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« Vers une société d’abondance frugale », Serge Latouche, 2011

Publié le 31 mars 2012 par Simplicitevolontaire

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Vers une société d'abondance frugale

Vers une société d'abondance frugale

On reproche souvent à la Décroissance d'être un projet utopiste. "Oui c'est une belle idée", mais "concrètement si on généralisait ça ne marcherait pas". L'économiste est alors souvent appelé à la rescousse, pour confirmer la viabilité du projet, ou pas ! Nous en avons ici un bel exemple.

Serge Latouche. La Décroissance du point de vue économiste.

Mais qui est donc ce Serge Latouche ? Réponse évidente pour certains, peut-être moins pour d'autres. Commençons donc par le commencement, et présentons pourquoi Serge Latouche est qualifié pour écrire ce livre.

Déjà bien connu des milieux décroissants, Serge Latouche est un économiste, professeur émerite à Paris 11e. Né en 1940, il est de la même génération que Pierre Rabhi.

Influencé par les travaux de François Partant (autre économiste illustre de la Décroissance), Serge Latouche a consacré sa longue carrière à l'étude de la Décroissance d'un point de vue économique. Il poursuit ainsi en cela l'oeuvre de Nicholas Georgescu-Roegen, économiste lui encore, et que beaucoup considère comme le véritable père fondateur de ce concept/mouvement.

Auteur prolifique avec 25 titres à son actif, conférencier recherché, il écrit à l'occasion dans le  "Monde Diplomatique" ou à "La Décroissance (le journal)". Le livre « Vers une société d’abondance frugale » constitue à ce jour son dernier ouvrage.

La Décroissance pour les Nuls. Un excellent ouvrage d'introduction.

Ce livre est une excellente introduction au concept de Décroissance. Je le conseille à tous ceux qui se demande bien ce que ce gros mot presque malpoli (un mot "obus" comme le nomme Paul Ariès) veut bien vouloir dire.

Serge Latouche, après des dizaines d'années passées à expliquer le concept, encore et encore, a fini par rassembler les 18 controverses et contresens les plus fréquemment rencontrées :

  • La décroissance c'est le retour à la bougie
  • Décroissance égal chômage
  • La décroissance est contre la science/est technophobe
  • La décroissance repose sur une base scientifique erronée
  • Comment résoudre la misère du Sud avec la Décroissance
  • ...etc. (liste complète dans le sommaire ci-dessous)

En répondant à ces questions, Serge Latouche dresse un portrait en creux de la Décroissance : "ce que la Décroissance n'est pas" permet à petite touches de dessiner "ce qu'est la Décroissance".

Un style clair, net et précis. Un livre d'auto-défense intellectuelle.

Les réponses sont argumentées, sourcées, chiffrées. La bibliographie de fin court ainsi sur plus de 11 pages, et recense près de 150 livres et autres sources !

Le style est clair, condensé, précis. Le format condensé et compact du livre permet de l'emmener partout avec soi. Bref, tout cela se lit et se comprend relativement facilement (relativement : car cela reste des sujets complexes, on n'est pas dans le roman de gare ici).

In fine, ce livre donne tous les arguments et chiffres utiles pour défendre la Décroissance. Si vous en avez assez d'être brocardé par votre beauf pendant les repas familiaux, voilà le livre qu'il vous faut ! Votre beauf ne changera pas forcément d'avis, mais au moins vous aurez de la répartie et serez incollables sur les questions les plus fréquentes.

Morceaux choisis. Un livre d'auto-défense intellectuelle

Je ne vais pas résumer ici les conclusions des 18 questions traitées dans le livre. Par contre il m'a semblé utile de détailler certaines d'entre elles :

La décroissance repose sur une base scientifique erronée

« Celui qui croit qu'une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »

La célèbre phrase de Kenneth E. Boulding illustre bien LE principe scientifique fondateur de la Décroissance. Si on prend ce principe pour acquis, alors effectivement la Décroissance devient une évidence.

Cependant, ce principe est souvent contesté par ces deux arguments :

  • la Terre n'est pas isolée, le monde n'est pas "fini", car il reçoit constamment des apports gigantesques d'énergie solaire,
  • il est possible de maintenir une croissance économique tout en réduisant la consommation des matières (ou sa variante : l'économie virtuelle permet un avenir économique radieux tout en réduisant notre impact écologique).

Certes notre système {planète} n'est pas totalement isolé et reçoit de l'énergie solaire... mais :

  1. Les matériaux, eux, sont bien en quantité finies (et des métaux en particulier, cf. ici bientôt la revue de l'excellent livre "Quel futur pour les métaux ?")
  2. Nicholas Georgescu-Roegen appelle la 4ième loi de la thermodynamique (ou loi de l'entropie de la matière), qui veut que l'usage de matière amène sa dispersion/dégradation. "Une pépite d'or pur contient plus d'énergie que le même nombre d'atomes d'or dilué un à un dans la mer", note Yves Cochet
  3. Enfin, il est bon de noter que la densité (spatiale et temporelle) de l'énergie solaire est infiniment plus faible que celle des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Donc oui l'énergie solaire existe, mais elle est extrêmement difficile à exploiter.

En ce qui concerne l'économie "virtuelle", il démontre que celle-ci ne remplace en rien l'économie "réelle", mais la complète plutôt, voire la renforce. Pas d'ordinateurs, de réseaux, de portables, de transistors, sans les centrales électriques, les routes, les usines, les matières premières, l'énergie pour les produire.

