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De rouille et d’os : déjà Palme d’Or ?

Par Wtfru @romain_wtfru

De rouille et d’os : déjà Palme d’Or ?

Réalisé par Jacques Audiard
Écrit par Jacques Audiard et Thomas Bidegain
Avec Matthias Schoenaerts, Marion Cotillard, Bouli Lanners, Armand Verdure, Corinne Masiero, …
1h55

Résumé :
Ali, un jeune homme sans le sou, débarque chez sa sœur, près d’Antibes, avec son fils. Il va faire la rencontre de Stéphanie, dresseuse d’orque à Marineland, qui, suite à un accident, se retrouve amputée des deux jambes. Une histoire d’amour et de tendresse va naître entre ces deux écorchés vifs que tout oppose…

Avis :
Petit rappel pour ceux et celles qui ne connaitraient pas Jacques Audiard.
Jacques Audiard
, comme son nom l’indique, est le fils de Michel Audiard, dialoguiste en chef du cinéma « à la papa » durant près de trois décennies, à qui l’on doit, notamment les scénarios/dialogues des Barbouzes, des Tontons Flingueurs, ou bien encore de Garde à vue.
Le petit Audiard a donc fait ses gammes d’écriture auprès de son papa avant de se lancer en solo, d’abord comme scénariste (on peut notamment signaler sa collaboration, non créditée, aux dialogues de Grosse fatigue), puis comme cinéaste avec Regarde les hommes tomber (César du Meilleur Premier Film).

S’en suit dès lors un parcours quasi sans fautes et multi-récompensé.
Un héros très discret en 1996 (Prix du Scénario à Cannes), Sur mes lèvres en 2001 (César du Meilleur Scénario Original), De battre mon cœur s’est arrêté en 2005 (8 César, 1 BAFTA et un Prix Méliès), et enfin, son chef-d’œuvre, Un prophète en 2009.
D’une manière encore assez incompréhensible, le film n’est pas reparti avec la Palme d’Or (certaines soupçonnent encore un copinage de la part d’Isabelle Huppert, présidente du Jury cette année-là, qui avait préféré offrir la Sainte-Palme à son ami Michael Haneke, dont le film, soit dit en passant, mérite tout de même les honneurs), mais « simplement » avec le Grand Prix du Jury.
Audiard a tout de même pu se consoler avec 9 nouveaux Césars, un Prix Louis-Delluc, et un BAFTA de plus à poser sur son étagère.

Mais même s’il est clair qu’on ne réalise pas un film dans le but d’obtenir le plus de récompense possible, il est également évident qu’Audiard doit garder un peu en travers de la gorge la cérémonie cannoise de 2009, et qu’il n’attendait dès lors qu’une seule chose : pouvoir revenir ici pour leur montrer à tous de quel bois il se chauffe !
C’est désormais chose faite avec son nouvel opus : De rouille et d’os.

Initialement, De rouille et d’os se voulait être l’antithèse du précédent film d’Audiard.
Un prophète était âpre, très noir et très réaliste. Pour son film suivant, le metteur en scène désirait donc faire quelque chose de plus doux, de plus touchant et de plus onirique en quelque sorte.
Un peu comme James Gray il y a quelques années (qui était passé de La nuit nous appartient à Two Lovers), Audiard veut bouleverser les habitudes et montrer qu’il n’est pas du tout cantonné aux films sombres, et qu’il peut lui aussi se laisser aller à traiter une histoire d’amour, fut-ce-t-elle également très sombre.
De rouille et d’os, c’est donc le Two Lovers de Jacques Audiard, tout en restant, en quelque sorte, une variation de Sur mes lèvres.

Ce qui est étonnant dans ce nouveau film, c’est une nouvelle fois la justesse avec laquelle il parvient à nous raconter une histoire, et surtout à nous décrire (et presque, en même temps, à nous faire aimer) des personnages souvent détestables, parfois gracieux sans s’en rendre compte ; des écorchés vifs qui se rattachent à ce qu’ils peuvent et, en un sens, nous font comprendre ce qu’est la vie, ou plutôt la vie de l’autre.

Audiard, par moment, semble vouloir nous montrer autre chose que ses personnages (le film pourrait se voir, en un sens, comme un témoignage de temps de crise), mais le pouvoir d’attraction de ces derniers est beaucoup trop fort.
Tels des aimants, ces êtres nous attirent irrémédiablement vers eux, aidés par la mise en scène, toujours aussi intense et magistrale, du réalisateur (bien épaulé, il faut le dire, par son chef opérateur)

Dans Un prophète, à l’instar des personnages qu’il voulait nous montrer, Audiard optait pour une mise en scène très cloisonnée, très fermée, et finalement très libre malgré tout (il y avait notamment beaucoup de grâce dans sa façon de circuler dans les merveilleux décors de Michel Barthélémy).
Dans De rouille et d’os, le schéma est à peu près le même, sauf qu’il est quelque peu inversé : ici les personnages ne sont pas enfermés au sens propre du terme, mais ils se retrouvent malgré tout bloqués (par des situations particulières, ou par un handicap, physique ou social), et en un sens stigmatisés, ce qui génère un sentiment d’exclusion, et donc d’emprisonnement.
Dès lors, la mise en scène d’Audiard fait de ces deux êtres, finalement banals si on y réfléchit un peu, des être exceptionnels, les deux seuls personnes qui comptent sur Terre.

Le monde d’Un prophète était étroit et clos, ce qui facilitait notre rapprochement avec le personnage de Malik.
Ici, le monde autour de Stéphanie et Ali est vaste, gigantesque, et presque sans limites. Et pourtant, malgré tout, il n’y a que ces deux personnes qui nous intéressent.
Audiard utilise à merveille tout son art pour créer cette espèce de solitude peuplée. Sa caméra est toujours au plus près de ses comédiens, et il parvient constamment à capter les bonnes émotions, les bonnes images.

Il faut également souligner qu’il est ici aidé par deux comédiens absolument fantastiques : Matthias Schoenaerts, la révélation de Bullhead, et surtout Marion Cotillard, qui, après avoir joué les seconds couteaux outre-Atlantique durant quelques temps, trouve enfin un rôle dans l’hexagone à la mesure de son talent.
Là où son partenaire irradie l’écran par son naturel, sa présence physique monumentale et son merveilleux regard de chien battu, elle parvient, avec une sobriété époustouflante, à nous faire vivre le drame et toute la complexité de son personnage.
Avec une partition beaucoup plus intense et beaucoup intériorisée que par le passé, elle trouve ici l’un de ses meilleurs rôles (pour ne pas dire le meilleur), et prouve une nouvelle fois à ceux qui en doutaient qu’elle fait bel et bien partie des 4 ou 5 meilleures actrices au monde.

Avec de tels arguments, on voit mal comment le jury cannois pourrait laisser de côté De rouille et d’os dans une compétition 2012 un peu mollassonne.
A moins que la « malédiction » ne frappe une nouvelle fois le pauvre Jacques Audiard, et qu’il doive se contenter d’une nouvelle seconde place (encore derrière Haneke ?), ornée, qui sait, d’un possible Prix d’Interprétation Féminine…


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