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L'épopée sanglante de la bande à Bonnot (3)

Publié le 27 avril 2012 par Doespirito @Doespirito

Bonnotsenart2Les enquêteurs croient progresser, le 7 janvier 1912. Ils arrêtent Marius Metge, ami de Carouy, au 64 boulevard de Saint-Cloud à Garches. On le soupçonne entre autres d'un cambriolage à la poste de Romainville, et de connaître les illégalistes de la rue Ordener. Mais on a beau le questionner rudement, l'homme reste muet comme un fossile de carpe. On arrête aussi la compagne d'Octave Garnier, Marie Vuillemin. Pour faire bon poids, face à une partie de la presse déchaînée, le siège du journal L'Anarchie est perquisitionné et ses directeurs embastillés pour quelque temps.
Mais nouveau coup de tonnerre le 27 février 1912. Vers 20 heures, François Garnier, un policier en faction place du Havre, voit débouler à fond de train de la rue d'Amsterdam une Delaunay-Belleville grise, avec trois personnes à l'intérieur. Devant les hurlements des passants et alors que la voiture a dû stopper brusquement pour laisser passer un autobus, l'agent intime au chauffeur l'ordre d'aller se garer, de l'autre côté de la place, devant la pharmacie du 13 rue du Havre. Et rejoint lui-même cet endroit à pied.
Garnier_octaveLe moteur de la Delaunay a calé. Le chauffeur descend, donne un coup de manivelle, remonte et démarre doucement, suit l'agent puis le dépasse sans s'arrêter... Ce dernier, qui a senti le coup venir, grimpe d'un bond sur le marchepied. Ce sera sa dernière initiative : trois éclairs jaillissent de l'intérieur de la voiture, des détonations et de la fumée de la poudre. L'agent Garnier vient d'être abattu par -coïncidence tragique, on l'apprendra des mois après- Octave Garnier (ci-contre). Transporté agonisant à l'hôpital Beaujon, il décède à son arrivée.
Cette fois, on se lance à la poursuite des gredins. Deux agents grimpent dans une voiture qu'on met à leur disposition. Mais devant le Printemps, le chauffeur ne peut éviter une femme qui traverse et la blesse grièvement. Fin de la poursuite en auto. Reste un malheureux flic à vélo, qui pédale à perdre haleine derrière les tueurs, les suit de loin boulevard Haussmann, manque de les rattraper place de la Madeleine, mais s'essouffle à la Concorde où les bandits en auto le sèment définitivement.
Capture d’écran 2012-04-27 à 21.05.07Le lendemain, 28 février, les policiers croient infliger un revers à la bande : ils arrêtent Dieudonné et De Boë. Mais le surlendemain, c'est à Pontoise que la Delaunay-Belleville est aperçue : à 3 heures du matin, le notaire, réveillé par des bruits suspects, alerte un boulanger de passage, qui surprend une équipe de perceurs de coffre-fort introduite dans son étude, située juste au coin de la place de l'hôtel de ville (ci-dessus). Le notaire tire des coups de revolver en l'air puis contre les bandits qui sortent. En retour, il reçoit une giclée de plombs, sans dommage fort heureusement. Les bandits s'enfuient bredouilles avec la voiture utilisée pour le coup de la rue du Havre. Voiture qu'on retrouvera en flammes dans un terrain vague près de la rue Pierre Curie à Saint-Ouen.
Delaunay-BellevilleBonnotCôté enquête, l'affaire se corse pour Dieudonné, que Peelmans puis Caby reconnaissent comme un de leurs agresseurs de la rue Ordener. Caby avait pourtant soutenu mordicus que c'était Garnier. Mais le voilà qui change d'avis avec autant d'aplomb, sous le regard sceptique du juge et les ricanements de L'Humanité. Le 11 mars, les policiers font bonne pioche à la Gare du Nord. Surveillant la consigne et la ligne Paris-Lille, ils tombent sur David Bélonie et sur 5 000 francs de titres dérobés rue Ordener, puis, deux jours après, sur Léon Rodriguez.
LettregarnierSi l'enquête semble enfin progresser, les bandits les plus dangereux sont toujours insaissables. Dans la nuit du 19 mars, ils sont 6 rue d'Epremesnil, à Chatou. A une heure du matin, ils tentent de voler une Panhard. Mais le mécano dort au dessus de la remise et il est réveillé par un chien qui aboie. Il tire sur les assaillants qui ripostent  et s'enfuient. La veille, dans l''après-midi, Garnier avait envoyé au Petit Parisien une lettre au juge d'instruction et au sous-chef de la Sûreté. Lettre de défi qu'il terminait par ses mots :
«... Je c'est (sic) que cela aura une fin dans la lutte qui s'est engagée entre le formidable arsenal dont dispose la société et moi. Je c'est (re-sic) que je serai vaincu, je serai le plus faible, mais j'espère bien faire payer cher votre victoire.»
En post-criptum, les empreintes digitales de sa main droite et ces mots «Bille de Bertillon mets tes lunettes et gaffe.»

En attendant, Bonnot, Garnier, Valet, Callemin, Soudy et Monier veulent à tout prix une voiture pour attaquer une autre banque. Ayant eu vent du départ d'une De Dion Bouton flambant neuve, devant être livrée des usines de Puteaux au Cap-Ferrat à son heureux propriétaire, un colonel en retraite, les malfaiteurs décident de lui tendre un piège dans la forêt de Senart. Bonnot revient ainsi sur un lieu qu'il connait bien : celui du meurtre "accidentel" de son “associé” Platano.

Bonnotsenart
Peu avant huit heures du matin, le 25 mars 1912, deux kilomètres après la sortie de Montgeron, le chauffeur de la De Dion Bouton, M. Mathillé, accompagné d'un jeune conducteur de 18 ans qui apprend le métier, voit trois hommes lui faire signe de ralentir, l'un d'eux agitant un mouchoir à l'endroit où la route est en travaux. A peine la voiture a-t-elle stoppé qu'un feu nourri de Browning éclate. Mathillé, criblé de balles, est tué sur le coup. Le jeune Cerisol, blessé aux mains, s'en sort en faisant le mort.
Les assaillants essaient de faire redémarrer la voiture calée. D'autres hommes sortent alors d'une cabane en pierre de cantonnier, poussent avec les autres. La De Dion Bouton s'élance enfin et les bandits se perdent à l'horizon. Direction, l'agence de la Société générale de Chantilly. Ils y seront vers 10 heures et demi. Le sang va à nouveau couler.

(A suivre)
[Episode 1]
La bande tragique frappe rue Ordener
[Episode 2]
De la traque après Ordener au massacre de Thiais

Illustrations : le petit parisien, Wikipedia, RMN/Le Mage (détail), Bibliothèque Zoummeroff


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