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Richard Canal, une SF sans dieu ni maître (3)

Publié le 08 avril 2012 par Zebrain

aurore26-1988.jpgLe cri politique de révolte n’existe évidemment que grâce au formidable pouvoir d’évocation de l’écriture. Jamais, nulle part, on ne peut séparer artificiellement fond et forme, vieux sujet bateau pour bacheliers attardés. Ne s’attacher qu’au discours tenu, aux “idées” qu’il faut développer, conduit au risque de confusion dans lequel sombra la “SF politique française” dans la deuxième moitié des années soixante-dix, assez loin de la littérature (10). Privilégier la forme, a contrario, conduit tout droit au plus profond des impasses franchement limites de l’art pour l’art, option qui néglige les rapports de l’artiste au monde et ne peut que s’enfermer dans sa propre contemplation.

Canal ne se reconnaît guère dans les chapelles de la SF française, et ne s’est jamais privé de le dire. S’il est une œuvre dans laquelle le propos tenu n’est jamais loin de la manière dont il est tenu, ce sera celle de Richard Canal. Styliste, a-t-on dit de lui, et j’ai déjà employé les qualificatifs de lyrique et de romantique. La science-fiction, selon lui ? “Une forme de surréalisme avec plein d’espace autour” (11). Il parle alors, voici sept ans, des imbrications, des détournements qui font de ses textes des puits sans fond. Il évoque les tâches d’élagage et de ciselure que réclame son style. Aujourd’hui, il n’y a rien à retirer de ces propos : la vision politique anti-manichéenne de Canal se pare d’une écriture toujours remarquable.

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Une écriture qui a gagné au fil des livres en maîtrise, en profondeur, en beauté (ce n’est pas au hasard que je convoque une catégorie esthétique). Car effectivement cette écriture est adéquate au type de littérature qu'elle illustre : écrivain d'images, fasciné par l'esthétique et l'œuvre d'art, motif présent dès son premier roman, Canal use d’une plume maniant symboles et allégories, qui se fait miroir de ce qu'elle donne à voir. Certes, on l’a vu, la thématique est plus riche encore, et se concentre autour de la désagrégation, de la délitescence. Mais toujours, elle travaille par le biais d'images fortes et témoigne d'une inventivité sans cesse revivifiée.

Nul ne naît à la littérature tout armé. Une écriture se cherche parfois longtemps. Chez Richard Canal, oscillant de la préciosité au dialogue “blanc” style polardeux, elle semble s’être finalement trouvée dans un registre lyrique fait d’éclats et d’explosions enchâssés, avec une indéniable vitalité dans l’évocation — une évocation qui tient autant de la mise au jour d’une autre réalité, bref d’une “vision”, que d’une simple description littéraire.

Dominique Warfa


(10) Quoiqu’il faille relire aujourd’hui cette période d’un oeil débarrassé de tout a priori, et que l’on y découvrirait ainsi bien moins de ce que ses adversaires nommaient “tracts” que l’on a pu le croire en suivant certaines critiques d’alors. Il y a des enterrements trop rapides qui confondent pépites et scories. A moins qu’il n’ait véritablement fallu, en ces années quatre-vingt riches de golden boys, assassiner le discours proprement politique ? Il est temps, dès lors, d’y revenir. Richard Canal y contribue bien.

(11) Dans l’entretien déjà cité avec Richard Comballot.


Galaxies, n°7, décembre 1997


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