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Citations de Freud sur la religion : désaide, détresse, névrose et besoin religieux

Publié le 11 juin 2007 par Naravas

Freud et la religion

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            Plusieurs réflexes d’indignation face à la critique des religions m’ont poussé à mettre ce texte en ligne. Pour rappeler par exemple qu’une affaire comme celle des caricatures danoises est du pipi de chat devant les puissantes analyses que les sciences sociales ont produites sur (et parfois contre) la religion. Pour dire que cette critique est non seulement nécessaire mais elle cible le plus souvent ce qu'il y a de plus humain dans la formation et la pratique religieuses. Les sociologues et les psychologues critiquent moins Dieu que les orthodoxies, les dogmes et les impensés humains auxquels ce Dieu se trouve associé.

Nous avons en Sigmund Freud (1856-1939) – trop cité, et peu lu –   l’un des penseurs les plus perspicaces et les plus terribles à l’endroit des religions. Nous avons essayé à travers les quelques citations qui vont suivre d'esquisser sa vision singulière de la religion, tout en espérant vous donner le goût d'aller découvrir cette pensée riche et percutante...

La religion explique le monde :
« Nous arrivons ainsi à cette singulière conclusion : de tout notre patrimoine culturel, c'est justement ce qui pourrait avoir pour nous le plus d'importance, ce qui a pour tâche de nous expliquer les énigmes de l'univers et de nous réconcilier avec les souffrances de la vie, c'est justement cela qui est fondé sur les preuves les moins solides. » (AI, p. 28)

Je crois mais je doute…
« Cette impossibilité [de prouver les doctrines religieuses] a été reconnue de tout temps, et certai­nement aussi par les ancêtres qui nous ont légué cet héritage. Sans doute

beaucoup d'entre eux ont-ils nourri les mêmes doutes que nous, mais une pression trop forte s'exerçait sur eux pour qu'ils osassent les exprimer. Et depuis lors, d'innombrables hommes ont été tourmentés des mêmes doutes, doutes qu'ils auraient voulu étouffer, parce qu'ils pensaient de leur devoir de croire » (AI, p. 28)

J’y crois parce que c’est absurde :
« Il faut à présent mentionner deux tentatives, qui font toutes deux l'impres­sion d'un effort spasmodique pour éluder le problème. L'une, de l'ordre de la violence, est ancienne ; l'autre est subtile et moderne. La première est le Credo quia absurdum des Pères de l’Église. Ce qui revient à dire que les doc­trines religieuses sont soustraites aux exigences de la raison ; elles sont au-dessus de la raison. Il faut sentir intérieurement leur vérité ; point n'est nécessaire de la comprendre. Seulement ce Credo n'est intéressant qu'à titre de confession individuelle ; en tant que décret, il ne lie personne. Puis-je être contraint de croire à toutes les absurdités ? Et si tel n'est pas le cas, pourquoi justement à celle-ci ? Il n'est pas d'instance au-dessus de la raison. Si la vérité des doctrines religieuses dépend d'un événement intérieur qui témoigne de cette vérité, que faire de tous les hommes à qui ce rare événement n'arrive pas ? On peut réclamer de tous les hommes qu'ils se servent du don qu'ils possèdent, de la raison, mais on ne peut établir pour tous une obligation fondée sur un facteur qui n'existe que chez un très petit nombre d'entre eux. En quoi cela peut-il importer aux autres que vous ayez, au cours d'une extase qui s'est emparée de tout votre être, acquis l'inébranlable conviction de la vérité réelle des doctrines religieuses ? » (AI, p. 29)

« C'est de nouveau une illusion que d'attendre quoi que ce soit de l'intuition ou de l'introspection ; l'intuition ne peut nous donner que des indications - difficiles à interpréter - sur notre propre vie psychique, jamais le moindre renseignement relatif aux questions auxquelles la doctrine religieuse trouve si aisément des réponses. » (AI, p. 33)

Les dogmes religieux sont des désirs humains…
« Ces idées, qui professent d'être des dogmes, ne sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus puissant. L'angoisse hu­maine en face des dangers de la vie s'apaise à la pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du système religieux. Et c'est un formidable allégement pour l'âme individuelle que de voir les conflits de l'enfance émanés du complexe paternel - conflits jamais entièrement résolus -, lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une solution acceptée de tous. […]

Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. […] Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains; elle se rapproche par là de l'idée délirante en psychiatrie […] » (AI, pp. 31-32)

Religion et besoin infantile d’aide et de protection :
« Quant aux besoins religieux, leur rattachement à l'état infantile de dépendance absolue, ainsi qu'à la nostalgie du père que suscite cet état, me semble irréfutable, d'autant plus que ledit sentiment n'est pas simplement dû à une survivance de ces besoins infantiles, mais qu'il est entretenu de façon durable par l'angoisse ressentie par l'homme devant la prépondérance puissante du sort. je ne saurais trouver un autre besoin d'origine infantile aussi fort que celui de protection par le père. » (MC, p. 11)

« Car cette situation n'est pas nouvelle, elle a un prototype infantile, dont elle n'est en réalité que la continuation. Car nous nous sommes déjà trouvés autrefois dans un pareil état de détresse, quand nous étions petit enfant en face de nos parents. Nous avions des raisons de craindre ceux-ci, surtout notre père, bien que nous fussions en même temps certains de sa protection contre les dangers que nous craignions alors. Ainsi l'homme fut amené à rapprocher l'une de l'autre ces deux situations, et, comme dans la vie du rêve, le désir y trouve aussi son compte. […] De même l'homme ne fait pas des forces naturelles de simples hommes avec lesquels il puisse entrer en relation comme avec ses pareils - cela ne serait pas conforme à l'impression écrasante qu'elles lui font - mais il leur donne les caractères du père, il en fait des dieux, suivant en ceci non pas seulement un prototype infantile mais encore phylo­génique […] » (MC, p. 18-19)

« Mais la détresse humaine demeure et avec elle la nostalgie du père et des dieux. Les dieux gardent leur triple tâche à accomplir : exorciser les forces de la nature, nous réconcilier avec la cruauté du destin, telle qu'elle se manifeste en particulier dans la mort, et nous dédommager des souffrances et des privations que la vie en commun des civilisés impose à l'homme. » (AI, p. 19)

« Ainsi se constitue un trésor d'idées, né du besoin de rendre supportable la détresse humaine, édifié avec le matériel fourni par les souvenirs de la détresse où se trouvait l'homme lors de sa propre enfance comme aux temps de l'enfance du genre humain. Il est aisé de voir que, grâce à ces acquisitions, l'homme se sent protégé de deux côtés : d'une part contre les dangers de la nature et du destin, d'autre part contre les dommages causés par la société humaine. » (AI, p. 19)

La foi et le délire :
« les doctrines religieuses sont toutes des illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d'entre elles sont si invraisemblables, tellement en contra­diction avec ce que nous avons appris, avec tant de peine, sur la réalité de l'univers, que l'on peut les comparer -en tenant compte comme il convient des différences psychologiques - aux idées délirantes. » (AI, p.33)

La religion est ce que nous nous souhaitons :
« Nous savons à peu près à quelle époque et par quelle sorte d'hommes les doctrines religieuses ont été créées. Si nous apprenons encore en vertu de quels motifs elles le furent, le point de vue d'où envisager le problème religieux subira un déplacement notable. Nous nous dirons : il serait certes très beau qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie future, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes. » (AI, p. 34)

Sans la religion qui nous limite, ce sera l’anarchie !
Question : « Si l'on vient à apprendre aux hommes qu'il n'y a pas de Dieu très juste et tout-puissant, par d'ordre divin de l'univers et pas de vie future, alors ils se sentiront exempts de toute obligation de suivre les lois de la civilisation. Sans inhibitions, libéré de toute crainte, chacun s'abandonnera à ses instincts asociaux, égoïstes, et cherchera à établir son pouvoir. Le chaos, que nous avons banni par un travail civilisateur millénaire, recommencera. » (AI, p. 36)

