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Pourquoi et comment votons-nous ?

Publié le 07 avril 2012 par Serdj

Je tente ici une petite théorie mathématique personnelle pour répondre à la question : pourquoi les gens votent-ils et comment votent-ils aux élections présidentielles ?  Attention, il ne s'agit pas ici d'analyser mathématiquement la procédure de vote, mais pourquoi, en leur fort intérieur, les gens votent et comment ils font. Et les résultats de cette analyse sont surprenants : on ne vote pas forcément pour la personne qu'on préfère !
Pourquoi vote-t-on et comment ? Théorie mathématique du vote Considérons le 1er tour de l'élection présidentielle en France, et supposons que je préfère a priori un candidat P. Vais-je voter pour P ? Ce n'est pas sûr. Je peux aussi m'abstenir. En fait j'irai voter si je "sens" (par exemple grâce aux sondages) que P "a besoin de ma voix". Est-ce suffisant pour aller voter ? Pas sûr, parce que voter implique un certain nombre de contraintes, il faut se déplacer, c'est du temps "perdu", etc.  
Appelons donc e l'emmerdement (constant) dû  à la procédure de vote,  b le "besoin" que je ressens de voter pour un candidat particulier qui serait mon préféré, et v le sentiment qu'il faut voter de toute manière par devoir civique :
Je voterai donc si v+ b > e
e est naturellement constant, en ce sens qu'il ne dépend pas des candidats ou des sondages.
v dépend des individus,  et b dépend des préférences que j'ai pour chacun des candidat, et des résultats des sondages.
Comment évaluer v,b, et e ?

L'abstention

Je décide de m'abstenir lorsque l'une des conditions suffisantes suivante est remplie :

  1. Je n'ai aucune préférence pour un candidat, je les trouve "tous pareils"
  2. Je les trouve "tous mauvais" ou je ne me sens pas concerné par ce qu'ils disent
  3. J'ai un candidat préféré, mais ce n'est malgré tout pas vraiment le coup de coeur, et la préférence que j'ai pour lui, plus mon désir de voter par devoir civique, reste inférieure à l'emmerdement e du vote
  4. J'ai un candidat préféré, mais ce n'est pas l'amour fou, et de plus je sens qu'il n'a aucune chance alors pas la peine de se déplacer
  5. Je n'ai pas pu voter pour raison de force majeure

Quelle est la proportion d'abstentionnistes qui se sont abstenus pour chacune de ces cinq raisons ? Difficile à dire, il ne semble pas y avoir d'étude sur le sujet.
Notons que seule la raison N°4 de s'abstenir tiens compte (éventuellement) des sondages. Les autres raisons (sauf la N°5) ne dépendent que des candidats et de la manière dont ils auront su m'intéresser (ou pas).
 
A l'inverse, on peut déduire de nos raisons "abstentionnistes" que je vais voter si et seulement si :

  • soit on m'a forcé de voter (ce qui existe parfois, même en France)
  • soit TOUTES les conditions suivantes sont remplies :
  1. Je ne trouve pas que les candidats sont tous pareils : J'ai une préférence pour un (ou plusieurs) candidat(s), ou bien il y en a un que je déteste et que je veux "barrer"
  2. Je ne les trouve pas "tous mauvais", il y en a dans le tas qui ne sont pas si mal
  3. la préférence que j'ai pour le candidat pour qui je vais voter, ou mon désir de voter par devoir civique, ou la somme des deux, est supérieure à l'emmerdement e du vote
  4. Je trouve le candidat pour qui je vais voter vraiment bon, et/ou je sens qu'il a une chance de passer au second tour
  5. Je n'ai pas été empêché de voter pour une raison quelconque

Le score de l'abstention aux élections présidentielles est certes élevé, (16 à 28% au 1er tour) mais il reste minoritaire, donc une majorité de Français satisfont chacune de ces cinq conditions !
Supposons maintenant que je satisfasse à ces cinq conditions, et que donc je décide de voter. Comment vais-je choisir mon bulletin de vote ?

