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Ante-mortem

Par Deathpoe

A l'arrêt de bus, j'envoie un dernier message en m'allumant une gitane brune. Je croise le regard du soleil, détourne les yeux, me rends compte que j'ai oublié mes lunettes de soleil pour planquer mes yeux épuisés. Ma veste à col mao me tient déjà chaud mais je n'ai jamais aimé mettre une chemise sans veste.
Je réfléchis quant à savoir à quel arrêt il faut que je descende pour minimiser le trajet jusqu'à l'hôpital. A la bourre, je descends à la gare et marche rapidement, le pas assuré malgré la douleur de ma jambe gauche, une clope au coin de la gueule. Le soleil et les températures printanières ont fait se raccourcir les jupes, se dénuder les épaules et je me suis rendu compte de ma stupidité: je craque rapidement pour la première fille qui semble avoir ne serait-ce qu'une once d'intérêt pour moi, pour peu qu'elle en vaille la peine. J'oublie cette pensée furtive comme j'enlève des cendres sur le col de ma veste: d'un revers de la main.
Bien que j'aie résolu mon problème de retards chroniques, les médecins seront toujours plus en retard que moi. Dans la salle d'attente je termine de lire L'Etranger. Le doc arrive, on échange une poignée de mains, quelques plaisanteries, je prends place.
"Alors Monsieur B., vous n'avez pas fait parler de vous dernièrement apparemment.
-Non. C'est vrai que j'avais plus ou moins planifié, ou plutôt redouté une mauvaise passe peu après mon dernier séjour, mais finalement, à part un ou deux épisodes compulsifs, comme vous dites, plutôt bien contrôlés, je m'en sors pas si mal.
-Alors, qu'on récapitule. Ça fait un peu plus d'un an qu'on se connaît.
-Exact.
-J'ai l'impression que ça fait dix ans que je vous suis, vous dire à quel point vous me gonflez."

