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Tea ?

Par Placebo
C’était toujours un grand plaisir pour moi que d’accepter une invitation de *** une invitation à dîner, lequel prenait des allures de fêtes de Noël s’étirant au moins la durée de la grand-messe et des deux messes basses rituelles de l’office de minuit. Chacun y allait pour la tablée, certes, la compagnie, brillante cela tombait sous le sens, mais surtout pour l’ite missa est qui en était la conclusion. L’amphitryon, sachant déjà, ce qui était la moindre des attentions à l’égard de ses convives, comme pas un accorder vins et plats, moins toutefois le participe, avec lequel, le cas n’était pas rare chez les esthètes de son âge, il conservait une sorte de délicatesse, comme, par ailleurs, avec certains archaïsmes grammaticaux – que faisait donc le ministère avec les deniers publics voués à l’élévation des masses –, mais qui, hormis quelques anciens latinistes s’en plaignait encore ? pouvait, à la fin du repas, d’un chung, que nul n’osait plus appeler tasse, décrire le contenu, avec tous les termes de l’art : non plus un thé, mais une liqueur ample et savoureuse, dans laquelle même un Proust eut hésité à tremper le moindre biscuit, la littérature en aurait bien été diminuée, de peur de porter atteinte au rare caractère aromatique boisé de l’infusion où s'alliaient, en outre, de riches notes gourmandes de chocolat, de pacane et de sucre roux à des flaveurs fruitées évoquant notamment le coing et groseille, avec, non moins spectaculaire que le finale de telle symphonie, une fin de bouche délicatement acidulée et sucrée rappelant le caramel frais. Du thé ? mais c’était une matinée au jardin botanique que vous aviez là, sous le nez, autrement plus riche en sensations que celles où le petit Marcel rencontrait duchesses et barons en l’hôtel de Guermantes, dans le calice de fine porcelaine blanche, et chacun se passait, avec le respect dû aux Saintes Espèces, les coupelles contenant les feuilles  – avant et après infusion –, la vue, l’odorat et le toucher étant également sollicités, lesquelles avaient été acquises, lors d’un récent voyage à Paris, dans un établissement portant le nom d’un sacrement et d’une institution, laquelle était depuis longtemps tombée en désuétude, sauf, par une curieuse inversion des mœurs et une coïncidence non moins étrange, à la fois chez ceux qui à l’horizontale préfèrent la compagnie de leurs semblables et chez ceux qui, trempés dans une bien différente eau lustrale, eussent fait passer les inquisiteurs de la Contre Réforme pour des tièdes que le Seigneur vomit de sa bouche, établissement où officiaient, murmurant des noms de Ponant et d’Orient extrême, de diaphanes éphèbes de lin fin vêtus et où les fidèles, non moins émus que les pèlerins à Saint-Pierre de Rome, pouvaient, à l’étage, contre le don d’une somme équivalant peu ou prou à celle requise pour une indulgence plénière, communier avec tout le recueillement nécessaire lors d’un fervent, quoiqu’il ne s’agît que d’un chakai, la version abrégée du grand cha no yu, lequel, chacun le sait, ne peut réunir que quatre participants au maximum, selon les sept règles formulées par Sen No Rikyu. La messe dite, comment décrire le recueillement qui marquait le passage au salon, où l’on ne s’installait que le temps nécessaire, sorte de délai de viduité social, pour entreprendre le remerciement pour l’exquise soirée et l’éloge de l’hôte, puis, l’un après l’autre, vêtus pour affronter les rigueurs de l’hiver, de se disperser sereins dans la nuit.

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