Le choix du candidat pour qui je vais voter

En fait, on peut recenser différentes raisons de voter :

  1. "conviction" : Je vote parce que j'aime beaucoup un des candidats, ou son programme, ou ses idées, ou bien parce que je suis la ligne du parti, et je me fiche pas mal des sondages
  2. "citoyenne" : Je vote parce que voter est un acte citoyen, et je vote pour celui que j'estime le moins mauvais (ou blanc si je pense qu'ils sont tous mauvais !) en me fichant pas mal des sondages
  3. "coup de pouce" : Je vote parce que je sens que mon candidat préféré est "un peu juste", ou mal placé, et je veux lui donner un coup de pouce
  4. "utile" : Je vote pour favoriser le meilleur (ou le moins mauvais) des deux candidats dont je pense qu'ils ont des chances d'être au second tour
  5. "obstruction" : Je vote parce que je déteste un candidat qui est très bien placé dans les sondage, et qui ira probablement au second tour, et donc je vote pour son adversaire direct.
  6. "barrage" : Aucun des candidats bien partis pour le second tour ne me plaît, mais celui qui est troisième est (selon moi) encore pire donc je vote pour le moins bien placé des deux premiers, pour éliminer le troisième.
  7. "consigne" : Je vote parce que mon entourage m'a dit qu'il fallait le faire, et je vote pour le candidat qu'on m'a désigné (cela existe dans certaines familles)

Naturellement je peux aussi décider de voter pour plusieurs de ces raisons... Hum, est-ce si sûr ? En fait seules les raisons 1 et 2 sont compatibles, et même quasi identiques.  Elles ont pour point commun que l'on vote alors en se moquant des sondages et que l'on vote pour celui qu'on estime meilleur (ou moins mauvais). Il n'y a qu'un seul cas où les raisons 1 et 2 sont différentes, c'est lorsque je vote blanc.
La raison 7 est particulière, parce que l'on vote en suivant les "consignes" d'une personne qui a choisi son candidat selon l'une des 6 autres raisons. Nous pouvons donc l'ignorer dans notre étude.
Hypothèse  : Pour déterminer si nous allons voter, et pour qui, nous tenons compte, d'une part, de nos préférences (ou détestation !) personnelles vis à vis des candidats, et d'autre part des classements "d'intentions de vote" fournis par les sondages. Et c'est tout.  
Pour formaliser tout cela, nous introduisons donc une "échelle de préférence" allant de 0 à 1, telle que la préférence 0 signifie "je hais viscéralement ce type"; 0,2 signifierait "ce type est nul", 0,5 signifie "il me laisse indifférent", 0,8 signifie "ce candidat me plait beaucoup", et 1 signifie "c'est de très loin le meilleur, les autres ne lui arrivent pas à la cheville".
Nous allons classer maintenant les candidats par ordre de préférence décroissante dans les sondages.  Le candidat 1 sera le mieux placé, 2 sera le suivant dans les sondages, etc.
Appelons p(i) la préférence a priori que j'ai pour le candidat i, sans tenir compte des sondages.
Appelons s(i) le score (en pourcentage) du candidat i dans les sondages ; ainsi s(1) est le score du meilleur candidat dans les sondages et s(2)  le score du second etc.
Appelons P le candidat qui atteint p(P) = max(p(i)) , mon candidat préféré (ou moins détesté).
Appelons v l'intensité du sentiment qu'il faut voter, de toute manière.
Appelons n le seuil minimum de préférence pour qu'un candidat qui dépasse ce seuil soit jugé "non nul" : c'est le seuil de nullité.  On peut l'estimer à 0,2
Rappelons que e désigne l'emmerdement (constant) dû  à la procédure de vote
Maintenant nous pouvons préciser les raisons d'un vote :