De manière très intéressante, il soulève ainsi qu'en Europe ou aux Etats-Unis, la consommation de matière a crû ces 20 dernières années de 17% et 35% (respectivement), alors même que l'"économie de l'information" explosait...

Décroissance égal chômage

Rangée dans la catégorie "contresens", cette affirmation est complètement infondée. Au contraire, cela fait 40 ans que l'on nous promet le plein emploi si la croissance est là... avec les résultats que l'on sait.

Les deux grandes promesses de la croissance de l'après guerre (le bonheur pour tous, la réduction des inégalités) se révèlent être, 60 ans plus tard, ... des promesses, rien de plus. Au contraire, le chômage explose, les inégalités atteignent des sommets toujours inégalés,et  les ventes d'antidépresseurs se portent très bien, elles, merci.

A l'inverse, le passage vers une société de la Décroissance (moins de production matériel, plus de biens culturels, travailler moins pour vivre mieux etc.) impliquerait de :

  • relocaliser l'économie
  • développer l'agriculture bio
  • développer les énergies renouvelables

Or ces 3 points sont fortement générateurs d'emplois.

La décroissance c'est le retour à la bougie

Le concept d'empreinte écologique, largement promu par le WWF en France, a permis d'estimer qu'un Français moyen consommait 3 à 4 fois plus que ce que la Terre pouvait soutenir. D'où l'expression courante: "si tout le monde vivait comme nous, il faudrait 4 Terres".

Un objectif écologique accepté par (presque) tous est d'ainsi diviser cette empreinte écologique par 3 ou 4, afin de "revenir à une seule Terre". Cela n'implique nullement un retour à la bougie, ni au Moyen-Âge, ni à l'âge des cavernes (pour citer les 3 exemples les plus courant), mais un retour à la consommation des années... 1960 ! Ceux qui ont connu ces années là peuvent témoigner qu'à l'époque déjà on était loin de mourrir de faim et de vivre dans le dénuement total.

Mais on peut faire mieux, beaucoup mieux. Dans les années 60, la société était déjà dans une dynamique de non-partage et de gaspillage généralisé. Donc avec une empreinte écologique équivalente aux années 60, il est probable que l'on puisse faire mieux, beaucoup mieux... Une société plus heureuse, solidaire, épanouie ? Encore faut-il que nous le voulions vraiment.

Là encore, c'est une question de choix.

Comment résoudre la misère du Sud avec la Décroissance ?

Une de mes questions préférées. Où on apprend que la Décroissance est justement née au sein de courants anti- (ou post-) développement, dont le fameux Ivan Illitch :

"Il est vrai que les pauvres ont un peu plus d'argent, mais ils peuvent faire moins avec leurs quelques sous"

Ceux-ci s'opposaient à une "vision occidentale du développement" imposée aux pays du "Tiers-Monde"... et promouvaient à l'inverse une vision de la société autonome et économe, une société de la "convivialité".

"Dans le tiers-monde, le fermier pauvre est chassé de sa terre par la révolution verte. Il gagne plus qu'avant comme salarié agricole, mais ses enfants ne mangent plus comme avant" - Ivan Illitch

Pour les pays pauvre, la décroissance de l'empreinte écologique n'a bien entendu pas de fondement. Cependant, il s'agit bien de ne pas exporter nos erreurs et ne pas imposer une "société de la croissance", dont on voit aujourd'hui les dramatiques conséquences chez nous.

Enfin, il faut bien comprendre que notre mode de vie actuel est justement construit sur la misère des autres 80% de l'humanité. La phrase "si tout le monde vivait comme nous, il faudrait 4 Terres" veut justement dire que, pour maintenir notre niveau de vie, il faut que les 80% restants restent pauvre. Sinon la Planète explose ! Pour citer le livre :

"Oser la décroissance au Sud, c'est tenter de rompre avec la dépendance économique et culturelle vis-à-vis du Nord".

Sommaire

  1. Avant propos
  2. Vers une société d’abondance frugale
    1. Ni croissance ni austérité
    2. Comment la décroissance va-t-elle résoudre les problèmes immédiats de nos Etats ?
  3. Les contresens
    1. Confusion entre croissance négative et le projet de la décroissance
    2. La décroissance, c’est l’état stationnaire et/ou la croissance zéro
    3. La décroissance serait contre la science, et donc technophobe
    4. La décroissance, c’est le retour à la bougie
    5. La décroissance signifie un retour à un ordre patriarcal communautaire
    6. Décroissance égale chômage
    7. La décroissance est incompatible avec la démocratie
    8. La décroissance est-elle soluble dans le capitalisme ?
    9. La décroissance est-elle de droite ou de gauche ?
  4. Les controverses
    1. La décroissance repose sur une base scientifique erronée
    2. La croissance reste toujours possible, soutenue par la production immatérielle
    3. La croissance de la valeur marchande est compatible avec une réduction du contenu matière
    4. La décroissance implique une réduction drastique de la population
    5. La croissance est nécessaire pour éliminer la pauvreté au Nord
    6. Comment résoudre le problème de la misère dans les pays du Sud avec la décroissance ?
    7. Et les nouveaux pays industrialisés, la Chine, l’Inde, le Brésil ?
    8. Quel sujet va porter et faire aboutir un tel projet ?
    9. Le changement se fera-t-il par en haut ou par en bas ?
  5. Conclusion
  6. Bibliographie

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