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Une épuration ordinaire (1944 - 1949), par François Rouquet

Par Mpbernet

C’est Claude qui a acheté cet essai, qui porte sur une période de notre Histoire qui m’a toujours fortement intéressée parce qu’elle coïncide avec les premières années de notre vie (1946 – 1949) et sur un champ d'investigation (l'Administration) qui lui est cher.

epuration
Dans les années soixante dix, je me rebellais souvent contre le fait que tout notre personnel politique – en l’espèce, la Droite s’inspirant des préceptes du général de Gaulle ou la Gauche s’y opposant – était dominé par ce que les uns ou les autres avaient fait, ou pas fait, pendant les tristes années de l’Occupation allemande. Je trouvais tout à fait obsolète, par exemple, que parmi les critères de représentativité d’un syndicat figure son attitude sous l’Occupation.  Il y avait les bons, ceux qui avaient choisi dès le 18 juin de rejoindre le camp des « refuznicks » de la défaite, et les autres …Ceux qui avaient simplement - ou trop activement - suivi le Méréchal, lui faisant confiance pour protéger le pays et assurer son « redressement », et enfin ceux qui avaient tourné casaque très tardivement, donnant des gages à la Résistance à partir de juin 44.

Claude a commencé ce livre par son commencement, une très longue préface … et je l’entendais près de moi pester, raturer, gronder. Puis il a laissé le livre en plan. Je vous livre sa première impression :

« Curieusement, ce livre a fait l’objet, en 2011, d’une longue « Préface à la nouvelle édition » (66 pages) , qui, tout en comportant de précieuses indications (typologie de la Collaboration, statistique des morts par épuration (plus modeste que les chiffres généralement retenus), fonctions de l’épuration, politisation de l’épuration, désordre procédural et politique, souffre, sur le plan formel, de phrases incohérentes, de fautes d’orthographe grossières et d’une incroyable confusion ente Robert et Raymond Aron.

Comment peut-on imputer au grand philosophe et sociologue Raymond Aron les ouvrages historiques  de son homonyme Robert Aron ?

Est-ce une faute de stagiaire ou de collaborateur de rédaction ? Comment un Professeur de l’Université de Rennes peut-il ne rien voir ?

Toute la crédibilité de l’ouvrage s’en trouve affectée. Et l’éditeur doit répondre à cette question. »

Quant à moi, j’ai donc pris le texte juste après, le poursuivant jusqu’à son terme, pour me rendre compte que ces grossières erreurs se limitent à cette damnée préface, bourde incroyable de la part d’une édition du CNRS.

Et c’est un document fort instructif. Abrupt, certes, mais qui justifie que l’on s’y plonge.

Il s’agit de l’étude universitaire et statistique portant sur les sanctions prises à l’encontre des fonctionnaires de deux administrations particulièrement riches en personnels : les PTT et l’Education nationale, au titre de l’épuration. Pourquoi ces deux administrations : parce qu’elles ont accepté d’ouvrir leurs archives aux historiens …Et quelles conclusions en tirer ?

L’épuration des collaborateurs a tout d’abord été violente, et le livre ne dresse pas la statistique des exécutions sommaires ni des femmes tondues pour avoir pratiqué la collaboration horizontale. Il s’agit là des résultats des commissions diverses, avec leur dénomination spécifique (Commission d’enquête académique, Commission centrale d’épuration, Comité départemental, régional d’épuration, etc…)

Passé la liquidation sauvage, l’administration reprend ses procédures et instruit les dossiers. Si l’accusation ne recouvre que des on-dit, des vengeances à l’égard d’un supérieur hiérarchique auquel on reproche un comportement dictatorial, des reproches mal étayés, le verdict est clément. On attribue un blâme, et le plus souvent, on déplace le fonctionnaire. Dans certains cas plus avérés mais rares, il est révoqué sans droit à la pension, mais pour les plus âgés, plus gradés, on le met à la retraite d’office, avec traitement. Et il y aura des amnisties et des reconstitutions de carrières quelques années plus tard …Les exemples de situations concrètes sont nombreux, les citations de conclusions des enquêtes, probantes.

On traite aussi les soupçonnés de façon différente selon leur grade : on a terriblement besoin d’ingénieurs pour la reconstruction de la France, ils seront traités avec mansuétude. Tandis que les milliers de jeunes femmes auxiliaires recrutées pour remplacer les prisonniers seront renvoyées sans ménagement à la fin du conflit si on les a vues flirter avec l’occupant… Et il y a aussi le cas particulièrement cruel réservé aux Alsaciens-Lorrains, « Malgré-nous » en puissance, forcés de s’affilier aux organismes corporatifs de l’occupant : NSDAP, et celui des Anciens Combattants de la Grande Guerre, traités avec plus d’indulgence.

Bref, il ne s’agit pas d’un livre de chevet mais d’un éclairage précis sur ces années difficiles de reprise en main d’un pays complètement traumatisé par la défaite de 1940, déchiré par la crainte de l’avenir, en pleine reconstruction physique et mentale. Hormis l’intolérable difficulté de la préface, il intéressera tous les passionnés d’histoire du XXème siècle.

Une épuration ordinaire (1944-1949), Petits et grands collaborateurs de l’administration française. CNRS éditions, 486 p. 10€


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