Réponse  ; « il y aurait un indubitable avantage à laisser Dieu tout à fait en dehors de la question et à avouer honnêtement l'origine purement humaine de toutes les institutions et prescriptions de la culture. En même temps que tomberait leur prétention à une origine sacrée, cesserait aussi la rigidité et l'immutabilité de ces lois et ordonnances. Les hommes seraient mis à même de comprendre que celles-ci ont été créées bien moins pour les maîtriser que dans leur propre intérêt, ils auraient envers elles une attitude plus amicale, et au lieu de viser à les abolir, ils viseraient seulement à les améliorer. Ce serait là un progrès important dans la voie qui conduit les hommes à se réconcilier avec la pression qu'exerce sur eux la civilisation. » (AI, p. 42)

D’innombrables humains trouveraient leur bonheur dans la religion…
Question : « D'innombrables humains trouvent dans les doctrines de la religion leur consolation unique, ne peuvent supporter la vie que grâce à ce secours. Et on voudrait leur retirer cet appui sans avoir rien de meilleur à leur offrir en échange. » (AI, p. 36)

Réponse : « Il est douteux que les hommes, au temps où la religion régnait en maîtresse absolue, aient été dans l'ensemble plus heureux qu'aujourd'hui ; en tout cas ils n'étaient certes pas plus moraux. Ils se sont toujours entendus à transformer les prescriptions religieuses en pratiques extérieures, déjouant par là les intentions de ces préceptes. Et les prêtres, dont la fonction était de veiller à l'observance de la religion, se faisaient à demi leurs complices. La bonté de Dieu devait paralyser sa justice. On péchait, puis on apportait des offrandes ou bien l'on faisait pénitence, et alors on était libre de pécher à nouveau. […] Il est de notoriété publique que les prêtres ne purent maintenir la soumission des foules à la religion qu'au prix de ces grandes concessions aux instincts des hommes. Et on en demeura là : Dieu seul est fort et bon, l'homme est faible et pécheur. De tout temps, l'immoralité a trouvé dans la religion autant de soutien que la moralité.» (AI, p. 38-39)

La religion est la névrose obsessionnelle de l’humanité :
« Aux époques d'igno­ran­ce et de faiblesse intellectuelle qu'elle a d'abord traversées, l'humanité ne pouvait réaliser les renoncements aux instincts indispensables à la vie en commun des hommes qu'en vertu de forces purement affectives. Et le résidu de ces démarches, analogues au refoulement, qui eurent lieu aux temps préhis­toriques, subsistent longtemps en tant que partie intégrante de la civilisation. La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l'humanité; comme celle de l'enfant, elle dérive du complexe d'Oedipe, des rapports de l'enfant au père. D'après ces Conceptions, on peut prévoir que l'abandon de la religion aura lieu avec la fatale inexorabilité d'un processus de croissance, et que nous nous trouvons à l'heure présente justement dans cette phase de l'évolution. » (AI, p.44)

« On pourrait presque dire qu'une hystérie est une oeuvre d'art déformée, qu'une névrose obsessionnelle est une religion déformée et une manie paranoïaque un système philosophique déformé. » (TT, p.65)

La religion est un système d’illusions avec négation de la réalité :
« Si d'une part la religion comporte des entraves d'ordre compulsionnel, telles que seule la névrose obsessionnelle de l'individu en présente, d'autre part elle implique un système d'illusions créées par le désir, avec négation de la réalité, système tel qu'on le retrouve, à l'état isolé, seulement dans la psychose hallucinatoire, qui est un état de confusion mentale bienheureux. Ce ne sont certes là que des comparaisons, comparaisons grâce auxquelles nous nous efforçons de comprendre le phénomène social » (p.44)

La religion devrait être remplacée par des prescriptions rationalisées :
[Les] résidus historiques [des religions] nous ont permis de concevoir, pour ainsi dire, les dogmes religieux comme des survivances névrotiques et nous sommes maintenant autorisés à dire que sans doute a sonné l'heure de remplacer - ainsi que dans le traitement analytique des névrosés - les conséquences du refoulement par les résultats du travail mental rationnel. […]. On ne peut guère le regretter. » (p.45)

« Nous sommes arrivés à la conviction qu'il vaut mieux s'abstenir de semblables déguisements symboliques de la vérité » (p. 45)

