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Henri Lopes : Entre ombre et lumière

Publié le 04 mai 2012 par Les Lettres Françaises

Entre ombre et lumière

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Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Une enfant de Poto-Poto, Henri Lopes

Une enfant de Poto-Poto est le huitième roman d’Henri Lopes, auteur congolais dont la production littéraire débuta quelques années après l’indépendance, en parallèle d’une carrière politique qui l’a vu occuper diverses charges ministérielles au sein des gouvernements successifs de son pays. Il se revendique de l’héritage de Césaire ou Senghor, tout en mettant l’accent sur le métissage comme fondement de ses écrits et de ses choix politiques. De fait, tout un pan de la littérature francophone postcoloniale est aujourd’hui appuyé sur la conviction qu’il s’agit d’une source intrinsèquement inépuisable de variations pour des textes littéraires, mais aussi de perspectives politiques émancipatrices. À l’instar de l’inconscient, magnifié par les surréalistes, ce fondement est pourtant plus fragile qu’escompté. La période de défrichement a pu donner le sentiment d’un territoire d’une richesse infinie, mais l’expérience a montré que le gisement pouvait aussi s’épuiser dans de vains ressassements, voire même de profondes régressions s’il était coupé d’une géographie plus vaste.

C’est toute l’ambivalence de cet ouvrage d’Henri Lopes, qui nous conte les tribulations d’un trio amoureux sur fond de rapports hu- mains tout à la fois bouleversés et reconduits par les soubresauts de l’histoire. Deux amies de lycée à Brazzaville voient leur relation mise à l’épreuve par leur passion commune pour un jeune et fascinant professeur de lettres. Les trajectoires respectives de ces trois protagonistes, avec l’une des deux femmes pour narratrice, l’autre devenant l’épouse légitime du professeur, vont se croiser, s’éloigner, se rapprocher, tout cela déployé sur trois continents et quatre décennies, les dernières du XXe siècle. Les événements du monde y forment souvent une toile de fond distendue et confuse, à la limite parfois de l’anachronisme. Ombre et lumière s’en trouvent mélangées, donnant peut-être ainsi au lecteur l’indication qu’il ne faut pas s’en laisser conter quant aux faits et gestes qui vont lui être exposés.

La part de lumière, c’est l’écriture limpide où se marient l’ode aux grandes œuvres littéraires universelles et le propos didactique sur le parler local. C’est aussi la narration empreinte d’une certaine distance et qui permet de glisser tout en souplesse des apartés sur la littérature africaine contemporaine ou la vision fantasmée de l’Afrique par les Noirs américains. C’est encore l’évocation des liens sociaux en pays bantou, dénuée de toutes les tentations d’en faire les marqueurs d’un exotisme ou d’une irrationalité inaccessibles aux formes de pensée modernes. La part d’ombre, c’est celle des personnages dont la réussite sociale est le produit ambigu d’une décolonisation qui a assuré une certaine « continuité dans le changement ». Les bénéficiaires, de part et d’autre, n’en attendaient, au fond, qu’un solde de tout compte à l’issue d’un droit d’inventaire  pour asseoir un nouveau cycle de domination, celui de la globalisation de l’économie. Les circonstances n’ont pas permis de se prémunir de ce processus, faute, peut-être, d’une mise en perspective historique et dialectisée des liens tumultueux qu’entretiennent les sociétés africaines et européennes depuis des siècles.

Eric Arrivé

Une enfant de Poto-Poto,
d’Henri Lopes.
Éditions Gallimard, collection « Continents noirs »,
265 pages, 17,50 euros.
 
 

Les Lettres Françaises du 3 mai 2012 – N°93



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