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Testudines à la spiruline pour un prince dénué

Publié le 18 avril 2012 par Nathalie Ruas

Prince-denue 0804Elliot du Néant, formidable opus publié par les non moins formidables éditions La Volte, m'a offert deux expériences rares, voire une complètement inédite.
Au fur et à mesure que je nageais dans ce roman (réalisant ainsi symboliquement mon rêve de nager avec des tortues), je ne cessais de tourner et retourner dans mon esprit les motifs que je tisserai ici. Et ils s'imposaient selon l'expression trouvée p. 201 comme « une farandole de superlatifs ».
Déjà par le passé, David Calvo m'avait enthousiasmée, séduite, ne mâchons pas nos mots, subjuguée. Mais là comment dire ? Eh bien j'emprunterai aux enfants cette formule incorrecte, si juste pourtant. Ce roman est « le plus mieux » que David Calvo ait jamais écrit, à mon goût bien sûr.
J'ai réussi à en faire un résumé pour ma chronique à paraître dans le Français dans le monde.
Mais ayant plus de place ici, je reprendrai la 4e de couv' :
« Islande, 1986. Un hiver sans soleil. Une île au bord de l'implosion volcanique. Un monde sans Internet, sans téléphones portables, à l'aube d'une nouvelle ère digitale.
Dans une petite école d'Hafnafjordur, entre une falaise arpentée par les fées et un champ de lave hanté par le passé, se noue un drame cosmique aux fantastiques implications. Où est passé Elliot, le très vieux concierge muet et autiste, à la veille d'une dernière kermesse ? Comment a-t-il réussi à quitter une chambre sans fenêtres, fermée de l'intérieur ? Bracken, le professeur de dessin parti à sa recherche, va mettre au jour un impossible secret, écho des plus vieux mythes islandais, où absurde, poésie et terreur se confondent dans le mystère d'un dangereux cache-cache. »
 
J'ai lu ce texte presque en apnée, ne cessant d'y trouver des échos à des émotions profondes, des expériences intimes.
J'y ai lu la difficulté de grandir, de renoncer à cette période où, selon le mot de Peter Pan, même «Mourir va être une sacrée aventure » (d'ailleurs p.  176, il éprouve des frissons nouveaux et "tout devint aventure". Cette envie de ne pas quitter cet âge d'or pendant lequel « tout est encore possible, on n'a pas compris la finitude du corps. » s'accompagne d'une observation tendre des enfants, ceux en qui « la féérie s'incarne tous les jours ».
Pour ne pas quitter cette enfance, Bracken a trouvé « un endroit où il s'enferme pour être jeune à jamais » mais il souligne aussi la vanité de ce refuge :
« Si Elliot est le vieil homme que je me refuse à devenir, lui courir après c'est rester toute sa vie un enfant à la poursuite d'une lubie. »
.
Si l'on protège une part d'enfance, elle nous garantit un accès à des savoirs perdus dans le cas contraire
« L'enfant en moi a toujours su qu'il existait quelque part un lieu où les poètes allaient puiser leur inspiration visitant l'île des morts. »
Mais c'est aussi l'enfance du monde avec laquelle Bracken souhaite renouer, retrouver « la pensée archaïque, loin de l'arrogance raisonneuse »
Cette innocence primitive se confond avec un horizon d' « éternité, la conscience simple d'un monde sans choix où toutes les décisions sont prises ensemble. Le mot et le dessin jaillissent d'un même élan. »
Le côté Peter Pan a forcément joué dans mon sentiment de proximité voire de communion.
Mais Lewis Carroll n'est pas très loin non plus avec ce morse qui nourrit l'âme de la mer (l'amer ?) et abreuve Bracken de ses conseils de sage blasé :
« Laisse sécher tes rêves, laisse-nous ramer »
« Contentez-vous de ce que vous avez, on vit mieux ainsi croyez-moi »
J'ai croisé aussi une référence à un autre univers qui a beaucoup compté dans la construction de mon imaginaire, à savoir Philémon de Fred.
« Comme si nous devions marcher sur les lettres des pays figurant sur une carte. »
L'ombre des surréalistes plane aussi sur le récit, Breton en quête de son point sublime aurait sans doute apprécié de croiser "l'ombre qui ôte la différence et qui résout les paradoxes en les repliant ou cet "état de grâce où tout est possible, où toutes les contradictions se résolvent dans la joie de l'imaginaire."
Le héros ne cesse de se questionner, et rentre là en résonance avec le Zhuāngzǐ
« Ou bien est-ce moi la tortue dans le sac plastique ?
Suis je prisonnier d'un monde que rejette ma raison ?
Comment savoir si ce qui s'expérimente à l'instant n'est pas le fruit d'un sommeil profond ?
Peut-être y suis-je toujours à chercher des réponses aux questions que nous ici avons renoncé à nous poser... »
Il se projette dans des destins possibles
« Je serai devenu comme les autres un rêveur l'esprit encombré de ses souvenirs fragmentés » ou encore
« M'établir en archéologue de château de sable »
Il revisite aussi l'absurde, sentiment qu'il assimile au quotidien des vieux.
« L'enfer est un point de vue. L'enfer est peut-être bleu »


Point de misérabilisme cependant.
L'absurde flirte souvent avec le comique (et le cosmique aussi).
« Si seulement elles [les tortues] pouvaient parler ». Or, elles sont douées de plus de paroles que de mémoire mais les autres personnages ne les entendent pas...
Il épingle les dérives de notre époque :
La vanité de notre existence, toujours à vouloir échanger  une valeur contre une autre.
« Nous bradons le monde pour avoir le choix. La vie est un jeu à somme nulle. »
 
Revenu du Néant, il tire des enseignements de cette initiation
« J'ai appris que certaines choses quand elles nous donnent la paix doivent rester confinées dans cette zone étrange entre la certitude et l'impossible où semble somnoler toute la menace d'un mythe.
L'entre deux est toujours un moment passé ms aucun être humain qui éprouve du désir ou de l'attachement ne peut y demeurer éternellement. »
Transfiguré par son expérience il veut réenchanter le monde et ses déclarations d'intention me convainquent plus que n'importe quel programme électoral actuellement disponible sur le marché français !
« Revoir enfin le merveilleux envahir le monde, le transformer »
« Je voudrais que le monde redevienne comme il était quand nos cerveaux étaient câblés pour admettre le merveilleux ».
« Restituer à tous la capacité de rêver, perdue faute de la bonne connexion. »
Il célèbre aussi l'approche ludique de la vie et se prononce en faveur de la vérité plutôt que de l'esthétisme.
« ([Elliot] était un joueur de la plus belle espèce, dont le moindre geste était un acte ludique. Et moi je peux réussir. Je ne cherche pas le beau, je cherche le vrai.
Toute entrée dans le néant se fait par le jeu. Y demeurer par contre, ça demande du SENS. »
J'ai déjà offert ce livre 5 fois et je risque de récidiver.
Un beau voyage en Islande, « un pays bâti sur une double foi », déchiré entre 2 continents où « tout est frontière, passage de l'un à l'autre, tension de l'entre-deux ».
Un voyage à prolonger à musique avec une fée islandaise un peu éclipsée par Bjork
http://www.youtube.com/watch?v=G0LrD5BgK48&feature=relmfu
http://www.youtube.com/watch?v=3kPxDBVjTUQ&feature=related
Le Drageoir retournera d'ailleurs très prochainement en Islande sur les traces de Didda Jonsdottir
Jonsdottir découverte dans le film Back Soon.
Et puisqu'on est dans la musique un morceau découvert grâce à Annabelle et qui fait écho à cette injonction de la p. 101 "Voilà la clé, il faut trouver un moyen de construire un pont"
http://www.youtube.com/watch?v=D5vDhbr5i6k
Je vous parlais d'une expérience inédite. Ce fut d'abord de trouver dans le corps du texte une référence à une alliance de saveurs que j'ai voulu recréer
« J'étale une confiture noire sur 1 pain bis.
Quand je l'avale la mélasse a un arrière goût de sel, de poivre, d'algues et de bonbon ».


Le façonnage en tortues s'est imposé.
Mais le côté le plus inédit et le plus exaltant de cette aventure, c'est que David Calvo himself a goûté à ces
 tortues.
Ca avait un côté école des fans : dans la file pour la dédicace, nous étions 3 à lui avoir amené de la tortue à déguster. Une grosse en chocolat, un banc, un troupeau (comment dit-on d'ailleurs pour les tortues ?) de petites tortues en chocolat... et mes testudines à la spiruline.
Et en les goûtant, il m'a dit que le goût était proche de ce qu'il avait en tête, qu'il avait juste imaginé une consistance plus visqueuse.
Merci à RMD qui a immortalisé l'auteur et sa petite ménagerie à croquer !
Et j'ai trouvé dans ce livre un remerciement que j'aurais aimé avoir écrit moi-même pour tous ceux qui m'ont aidée à revenir de mon propre néant.
« Amis, vous m'avez donné la force de me prendre en main, de ne plus épiloguer sur les ténèbres qui chaque jour prennent mon cœur, noient mon âme.
Vous m'avez donné la certitude de tenir debout, seule, poussée en avant par ce thorax de lumière. »
Laetitia, Valérie, Emmanuelle, Sandra, Ketty, Pierre, Ludo, Emilie, Annabelle, Diane-Olga, Karen, Aurélie, Elsa, Julie, Florence, Nicolas, Joël et Peter, ces mots sont pour vous.
Recette des  testudines à la spiruline
(fortement inspirée par une recette partagée par Emilie et issue de 'La spiruline, saveurs et vertus' de Belda Sisso)
200g de farine T80 ou complète
1 dl d’huile d’olive
1 dl d’eau
25g d'algues séchées
25 g de réglisse salée concassée en petits morceaux
15g de spiruline
1 cuillère à café rase de sel
- Mélangez la farine, la spiruline, les algues, la réglisse et le sel
- Faites une fontaine et versez-y l’huile d’olive et les deux tiers de l’eau
- Pétrissez le tout à la main jusqu’à ce que la pâte ne colle plus aux doigts. Si elle est encore dure, ajoutez peu à peu le reste de l’eau
- Laissez reposer pendant que vous préchauffez le four (thermostat 4 ou 180°)
- Séparez la pâte puis la façonnez dans la forme choisie.
- Déposez sur une tôle huilée et légèrement farinée
- Faites cuire pendant 20 min. Déposez dans un linge, couvrez
Ces petits pains se dégustent chauds mais peuvent se conserver 2-3 jours.

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David et un troupeau de tortues


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