La religion freine l’intelligence des enfants :
« Pensez au contraste attristant qui existe entre l'intelligence rayonnante d'un enfant bien portant et la faiblesse mentale d'un adulte moyen. Est-il tout à fait impossible que ce soit justement l'éducation religieuse qui soit en grande partie cause de cette sorte d'étiolement ? Je crois qu'il faudrait longtemps avant qu'un enfant à qui l'on n'en aurait rien dit commençât à s'inquiéter de Dieu et des choses de l'au-delà. Peut-être les idées qu'il s'en ferait suivraient-elles les mêmes voies que chez ses ancêtres, mais on n'attend pas que s'accomplisse cette évolution, on lui impose les doctrines religieuses à un âge où il ne peut leur porter d'intérêt et où il n'est pas capable d'en saisir la portée. Les deux points principaux des programmes pédagogiques actuels ne sont-ils pas de retarder le dévelop­pement sexuel de l'enfant et de le soumettre de bonne heure à l'influence de la religion ? Quand alors l'enfant s'éveille à la pensée, les doctrines religieuses sont déjà devenues pour lui inattaquables. Croyez-vous cependant qu'il soit favorable au renforcement de la fonction intellectuelle qu'un domaine d'une telle importance soit interdit à la pensée de par la menace des peines de l'enfer ? Nous n'avons pas à nous étonner outre mesure de la faiblesse intellectuelle de quiconque une fois parvenu à accepter sans critique toutes les absurdités que toutes les doctrines religieuses comportent et à fermer les yeux devant les contradictions qu'elles impliquent. Cependant nous n'avons pas d'autre moyen de maîtriser nos instincts que notre intelligence. Et comment peut-on s'attendre à ce que des personnes, qui sont sous l'influence de certaines prohibitions de penser, atteignent cet idéal qui devrait être réalisé en psychologie, la primauté de l'intelligence ? » (AI, p. 48).

La religion a le même effet que les narcotiques :
« L'effet des consolations que la religion apporte à l'homme peut être mis en parallèle avec celui des narcotiques » (AI, p. 49)

Ce que deviendrait l’homme sans religion :
« Sans aucun doute l'homme alors se trouvera dans une situation difficile ; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa petitesse dans l'ensemble de l'univers ; il ne sera plus le centre de la création, l'objet des tendres soins d'une Providence bénévole. Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers hostile. On peut appeler cela « l'éducation en vue de la réalité » ; ai-je besoin de vous dire que mon unique dessein, en écrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès ? » (p. 49)

Dieu est un père grandiosement magnifié :
« Cette providence, l'homme simple ne peut se la représenter autrement que sous la figure d'un père grandiosement magnifié. Seul, un tel père peut connaître les besoins de l'enfant humain, se laisser fléchir par ses prières ou adoucir par ses repen­tirs. Tout cela est évidemment si infantile, si éloigné de la réalité, que, pour tout ami sincère de l'humanité, il devient douloureux de penser que jamais la grande majorité des mortels ne pourra s'élever au-dessus de cette conception de l'existence. » (MC, p. 13)

« A présent que Dieu était l'unique, les relations de l'homme à lui pou­vaient recouvrer l'intimité et l'intensité des rapports de l'enfant au père. Qui avait tant fait pour le père voulait aussi en être récompensé ; au moins être le seul enfant aimé du père, le peuple élu. » (AI, p. 20)

« Cependant la relation au père est affectée d'une ambivalence particulière. Le père constituait lui-même un danger, peut-être en vertu de la relation primitive à la mère. Aussi inspire-t-il autant de crainte que de nostalgie et d'admiration. Les signes de cette ambivalence marquent profondément toutes les religions, comme je l'ai mon­tré dans Totem et Tabou. Et quand l'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné à rester a jamais un enfant, qu'il ne pourra jamais se passer de protection contre des puissances souveraines et inconnues., alors il prête à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux, dont il a peur, qu'il cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche de le protéger. Ainsi la nostalgie qu'a de son père l'enfant coïncide avec le besoin de protection qu'il éprouve en vertu de la faiblesse humaine ; la réaction défensive de l'enfant contre son sentiment de détresse prête à la réaction au sentiment de détresse que l'adulte éprouve à son tour, et qui engendre la religion, ses traits caractéristiques » (AI, p. 25)