J'apprécie la boutade et souris.
"Peut-être que mes progrès sont remarquables, non?
-En partie. Mais vous le savez très bien monsieur, n'allons pas si vite en besogne.
-Oui, je sais...
-Bon, reprenons. Il y a un an, j'ai vu débarquer ici un mec au plus mal, ancré dans ses addictions, sans espoir, sans projection dans l'avenir et incapable de gérer sa douleur.
-Oui, et avec maman assise à côté qui parlait toujours à ma place.
-C'est vrai. Vous avez fait trois séjours chez nous, vous vous êtes investi dans votre prise en main, même si vous nous avez fait des petites frayeurs en octobre et décembre.
-Oui...
-Et donc, le dernier séjour était...
-Du 13 au 17 février.
-Oui, c'est cela. Dernier séjour où l'on a vu un jeune homme impliqué dans son boulot, qui a quelques projets. Un jeune homme agréable, charmeur...
-Ah ça non!
-Si si, un garçon charmeur donc mais qui nous a dit ne rien avoir appris durant son dernier séjour.
-Je rectifie. J'ai dit que je n'avais rien appris de plus quant à la gestion de la douleur au quotidien mais que cela m'avait permis de consolider les progrès effectués.
-Voilà ce que je voulais vous entendre dire. Maintenant, est-ce que vous vous souvenez de ce que je vous ai dit au sujet de la rapidité de votre progression, tant sur le plan de la douleur que sur celle de vos addictions?
-Oui, que le changement était presque trop rapide.
-Exactement. Maintenant, je suis désolé, mais je vous le répète, et je parle par expérience: le travail que vous avez accompli est effectivement extraordinaire. Vous avez tout d'abord su accepter vos faiblesses, et en tirer une force. Vous m'avez décrit quelques réussites, dont vous pouvez être fier.
-Ce n'est rien de phénoménal.
-Si, parce que, et j'ai déjà dû vous le dire, quelqu'un qui assume ses faiblesses aura toujours plus de mérite que quelqu'un qui n'en a pas. Cependant, je vous le dis clairement: au niveau de la douleur, vous le savez, il n'y a pas de guérison, vous ne serez jamais guéri et là n'est pas notre objectif, puisque la douleur chronique ne peut que se soulager, non se guérir.
-Oui, je l'ai bien compris...
-Ensuite, concernant vos addictions et vos faiblesses psychologiques si je puis dire, autant être franc avec vous: ce n'est pas en un an qu'on règle ce type de problèmes. Vous avez encore vos faiblesses, même si vous avez appris en partie à les transformer en forces.
-Je comprends...
-Je vois que vous avez gagné en autonomie. Qu'en est-il justement de vos parents? Vous vivez toujours chez eux?
-Oui, c'est d'ailleurs le prochain point à régler, le temps que je sois à peu près large financièrement.
-Vous parvenez à sortir du cocon? De l'hyperprotection maternelle?
-Oui, même si je ne peux pas l'empêcher de s'inquiéter énormément. C'est toujours elle qui gère mon traitement, forcément. Mais là, par exemple, elle angoisse depuis ce matin au cas où vous me donniez une ordonnance, que je passe à la pharmacie et que je m'enfile tout.
-C'est courageux ce que vous venez de me dire.
-Pourquoi?
-Vous auriez très bien pu ne rien me dire au cas où effectivement je fasse une prescription pour le mois.
-Et foutre en l'air un an de travail, pour moi comme pour vous?
-Vous savez, j'en ai malheureusement vu des addicts.
-Et bien justement, vous savez comme moi qu'un drogué trouvera toujours une solution pour avoir ce qu'il veut.
-Exactement Monsieur B. C'est pour cela, sans vouloir vous blesser, que je préfère m'attendre, prévoir, un autre incident comme celui de décembre.
-Que je cède à un épisode compulsif, comme vous appelez ça, et que je retente de me foutre en l'air?
-Oui. Evidemment, j'espère qu'on n'en arrivera pas là. Honnêtement, lorsque vous chutez, c'est autant un échec pour vous que pour nous.
-Certainement.
-Je veux que vous sachiez que si, effectivement, un tel épisode devait se reproduire, nous sommes là, on ne vous laissera pas tomber.
-Très bien.
-Maintenant, si vous venez à faire le zouave, que vous n'en avez rien à cirer, on ne pourra rien pour vous. Et d'ailleurs, dans ces conditions, je pense même que vous ne nous appelleriez pas.
-Je comprends parfaitement.
-Simplement, si ça ne vous gêne pas d'en parler, qu'est-ce qui provoque ces épisodes? J'essaie de comprendre. Bien sûr je ferai une synthèse avec le psychiatre après que vous l'aurez vu, mais j'aimerai avoir une ébauche de réponse.
-L'ennui, principalement. Le sentiment de ne pas exister, que rien n'a de sens, d'intérêt.
-Vos réussites professionnelles n'ont pas de sens? Si, mais je n'ai plus que le travail, c'est devenu ma nouvelle drogue.
-Bon, vous savez aussi que la gestion de la douleur passe aussi par le fait de pouvoir s'aménager des temps de repos, des moments de plaisirs.
-J'essaie, quelques fois par semaines: un verre avec des amis si j'en ai le temps, souvent un petit-déjeuner avec un collègue, j'avais même plus ou moins rencontré quelqu'un ces derniers temps.
-Vous avez pourtant l'air épuisé.
-Je me jette dans le travail depuis deux semaines, mais ça passera.
-Vous êtes retourner consulter le Docteur M. comme je vous l'avez conseillé?
-Non, plus aucun suivi psychologique. Je dirai même que ça va relativement mieux depuis que je n'y vais plus. Plus l'occasion de tergiverser inutilement et de souffrir encore plus.
-Vous êtes quand même quelqu'un d'excessif Monsieur B.
-Il paraît oui...
-Que ce soit dans vos addictions ou maintenant dans le travail. Et passer d'un suivi régulier par un psychiatre à raison de deux séances par semaine à aucun suivi, du jour au lendemain, c'est tout ou rien avec vous.
-Oui, j'y travaille cependant.
-Alors tant mieux, je crois qu'il n'y a rien à ajouter. Si vous continuez comme ça, je suis persuadé que vous allez aller de réussites en réussites, et vous pourrez, compte-tenu de vos handicaps, être fier de vous. Et au cas où, sachez que vous pourrez compter sur nous à condition de ne pas nous prendre pour des imbéciles.
-J'ai bien compris, merci beaucoup.

Je sors de l'hôpital après une courte consultation chez le psychiatre. Lui évoquer mes souffrances du moment ne servirait à rien. J'allume une Gitane brune, me retourne sur une fille que j'oublierai immédiatement l'instant d'après, et souris au soleil.
The Doors: The end
"The killer awoke before dawn, he put his boots on
He took a face from the ancient gallery
And he walked on down the hall
He went into the room where his sister lived, and...then he
Paid a visit to his brother, and then he
He walked on down the hall, and
And he came to a door...and he looked inside
"Father ?", "yes son", "I want to kill you"
"Mother?...I want to...FUCK YOU"
C'mon baby, take a chance with us X3
And meet me at the back of the blue bus
Doin' a blue rock, On a blue bus
Doin' a blue rock, C'mon, yeah
Kill, kill, kill, kill, kill, kill
This is the end, Beautiful friend
This is the end, My only friend, the end
It hurts to set you free
But you'll never follow me
The end of laughter and soft lies
The end of nights we tried to die
This is the end"


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