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Ca pleure, un leader ?

Publié le 12 mai 2012 par Prland

De tous les billets écrits ici depuis 7 ans, celui-ci est le plus compliqué. Parce que j’aimerais le rendre publiable à la fin, pour continuer à utiliser la fonction bloc note de ce blog, conserver une trace, pour moi, pour plus tard et pour tous ceux qui m’ont demandé pourquoi j’étais bouleversé après une semaine de formation. Mais en faire comprendre le moteur et éviter autant que possible de sombrer dans le ridicule m’obligent à m’exposer plus que jamais dans l’expérience émotionnelle la plus forte de ma vie professionnelle, en évitant un niveau d’impudeur insupportable. Challenge. Je vais essayer. Sans image ni intertitre, pas question que je facilite la lecture hein…

J’ai la chance depuis 6 mois de faire partie d’un programme de formation réservé à quelques dirigeants du groupe. Nous sommes 16 collègues issus des différentes agences du groupe et de tous les pays d’Europe, Moyen-Orient et Afrique. Après une rencontre de 3 jours en novembre autour de l’agilité financière (passionnante mais ardue), nous nous sommes retrouvés lundi dernier et pour 4 jours, au château de Touffou, pour travailler sur le leadership.

J’ai déjà pratiqué une formation de ce type, déjà en anglais, dans le passé, dans un autre groupe de communication. Davantage axée management mais avec le prestige de Harvard et le même type d’environnement. Je sais ce que ce type de training, ultra participatif, coûte en énergie pour briller et démontrer sa légitimité à chaque instant, d’autant plus face à des personnalités pour la plupart charismatiques, intelligentes, drôles et majoritairement de langue maternelle anglaise. Même en formation, même si le contrat moral dit que rien de ce qui s’y passe ne sortira du lieu, même si l’enjeu pendant les moments de vie se résume à passer un bon moment de partage plus informel, la pression sociale est là, partout, à chaque instant : « je veux que ces gens me trouvent intelligent, me respectent et peut-être même, m’aiment ».

La première minute du premier jour, l’introduction de l’organisateur insistait sur un point : cette semaine était pour nous, rien que pour nous, de ces moments qui arrivent rarement dans un parcours professionnel. Dès cet instant, j’ai pris une décision : je profiterais de cette semaine pour me nourrir des autres dans le format le plus confortable pour moi, sans me soucier de l’image renvoyée. Je n’interviendrais que si j’avais quelque chose à dire, à mon rythme, en conservant les moments d’isolement qui me sont nécessaires, qui me mettent forcément un peu en dehors du groupe ou en tout cas, certainement pas au centre. Rien qui ne démontre à priori la capacité à devenir un jour un leader respecté. Mais cette semaine était pour moi, pas un examen pour gravir des échelons, je l’assumerais comme telle.

Nous avons alors enchaîné une journée sur le modèle de toutes celles qui ont suivi, avec une courte séance plénière autour des éléments techniques d’un bon leadership, suivie de mises en pratique en petits groupes de 4 qui resterait toujours le même. « Etre un leader dans mon organisation », « Inspirer avec une vision », « Savoir écouter, vraiment », « Développer les autres », « Mener une conversation courageuse »… : autant de thèmes que j’avais déjà travaillés mais que la pratique sur des cas réels en petit comité rendait passionnante, riche d’enseignements, parfois difficile.

Ma principale découverte en la matière concerne le coaching dont j’ai pour la première fois compris les rouages (et mes erreurs passées) : il ne s’agit pas de conseiller le coaché après avoir posé toutes les bonnes questions mais bien de l’amener à trouver ses propres solutions, même si elles sont complètement différentes de ce que vous auriez fait. Ne pas colorer ses questions de son point de vue s’est révélé être un challenge pour tous mais j’ai eu l’occasion de l’expérimenter en premier et en mode cobaye devant tout le monde lorsque la formatrice m’a demandé de venir jouer le coach en séance plénière.

Au milieu d’un cas fictif dans lequel un formateur interprétait un manager confronté au manque d’autorité naturelle sur son équipe, ma mission était de montrer comment je ferais pour l’amener vers ses propres solutions, personne ne s’étant précipité pour prendre le rôle. Ce qui m’aurait rendu immédiatement brillant aurait été d’enchaîner directement, quitte à risquer quelques questions fermées ou trop orientées. J’ai juste dit « I need few minutes to build it ». Comme pour remplir le silence dont je m’accommodais pourtant assez bien et sans doute m’aider, la formatrice a alors commenté avec beaucoup de bienveillance qu’elle savait que j’avais écouté très attentivement, que j’allais y arriver sans problème… Mais j’ai malgré tout pris 2 bonnes minutes pour structurer quelques questions vraiment ouvertes, ne laissant rien transparaître de ce que j’aurais fait à sa place. Pas de « Have you try something to save it ? » mais plutôt « What have you tried so far ? ». Pas de « What if… ? » ni de « Why don’t you… ? » qui sont finalement plus simples pour le coach que pour le coaché. Contrairement à ce que la formatrice me laissait entendre, ce n’était pas 2 minutes de panique mais bien 2 minutes de confort pour moi. L’exercice s’est révélé difficile mais pas inatteignable, ayant accompagné mon « faux coaché » vers sa propre solution, d’ailleurs très différente de ce qu’aurait été la mienne.

Le dernier jour, j’ai compris que les « feedback sessions » ne s’illustreraient pas par des cas réels extérieurs au groupe mais à travers nous, chacun des participants. Il s’agissait bien de se donner la chance de se dire et s’entendre dire ce qu’on ne se dit jamais. Quelle première impression on donne avec quel impact ? Quels sont les points de forces de nos personnalités, pas compétence, mais bien personnalité ? Sur quel aspect travailler pour le mettre au service de son leadership ?

