Magazine Culture

Classiques du Hip-hop # 2 : Mos Def – Black On Both Sides

Publié le 14 mai 2012 par Lcassetta

En 1998 sortait le classique intemporel Mos Def & Talib Kweli Are Black Star du duo Black Star, composé des deux freshman de l’époque : Mos Def et Talib Kweli. L’album est vite devenu l’un des plus importants albums de son époque, et a lancé des  attentes extrêmement hautes pour le premier album de Mos Def. C’est ainsi qu’en 1999 sortait Black on Both Sides, qui s’est révélé encore meilleur que le travail du duo. Chronique !

Je déteste spoiler les gens en leur annonçant la fin dès le début, mais là je ne peux pas m’empêcher de le faire : plutôt que d’abord vous expliquer le pourquoi du comment, sachez ceci : Black on Both Sides est l’album de hip-hop le mieux écrit de tous les temps. Comme ça c’est fait.

Mais s’il ne s’agissait que de savoir parler et sans personnalité ni flow… Autant devenir politicien. Mos Def fait tout. Il écrit, produit, chante, rappe, joue de la majorité des instruments de l’album, etc. Surtout, il le fait avec un talent rarement égalé. Le flow de Mos Def est l’un des plus puissants et imposant de l’histoire du hip-hop, et il sait faire passer un sale quart d’heure aux (rares) featurings présents sur son album. Son flow est aussi acéré que sa plume est belle et profonde. Mais j’aime vous faire attendre, je laisserais le meilleur pour la fin, donc on en parlera plus tard. Sur plusieurs chansons telles qu‘Umi Says ou Climb, Mos Def se met même  chant avec une intensité et une maîtrise rare chez les rappeurs de son époque. En 1999, on avait peut-être The Chronic 2001 de Dr. Dre qui savait placer de bons refrains, mais ça c’est normal pour un album de G-Funk, pas pour un album de Conscious Rap. 99 s’est vue accompagnée d’une pléthore de classiques du rap, d’Operation Doomsday de MF DOOM à NIA de Blackalicious, mais aucun n’avait la consistance lyrique ou mélodique du jeune rappeur. En tous cas, aucun ne savait aussi bien transformer les lines en chant et avoir ce côté mélodique très appréciable.

La production quant à elle… Disons simplement qu’on a droit à quelques uns des meilleurs beats de tous les temps. DJ Premier, le producteur ayant le plus influencé le hip-hop dans toute l’histoire de la musique, a souvent nommé son beat pour Mathematics comme l’un de ses préférés. Mais sur tout l’album, qu’il s’agisse de la puissance frénétique du beat de DJ Premier, de l’instrumentalisation exemplaire de l’homme-qui-sait-tout-faire aka Mos Def, de la fraîcheur qui rappelle le premier Black Star, on a droit à de la qualité sur toute la ligne. Ali Shaheed Muhammad, le fameux producteur du légendaire groupe A Tribe Called Quest, mais aussi DJ Premier et d’autres ont collaboré avec Mos Def et son instrumentalisation géniale pour la production parfaite de l’album. Et c’est toujours une claque d’alterner le feeling classique d’un sample soul accéléré sur Ms. Fat Booty et la puissance dingue de Mos Def qui joue de la guitare et qui rentre en transe avec la batterie sur Rock’n'Roll. Mais surtout, c’est les petits détails dans la production qui rendent le tout vraiment magique. A chaque réécoute, on trouve une finesse fantastique, un habillage de surprises , qu’il s’agisse de références aux autres classiques du rap, du chant inopiné, ou autre.

Cependant, encore une fois, comme dirait Orelsan, Si t’as du flow mais pas de lyrics t’es pas plus fort que Scatman. Sauf que voilà, Mos Def est le plus grand génie lyrique de l’histoire du rap, et chaque chanson est un chef d’oeuvre, qu’il s’agisse du concept, des métaphores, des sujets, de la narration, de la finesse lyrique… Prenons New World Water. Nous sommes en 1999 et un rappeur dédie toute une chanson à la sauvegarde de l’énergie, au développement durable, aux générations futures. Si jusque là vous n’avez pas compris l’ampleur de la chose, cette chronique n’est pas faite pour vous. Tout l’album est comme ça : Habitat parle du problème du logement, Mathematics du sous-emploi et des problèmes que vit la population noir américaine, Mr Nigga du racisme, etc. Sauf qu’on a droit à une analyse économique poussée et non pas un simple résumé d’un manuel de Première ES. Mos Def sait de quoi il parle et nous rend conscient de tous ces problèmes avec une aisance époustouflante.

Image de prévisualisation YouTube

Mais Mos Def n’est pas qu’un bon samaritain qui aime prôner la bonne parole, il sait aussi narrer avec un story telling exceptionnel. Ms. Fat Booty, l’un des meilleurs tracks de l’album, est devenu l’un des plus grands modèles en matière de narration dans le rap pour la qualité des paroles de Mos Def. Avant de parler des lyrics, je m’attarderais sur la qualité du beat et du flow inspiré du rappeur, qui alterne rap, chant, tics de langage, etc. C’est une histoire d’amour racontée par un jeune afro américain du ghetto, avec beaucoup d’argot et un humour rarement égalé dans le rap. Long story short, il rencontre une femme, tombe amoureux, elle disparait, il l’oublie, et la retrouve un soir en train d’embrasser une autre femme dans une boîte de strip-tease, le tout ponctué par son légendaire WHAT! Voilà, quand moi je raconte c’est inintéressant, mais quand c’est Mos Def, il rendrait un débat au parlement exaltant.

