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Sur la Toile, récemment… (13)

Publié le 26 mars 2012 par Les Lettres Françaises

Sur la Toile, récemment… (13)

Sur la Toile, récemment… (13)Il y a parfois des coïncidences heureuses. Dans le Monde daté du lundi 19 mars 2012, on trouve trois articles qu’il n’est pas inintéressant de rapprocher.

La lecture de la presse nationale livre sa fournée quotidienne de néologismes douteux. Une étude plus complète apporterait les preuves qu’un véritable processus de modification de la langue française est en cours, et que l’anglicisme y joue un rôle important. La chose n’échappe pas à tout le monde. Ainsi de la chronique de Didier Pourquery, Juste un mot (Le Monde du lundi 19 mars), consacrée à l’expression « Souci (pas de) » : 

« Joli dialogue entendu cette semaine :

- Voici mes propositions, merci de votre retour.

- Pas de souci, je reviens vers vous.

Bienvenue dans le monde merveilleux du « pas de souci ». Dans cette galaxie, on reste toujours courtois, toujours cool. (…)  Rappelons tout de même, au risque de se faire encore taxer de « frilosité linguistique », que « je reviens vers vous » est un anglicisme de la plus belle eau (I get back to you) qui prend indûment la place d’un simple « je vous réponds bientôt », par exemple. Je sais bien que, dans le domaine professionnel, il faut avoir l’air professionnel… De là à employer ces images d’aller et retour, à force, on n’est pas loin de paraître tourner en rond… Même chose pour « retour » au lieu de « réaction » ou « remarques ». « J’en prends note et vous fais un retour là-dessus » est une traduction littérale pataude. (…) J’adore l’américain, mais je ne vois pas en quoi utiliser des américanismes mal traduits enrichit la langue française…»

Sur la même page du quotidien, un autre article consacré aux dérives de la langue employée par certains des candidats à l’élection présidentielle  (« Effet de sifflet, Didier Migaud, exit tax, F.D.Roosevelt… », par Ariane Chemin). Superbe florilège :

 « Qui aurait imaginé de parler sans complexes, en prime time ou sur TF1, de l’ « exit tax » – l’impôt sur les exilés fiscaux – ou de « l’effet de sifflet », comme Nicolas Sarkozy ? D’entendre des candidaits évoquer, en meeting et en anglais, le Buy European Act ou le Small Business Act ? Signe, au choix, du poids momentané que fait peser la dette ou d’une « désidéologisation » définitive de la politique, la campagne 2012 se décline avec la grammaire des universitaires et les mots de la finance».

L’auteur de l’article ne néglige pas de noter que «la palme de la phrase la plus complexe revient à Marine Le Pen. Le 12 janvier, comparant le plan de désendettement du Front National à celui de ses rivaux, elle explique – si l’on peut dire : « Si l’on fait une analyse prospective globale de la cinématique de l’hémorragie budgétaire permanente, on peut anticiper que le déficit zéro devrait être atteint en 2025, au mieux, et que, parallèlement, leur dette va, par l’effet d’anatocisme des intérêts – c’est l’inertie des besoins d’emprunts ou, communément, « l’effet boule de neige »-, continuer à s’accroître dangereusement jusqu’à son niveau d’étiage de 3121 milliards d’euros courants de cette dette supplémentaire sur ma période 2012-2025. » La presse n’en est pas revenue. »

Ceux-là même dont la carrière repose sur le thème de la perte des « repères » et des « valeurs » nationales, sont les premier fossoyeurs de la langue française, non pas de la simple  correction grammaticale ou syntaxique, mais, plus largement, de la logique. Ce constat n’est pas à prendre au sens nostalgique d’une identité française en train de disparaître. Il est à parier que d’autres idiomes subissent le même sort à travers l’Europe et le monde.  On sait les conséquences qu’ont entraînées de tels procédés à d’autres moments de l’histoire. S’il fallait caractériser rapidement le sens de cette évolution, il faudrait sans doute recourir à Orwell et à son concept de Novlangue. D’autres, à la même époque, étaient arrivés, chacun de leur côté, à des conclusions semblables : Victor Klemperer en Allemagne, Léon Werth en France, par exemple. Aujourd’hui le processus est plus diffus qu’avant la Seconde Guerre mondiale. La négation de la raison par la destruction de l’instrument privilégié de son expression n’est plus l’apanage d’un seul parti. Cependant, si le Front National se distingue toujours dans son domaine de prédilection, d’autres y réalisent de belles performances. On ne trouve que des différences de degré, pas de nature. Indéniablement c’est  le même but qui est poursuivi lorsque le président de la République déclare, deux fois de suite, devant les journalistes, qu’une centrale nucléaire est « secure». (Le Canard enchaîné, 15 février 2012). Le même avait pourtant montré qu’une distinction, aussi sommaire que celle que la langue anglaise opère entre le temps qu’il fait et le temps qui passe, lui échappait, lorsqu’il s’exclama, sur les marches du palais de l’Elysée, au moment d’y recevoir Hillary Clinton sous la bruine hivernale : « I’m sorry for the time ».

Dans ses carnets de philologue, tenus clandestinement sous le joug nazi, le professeur juif Klemperer notait à propos des mots d’origine étrangère bien sonores que le Troisième Reich aimait à employer de temps en temps  :  « Peut-être y en a-t-il aussi qui ne les comprennent pas et, sur ceux-là, ils font d’autant plus d’effet. »

Un troisième article, qui pourrait sembler plus anodin. Il traite de la production des T-Shirts promotionnels que les candidats font imprimer (Le tee-shit « made in France » remporte la présidentielle, par Nicole Vulser). On peut y vérifier que Marine Le Pen n’hésite pas à joindre le geste à la parole quand vient le moment de se foutre de la gueule de ses électeurs : « Les candidats à l’élection présidentielle ne pouvaient pas indéfiniment se gargariser des merveilleuses vertus du « Made in France » sans passer concrètement à l’action. (…) Mais, alors que Marine Le Pen déclare à l’envi que « produire français avec des travailleurs français est vital pour notre pays » et défend l’idée d’une loi destinée à acheter français, les tee-shirts vendus 10 euros à ses militants dans la boutique du FN viennent du Bangladesh. Le quotidien Midi Libre affirme même que ceux des campagnes précédentes, celle de 2002 comme celle de 2007, avaient été fabriquées en Chine. »

Il faut noter autre chose : dans cet anglicisme, « Made in France », c’est le mot France qui est important aux yeux de ceux qui l’emploie. L’importation du slogan industriel – en anglais ! – n’en alerte aucun. Le produit est de la merde : un slogan recyclé, imprimé sur du mauvais tissu qui ne l’est pas. Peu importe : il sera fabriqué en France. La merde française aura une odeur différente. Rien d’autre n’a d’importance. La soumission au modèle de la production industrielle, la soumission complète à cet « impératif économique », et au pays qui le promeut le plus ardemment, est résumée par cette formule, « produit en France », dans la langue de l’envahisseur, accueilli à bras ouverts par ceux-là même qui dénoncent l’invasion de barbares dont on n’a jamais entendu la langue maternelle. C’est dommage. Peut-être ont-ils plus de respect pour leur langage que les politiciens qui aiment à se parer du prestige d’auteurs qu’ils n’ont pas lus. Celui-ci, par exemple, parmi tant d’autres :

« C’est une fierté pour les rares jours de fête quand les purs esclaves s’indignent que des métèques viennent menacer leur indépendance »




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