J’avoue qu’à ce moment là, l’espace d’un instant, j’ai regretté d’avoir choisi un peu la facilité en ne faisant pas l’effort de briller. Le retour allait forcément être violent à entendre puisque je savais qu’il serait honnête, qu’il toucherait à qui je suis vraiment quand je ne porte pas de masque social. Plus difficile encore, faire preuve d’honnêteté auprès de chacun des 15 autres participants dont certains que j’avais très peu croisé, allait être très compliqué. Mais j’avais appris à écouter, à mener des conversations courageuses, il me restait à compter sur mon instinct pour viser juste.

Le format de l’exercice reposait sur 4 étapes dont je mesure maintenant l’intelligence de la construction.

La première consistait à faire dans son groupe de 4 son propre bilan de la semaine, confronté aux objectifs qu’on s’était fixés le premier jour. Elle a notamment été pour moi l’occasion d’exprimer le fait que ma réserve avait sans doute quelque chose d’aussi égoïste que confortable pour moi, en donnant assez peu aux autres alors que je m’étais nourri de leurs points de vue, que je n’étais pas assez engagé.

La deuxième étape était consacrée à donner pendant 5 minutes chacun un feedback aux trois autres participants de son groupe, en petit comité. Le premier choc a été de lire dans les yeux parfois embrumés des mes interlocuteurs à quel point le retour honnête que je leur donnais touchait des points sensibles, différents, pas antagonistes mais complémentaires de ce qui était dit par d’autres. Lorsqu’est venu mon tour d’écouter, après avoir pris comme chacun une grande respiration, alors que je m’attendais à entendre parler de distance, de discrétion, de trop grande réserve, j’ai entendu la description de moi la plus proche de qui je crois être vraiment. Tout en m’éclairant sur les réactions que je suscite, que j’interprète mal. Tellement incroyable que je me suis mordu les lèvres pour ne pas pleurer.

La troisième étape a sans doute été la plus étonnante : elle consistait, dans un mode « Speed dating », à dire en 1 minute à chaque interlocuteur défilant en face de soi son élément de force et l’élément à travailler pour être un bon leader. Les deux enseignements convergents ont été que j’avais un point de vue assez clair sur des gens que j’avais pourtant parfois seulement croisé sans vraiment échanger et que ceux-là même confirmaient ce qui venait de m’être dit dans mon groupe de travail qui me connaissait bien. La force de la première impression est absolument gigantesque, je ne suis pas sûr de vouloir m’en souvenir.

La quatrième étape a consisté à commenter pendant quelques minutes, à tous, les enseignements et le bilan qu’il tirait de sa semaine. Et c’est vraiment submergé par l’émotion (sans savoir si ça se voyait vraiment) que j’ai pris la parole.

Mon instinct me dit que si je m’arrête là dans le récit de cette formation sans préciser les raisons de mon émotion, ce n’est pas très courageux ni instructif. Je sais aussi que si je donne trop de détails sur ce qui m’a été dit, je rentrerai dans un processus d’exposition aussi impudique que prétentieux.

Le meilleur compromis est peut-être de partager ici le bilan que j’ai déjà partagé (en anglais) avec les autres participants, avec mes mots (traduits, donc) plutôt que les leur :

« J’ai beaucoup appris de cette semaine, d’un point de vue technique d’abord avec des enseignements qui influeront sur mon comportement notamment pour devenir un meilleur coach. Cette formation m’a permis d’identifier des actions pour mise en oeuvre immédiate, ce qui était mon objectif prioritaire. Ce qui aurait d’ailleurs suffit à faire de cette semaine un investissement en temps utile.

Mais j’ai compris beaucoup plus que ça. Sur l’image que je renvoie, sur la façon dont ma personnalité impacte les attentes que les autres ont vis à vis de moi. Vous m’avez dit que ma réserve est avant tout une force qui ne m’empêche pas d’être très présent, d’apporter une contribution qui vous a parue précieuse, que vous attendiez et preniez systématiquement en compte.

J’ai réalisé que mes paradoxes étaient très lisibles, perçus comme un équilibre riche, étonnant mais très assumé entre l’analytique et l’émotionnel, l’enfermement dans ma propre bulle et l’intérêt pour les autres, la discrétion et la capacité à rentrer immédiatement dans l’intimité, la volonté de donner peu qui donne envie de savoir beaucoup tout en respectant la distance que j’impose. Un équilibre tellement assumé qu’il est confortable pour les autres. Tout ce que je classais parmi mes points de faiblesses (assumés) et parfois mes failles (subies), vous l’avez fait émergé comme une force que vous m’enviez.

Je comprends aussi que mes points de vue souvent décalés, exprimés en peu de mots, créent de l’intérêt et de la frustration, l’envie d’en avoir plus, plus souvent. J’ai plus conscience de la frustration créée que de l’envie suscitée. Et surtout, vous m’avez dit que s’il faut partager plus, c’est contrairement à ce que je crois pour m’imposer moins de pression, prendre moins les responsabilités, pour me créer un confort dans ma vie personnelle si j’ai déjà trouvé celui de ma vie professionnelle. Ce que je dois changer, c’est la pression que je me mets, celle qui empêche de nourrir de plus de plaisir la contribution que j’apporte.

Pour être franc, je ne sais pas ce que je vais en faire, je ne suis pas sûr de pouvoir ou même vouloir changer ça. Cette pression fait partie de mon équilibre. Mais ça éclaire immédiatement des comportements ou des commentaires que je ne comprenais pas toujours autour de moi. C’est tout simplement énorme et bouleversant. Alors MERCI à tous. I mean it ».


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