Image de prévisualisation YouTube

On retrouvera de la profondeur même dans l’outro, qui est un simple instru. May-December est une de ses chansons qu’il convient de re-contextualiser. La population afro-américaine immigrée, dans les années 1800-1900, était exploitée dans les plantations, et travaillaient avec acharnement entre mai et décembre, et n’avaient comme période de repos que janvier-avril. La chanson , avec une instrumentalisation magnifique de Mos Def, met en place ce contraste entre deux principales mélodies, une courte et enjouée, et une beaucoup plus longue et profonde. C’est ce genre de tout petit détail qui est accentué par le génie de Mos Def, et qui nous montre que même quand le rappeur se tait, il réussit toujours à être beaucoup plus profond que la moitié de ses contemporains.

Mos Def atteint ses piques de flow sur plusieurs chansons qui sont très jaw-dropping. Hip-hop par exemple, avec son fantastique beat, est délivrée par un flow transcendant qui rend les très profondes lyrics du rappeur encore plus puissantes. Speech is my hammer, bang the world into shape, now let it fall… Métaphores, paradoxes, comparaisons, références… Et voir un rappeur rapper sur l’histoire et l’importance du hip-hop, ça a un feeling qui n’a pas de prix. Do It Now, en featuring avec Busta Rhymes, conduit Mos Def à rapper vite pour un refrain exceptionnel. Sauf que quand Mos Def rappe vite, il dit des choses qui ont du sens… Know That rassemble le duo avec Talib Kweli. On retiendra surtout l’intro où il référence Star Wars… I strike the empire back… Fuck the empire! High flying like the Millenium Falcon, piloted by Han Solo… Et c’est toujours fantastique de voir toutes les références de Mos Def. Love reprend son refrain d’un couplet de Eric B & Rakim par exemple. Mr Nigga reprend Sucka Nigga d’ATCQ.

Image de prévisualisation YouTube

Mais la référence qui m’impressionne toujours, c’est la reprise de l’une des plus célèbres lines du hip-hop, celle du Wu-Tang Clan : Cash rules everything around me. Normalement, c’est une line à mettre dans un contexte de gangster, de thug life, où tout est dirigé par la dictature de la violence, du crime et de l’argent. Ici, Mos Def la réutilise pour clôturer New World Water, et ça prend un tout autre sens. Je vous rappelle qu’elle traite du problème économique de l’eau, et du manque d’intérêt des instances gouvernementales. Ici, il veut dire que l’argent importe plus aux entreprises que le futur de leurs enfants, et que c’est l’argent qui règne en dictature. C’est encore une fois ce genre de petits détails qui rend cet album parfait. Et je me répète encore une fois, vous connaissez beaucoup de rappeurs rapper sur ce genre de problèmes ? et surtout, avec une telle profondeur ? Umi Says parle de l’enseignement de sa mère avec un recul et une humanité fantastique, sans parler de la profondeur du chant et du beat. L’outro est tout aussi classique, avec son fameux I want black people to be free, to be free, to be free!

Image de prévisualisation YouTube

Tout l’album est un recueil de lines plus profondes les unes que les autres. Sur l’intro, Fear Not Of Man, on a droit à une des lines les plus belles et introspectives de l’histoire du rap : Fear not of man because all man must die, mind over matter and soul before flesh. Un rappeur aussi intelligent, et qui prône autant la culture de l’âme et de l’esprit plutôt que la facilité et les besoins corporels, c’est… unique.

Image de prévisualisation YouTube

Mais sans conteste, le stand-out track reste celui qui a eu l’empreinte légendaire de DJ Premier. Mathematics est une perle exceptionnelle. Le beat, très frénétique et sans conteste l’un des meilleurs beats du plus grand producteur de l’histoire du rap, samplant plusieurs chansons dont quelques une de Mos Def lui-même, est un concentré du meilleur flow de Mos Def, de ses meilleures lyrics et d’un génie inégalé. Boka boka boka boka boka ! Le concept lui-même de la chanson est génial : Mos Def utilise les mathématiques pour dénoncer les problèmes de la population afro américaine, et jamais les maths n’ont été aussi cool. A travers des formules mathématiques, des pourcentages, des énumérations, on retrouve énormément de finesse et de maîtrise. 4 MC’s murdered in the last 4 years, I ain’t trying to be the 5h one, the millennium is here! Yo it’s 6 million ways to die, from the 7 deadly thrills. Cette chanson contient un nombre incroyable de références, toujours réutilisées dans un autre contexte par le rappeur. Il reprend Martin Luther King qui avait dit Let freedom ring, en disant Streets too loud to ever hear freedom ring, say evacuate your sleep ’cause it’s dangerous to dream. Je devrais m’arrêter car chaque line est monstrueuse.

Je pourrais continuer pendant des heures, mais je crois que vous avez fini par comprendre que Black On Both Sides est l’un des plus grands albums de tous les temps, mais aussi l’album de hip-hop le plus intelligent, profond et fin de tous les temps. Surtout, s’il ne s’agissait que des lyrics… Mos Def a un flow exceptionnel, et sait tout faire sur cet album, de savoir jouer de la guitare pour un ou deux accords à nous faire faire une introspection profonde en quelques secondes. 9.8/10

Classiques du Hip-hop # 2 : Mos Def – Black On Both Sides
Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)

Etudiant de 18 ans passionné de musique underground. Je connais la musique comme ma poche et des trucs que même Discogs ignore... Je te fais découvrir les meilleures et les pires sorties, je façonne ton goût. C'est moi qui analyse la musique actuelle et qui vous cultive. Pour vous servir.


Suivre SimohElHammoumi

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Lcassetta 5704 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines