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Un maupassant, en passsant

Par Dubruel


Déjà parus aux éditions Edifree :

Tome 1 (34 contes)

Tome 2 (40 contes)

Le texte suivant est extrait du tome 3 « 46 bonnes histoires » :

 

L’AMI JOSEPH

À Paris, il y a longtemps,

Ils s’étaient connus intimement.

Après s’être perdus de vue,

Les deux amis se rencontraient

Dans une soirée.

M. de Méroul avait vécu

En son manoir d’Aboville

D’une vie paisible

Dans l’indolence,

Sans audace d’intelligence.

Son temps, il le passait

À regretter le passé.

Joseph Moradour, un Méridional

Était conseiller général.

Il parlait sans retenue et vivement,

Disant sa pensée sans ménagement.

Il était républicain,

Sans-gêne et très peu urbain.

Il vint visiter les Méroul

Et fut assez apprécié

Malgré ses opinions avancées.

Madame de Méroul

Vénérait le Roi et le Saint-Père

Avec un dévouement héréditaire.

-Quel malheur !, un homme si charmant !

S’écriait-elle. Et son mari si tolérant

Disait à son ami :

-Vous faites du mal à notre pays !

Moradour, incongru,

Les appelait mes aimables tortues

Et se laissait aller à des déclarations

Contre les gens arriérés et les traditions.

Le ménage se taisait par convenance.

Méroul détournait la conversation

Pour éviter tout motif d’irritation :

-Maintenant, tu es chez toi, penses !

Joseph Moradour lui répondit :

-Merci, mon cher, j’y comptais.

Moi, d’ailleurs, je ne me gêne pas

Avec mes amis.

Je ne comprends l’hospitalité

Que comme ça.

Puis il alla se vêtir en paysan.

Il semblait plus jovial, plus familier

En costume des champs.

Après le déjeuner,

On alla visiter les fermes. Et le soir

Le curé dinait au manoir.

En l’apercevant,

Joseph Moradour

Le considéra avec étonnement.

Il ne l’appelait pas « Monsieur l’abbé »

Mais « Monsieur », tout court.

Ensuite il eut des blagues épicées

Vraiment trop déplacées.

Puis il l’embarrassait

Par de philosophiques considérations

Sur les diverses superstitions :

-Votre Dieu est de ceux qu’il faut respecter

Mais aussi de ceux qu’il faut discuter.

Le mien s’appelle Raison.

Il est l’ennemi de ton…

Les Méroul désespérés

S’efforçaient de détourner les idées.

Le curé partit tôt.

Alors le mari prononça doucement :

-Tu as peut-être été un peu loin devant…

Mais Joseph s’écria aussitôt :

-Elle est bien bonne celle-là.

Je vais me gêner avec un calotin, alors ça !

Tu vas me faire le plaisir, tu sais,

De ne plus m’imposer

Ce bonhomme-là

Pendant les repas.

Usez-en vous autres, autant que vous voudrez,

Dimanches et jours ouvrables,

Mais ne le servez pas aux amis, diable !

-Mais, mon cher, son caractère sacré…

-Quand ces gens-là respecteront mes convictions,

Je respecterai les leurs.

Le lendemain matin,

De bonne heure,

Lorsque Mme de Méroul entra dans le salon,

Elle vit le Parisien

Assis sur une chaise

Lisant avec attention

La République Française.

Gisaient par terre

La Justice et le Voltaire.

-Il y a là-dedans

Un fameux article de Ricevoix.

Ce gaillard-là est surprenant.

Il en fit la lecture à haute voix,

Appuyant sur les traits

Avec une telle jubilation

Qu’il n’entendit pas Méroul entrer.

Moradour lança :

-Hein ? C’est salé, cela !

Et lorsqu’il aperçut

Les deux journaux tenus

Par son ami,

Il marcha vers lui

À grands pas

Et d’un ton furieux lui demanda :

Que veux-tu faire de ces deux feuilles-là ?

M. de Méroul hésita :

-Mais…ce sont mes…journaux !

-Ça ? Voyons !, tes journaux !

Tu te moques de moi !

Tu vas me faire le plaisir de lire les miens

Qui te dégourdiront les idées, et, quant aux tiens…

Voici ce que j’en fais, moi…

Il saisit les deux feuilles

Et les lança sur un fauteuil.

Il se mit à rire et déclara :

-Huit jours de cette nourriture-là

Et je vous convertis à mes idées.

Au bout de huit jours en effet,

Le château c’est lui qui le gouvernait.

Il avait fermé la porte au curé.

Il avait interdit dans la maison

La lecture du Gaulois et du Clairon

Qu’un domestique allait dorénavant chercher

Au bureau de poste et qu’on cachait

Sous les coussins du canapé

Lorsque Moradour entrait.

Ce bonhomme toujours charmant

Réglait maintenant

Tout à sa guise, en tyran

Jovial et tout-puissant.

Les hôtes annoncèrent un soir à Moradour

Qu’ils étaient obligés de s’absenter quelques jours

Pour une petite affaire

Et lui demandèrent

S’il acceptait d’être ainsi abandonné.

Il ne s’émut pas et répondit :

-Très bien, je vous attends ici

Autant que vous voulez.

Je vous l’ai dit :

-Pas de gêne entre amis.

Allez à vos affaires

Je ne me formalise pas, bien au contraire ;

Allez, je vous attends mes amis.

Les Méroul partirent. Il les attendit.

Sabas LANCE

Le plus sûr moyen de conserver la République est de ne rien faire en vue de l’intérêt particulier.

Alcamène, roi de Sparte, VIIIème s. av. J.-C.


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