our loving Babysitter in Dudeldorf, Germany". La photo d'un bambino étonné, en brassière teutone, sur les genoux d'une Oma – grand'maman – aux bras vigoureux ; ce nom de lieu, banal et ignoré du monde : Dudeldorf... Surtout ce nom de famille, L..., pas si courant, même là-bas, qui me revient d'un coup... Alors la lecture attentive de la note, l'esprit ravivé, à l'affût du détail, dans le fatras du bavardage...

Au bout de trente-cinq ans l'esprit ailleurs, tomber sans fil conducteur sur le blog d'une Californienne d'aujourd'hui, ancienne de l'USAF à Spangdahlem ou à Bitburg, et qui laissait à garder son bout de chou chez la tranquille Adelaide L..., ma logeuse de Dudeldorf : ça, c'était fait pour me décoiffer. Pas grand chose dans l'article, sinon les bonnes façons d'Oma Adelaide à l'égard du bout de chou, cette obsession, surtout, du linge repassé, pyjama de bébé y compris, qui fascinait tant l'Américaine. Le fer à repasser, vrai sujet de la note, dans le fond : ces Allemandes et leur intérieur, quelle netteté...

Elle devait bien repasser mon linge aussi, Adelaide. Tout ça, je ne m'en souviens plus trop. Il m'est resté l'empreinte de son affection, comme une mère aux petits soins pour le jeune homme que j'étais, célibataire, français, bordélique. Elle avait du cœur, Adelaide, elle avait aussi la tête sur les épaules. Quand j'avais pris le logement, elle avait bien insisté : c'est elle qui se chargerait du ménage – la corvée complète, comme chez maman, et la lessive avec ça. Que je ne m'en fasse pas, c'était compris, et ça lui faisait plaisir. Pas folle, elle savait bien que c'était la meilleure façon de préserver son patrimoine... Il n'empêche, je me sentais dorloté. Finalement, je ne lui donnais que mes chemises à laver, et les pantalons. Le studio était meublé, équipé, rien n'y manquait, pas même le lave-linge : je n'allais pas lui refiler mes slips et mes chaussettes !

J'ai voulu en savoir plus, j'ai laissé un commentaire circonstancié à l'Américaine. Elle a répondu tout de go, comme à l'affût ! Tout l'enthousiasmait celle-là, le repassage d'Adelaide L..., le com' d'un Frenchy sur son blog – ça, c'était plus fort que tout : Wow-how amazing ! –, que le Frenchy en question ait été le locataire de sa baby-sitter en cette époque antique... S'était-on connu ? Elle m'a donné tout son CV pour rien : quand elle débarquait en Germanie, dans son joli petit uniforme bleu, je m'étais déjà envolé pour le soleil d'Afrique. A un an près on trinquait à la Bitburger Pils.

Elle m'a rapporté des nouvelles. C'était comme hier, tout me paraissait contemporain. J'ai appris que le mari d'Adelaide était mort peu après mon départ, quatre ans tout au plus. Albert... Il devait s'appeler Albert, l'Américaine ne savait plus. Sa mort précoce ne m'a pas surpris tant que ça, il n'était pas vieux mais l'alcool le rongeait. Malgré la vigilance d'Adelaide, qu'il craignait. Elle ne pouvait pas l'avoir tout le temps à l'œil, non plus. Une fois par mois je servais de prétexte à une bonne pochetronade. Le jour du règlement du loyer. Je restais à "dîner" chez eux – dîner à la façon allemande, assez tôt et sans complications. Adelaide me mitonnait une charcuterie à se damner, mais l'autre en profitait. Il se finissait au schnaps, après des litres de Pils et de Moselwein – il fallait bien faire honneur au Franzose ! J'en étais gêné pour Adelaide, mais qu'y pouvais-je ? Je tenais guère plus debout !

Il avait bien ri, Albert, quand il m'avait vu débarquer la première fois dans mon bolide de jeune branleur. Une Matra qui ronflait le feu de Dieu. Les bolides, ça ne l'impressionnait pas, Albert. C'est la Zitrone qu'il aimait, pas la peine de lui parler du reste. J'avais mis un peu de temps à comprendre : Zitrone, ça me faisait penser à Léon, le speaker de l'époque, à la télé. Alors quoi ! Je ne connaissais pas la Zitrone ! La meilleure marque française, peut-être même meilleure que la Mercedes ! Albert vénérait littéralement la marque Citroën. Et c'est pas un godelureau de Franzose qui allait le faire changer d'avis.  

 

 

 


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