  1. "conviction" : Je vote selon la raison 1 si v+max(pi) > e et je vote pour le candidat p qui atteint ce max.
  2. "citoyenne" : Je vote selon la raison 2 de la même manière, sauf si max(p(i)) < n, auquel cas je vote blanc parce que je juge tous les candidats "nuls".
  3. "coup de pouce" : Je vote (et je vote pour P) selon la raison 3 si  :
    • P > 1 (mon candidat préféré n'est pas le  meilleur dans les sondages), et
    • v+p(P) > e (le désir que P gagne, plus le sentiment que je dois voter de toute manière, sont supérieur à l'emmerdement de voter), 
    • mais cela ne suffit pas. Il faut que je sente que mon vote soit utile, c'est à dire que l' écart entre mon candidat P et celui qui est juste devant dans le sondages, c'est à dire P-1, ne soit pas trop grand, sinon je me dis que ça ne sert à rien :  s(P-1) > s(P) + 7%, car au delà de 7% d'écart je ne pense pas que mon vote soit utile à P.
  4. "utile" : Je vote "utile" pour le candidat u  selon la raison 4, à savoir pour u=1 si p(1) > p(2) et pour u=2 si p(1) < p(2), mais pour cela il faut que l'écart de sondage entreP (mon candidat préféré) et u soit grand  (disons supérieur à 10%); c'est à dire s(2) - s(u) > 10%, et de plus il faut que le désir que j'ai de voter pour u soit supérieur à l'emmerdement du vote : v+p(u) > e
  5. "obstruction" : Je vote selon la raison 5  si, soit :
    •  p(1) < n (je déteste le candidat le mieux placé, je le trouve nul) , dans ce cas je vote pour 2 (le second dans les sondages), 
    • ou si p(2) < n ; dans ce cas je vote pour 1
    • Mais cela ne suffit pas : pour que je vote pour l'adversaire direct a du candidat le mieux placé, il faut aussi que le désir que j'ai de voter pour lui soit supérieur à l'emmerdement du vote :  v+p(a) > e  
    • Et de plus il faut que mon candidat préféré soit mal placé et n'ait aucune chance d'arriver au second tour (sinon c'est pour lui que je voterais !) :  P > 3
  6.  La raison 6 ("barrage") est particulièrement tordue : je voterai selon cette raison si  j'estime que  les deux premiers candidats selon les sondages sont "mauvais" (c'est à dire que ma préférence pour eux est < 1/2), mais si le troisième est encore pire. Donc je voterai pour le candidat 2 si :
    • p(1) < 1/2, et 
    • p(2) < 1/2, et  
    • p(3) < min(p(1), p(2))  
    • Mais en fait il faut aussi que le désir que j'ai de "barrer la route" au candidat 3 en votant pour 2 soit supérieur à l'emmerdement du vote, c'est à dire v+p(2) > e 

Que peux-t-on tirer de tout cela ?

Le vote blanc

D'abord que le seul cas qui peut éventuellement conduire à un vote blanc est le cas 2), ce qui implique que mon candidat préféré n'atteint même pas le score de préférence de 0,3.
C'est apparemment un cas rare (environ 3% semble-t-il en France)

Le choix du bulletin de vote : Les sondages sont des mensonges !

Pourquoi vote-t-on et comment ? Théorie mathématique du vote
Donnons un exemple : prenons un sondage réalisé avant le 1er tour de l'élection présidentielle de 2012, et limitons nous aux 7 premiers candidats :

  1. Sarkozy 29%
  2. Hollande 26,5%
  3. Le Pen 16,5%
  4. Mélanchon 12,5%
  5. Bayrou 10%
  6. Joly 3%
  7. Dupont-Aignant 1,5%

Maintenant il faut distinguer deux cas :
1) je me fiche des sondages ; je vote donc selon la raison 1 "conviction" ou 2 "citoyenne", et je vote pour mon candidat préféré (ou blanc si je n'en ai vraiment aucun)
2) je suis préoccupé par les sondages :

  • Je peux alors voter "coup de pouce" pour Hollande, Le Pen, Mélanchon, ou Bayrou ; les autres sont trop loin.
  • ou alors je vote "utile" : pour Sarkozy (bien que mon candidat préféré soit Le Pen ou Bayrou ou Dupont-Aignant), ou pour Hollande (bien que mon candidat préféré soit Mélanchon ou Bayrou ou Joly)
  • ou alors je vote "obstruction", pour Sarkozy parce que je déteste Hollande, ou pour Hollande parce que je déteste Sarkozy, aucun des deux n'étant pourtant mon candidat préféré
  • ou alors je vote "barrage" pour Hollande parce que je déteste Le-Pen (notons que si Hollande repasse devant Sarkozy, alors c'est pour Sarkozy que je voterai, toujours pour faire barrage à Le-Pen, et c'est au second tout que je me déciderai selon mes convictions !)

Si la moitié des français se fiche des sondages et l'autre moitié est préoccupée par eux, alors la moitié des français ne votent pas, au premier tour, pour leur candidat préféré ! On voit à quel point les sondages dits "d'intentions de vote" ne reflètent pas les préférences réelles des français, et à quel point ces sondages pervertissent l'élection.


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