La religion est fondée sur l’intimidation de l’intelligence :
« La religion porte préjudice à ce jeu d'adaptation et de sélection en imposant uni­for­mément à tous ses propres voies pour parvenir au bonheur et à l'immunité contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l'image du monde réel, démarches qui ont pour postulat l'intimidation de l'intelligence. A ce prix, en fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d'êtres humains une névrose individuelle, mais c'est à peu près tout. Il y a, nous l'avons dit, quantité de chemins pour conduire au bonheur, tel du moins qu'il est accessible aux hommes ; mais il n'en est point qui y mène à coup sûr. La religion elle-même peut ne pas tenir sa promesse. Quand le croyant se voit en définitive contraint d'invoquer les « voies insondables de Dieu », il avoue implicitement que, dans sa souffrance, il ne lui reste, en guise de dernières et uniques consolation et joie, qu'à se soumettre sans conditions. Et s'il est prêt à le faire, il aurait pu sans doute s'épargner ce détour. » (MC, pp. 21-22)

Religion de l’amour :
« C'est pourquoi une religion, alors même qu'elle se qualifie de religion de l'amour, doit être sévère et traiter sans amour tous ceux qui ne lui appartiennent pas. Au fond, chaque religion est une religion d'amour pour ceux qu'elle englobe, et chacune est prête à se montrer cruelle et intolérante pour ceux qui ne la reconnaissent pas. » (PCAM, p. 34)

La religion du Père :
« C'est ainsi que dans la doctrine chrétienne l'humanité avoue franchement sa cul­pabilité dans l'acte criminel originel, puisque c'est seulement dans le sacrifice de l'un des fils qu'elle a trouvé l'expiation la plus efficace. La réconciliation avec le père est d'autant plus solide qu'en même temps que s'accomplit ce sacrifice, on proclame la renonciation à la femme qui a été la cause de la rébellion contre le père. Mais ici se manifeste une fois de plus la fatalité psychologique de l'ambivalence. Dans le même temps et par le même acte, le fils, qui offre au père l'expiation la plus grande qu'on puisse imaginer, réalise ses désirs à l'égard du père. Il devient lui-même dieu à côté du père ou, plus exactement, à la place du père. La religion du fils se substitue à la religion du père. Et pour marquer cette substitution, on ressuscite l'ancien repas totémi­que, autrement dit on institue la communion, dans laquelle les frères réunis goû­tent de la chair et du sang du fils, et non du père, afin de se sanctifier et de s'iden­tifier avec lui. C'est ainsi qu'en suivant, à travers les époques successives, l'iden­ti­té du repas totémique avec le sacrifice animal, avec le sacrifice humain théoanthro­pique et avec l'eucharistie chrétienne, on retrouve dans toutes ces solennités l'écho et le retentissement du crime qui pesait si lourdement sur les hommes et dont ils devaient pourtant être si fiers. Mais la communion chrétienne n'est, au fond, qu'une nouvelle suppression du père, une répétition de l'acte ayant besoin d'expiation. » (TT, p. 134)

Les malheurs renforcent la religion :
« Le sort est considéré comme un substitut de l'instance parentale ; si le malheur nous frappe, cela signifie qu'on a cessé d'être aimé par cette autorité toute-puissante. Ainsi menacé de ce retrait d'amour, on se soumet derechef aux parents représentés par le Surmoi, alors que dans le bonheur on les négligeait. Ceci devient particulièrement clair quand on ne voit dans le sort, au sens religieux strict, que l'expression de la volonté divine. Le peuple d'Israël s'était considéré comme l'enfant préféré de Dieu, et lorsque le Père tout-puissant fit fondre malheurs sur malheurs sur son peuple élu, ce dernier ne mit pourtant nullement en doute cette préférence, comme il ne douta pas un instant de la puissance et de la justice divines. Mais il engendra d'autre part les prophètes, lesquels lui reprochaient sans cesse ses péchés ; et il tira de son sentiment de culpabilité les règles excessivement rigoureuses de sa religion de prêtres. » (MC, p. 55)

Références:

AI : L’avenir d’une illusion, 1927,
TT : Totem et tabou, 1912
MC : Malaise dans la culture, 1929
PCAM : Psychologie collective et analyse du moi, 1921

Tous ces livres sont gratuitement téléchargeables sur le site des Classiques des sciences sociales
(Les traductions sont évidemment anciennes ; une traduction récente des Œuvres de Freud existe chez les PUF.)



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