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« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

Publié le 21 mai 2012 par Maybachcarter

Mardi dernier, je me suis rendue à la prestigieuse école de commerce ESCP-EAP, dans le cadre d’une conférence organisée par l’African Business Club et l’association Terranga web. Le titre était plus qu’évocateur:

« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

Le panel invité à s’exprimer était composé de:

 - Barthélémy FAYE: diplômé de Yale, ainsi que de l’école normale supérieure de la rue d’Ulm, avocat Associé au sein du Cabinet Cleary Gottlieb et Expert en financement de projets en Afrique (un professionnel dont la presse économique ne cesse de faire les éloges, comme cet article récent chez Les Echos).

- Denis COGNEAU: Économiste du développement à l’École d’Économie de Paris et à l’Institut de Recherche pour le Développement. Il avait pour mission ce soir-là d’apporter un regard socio-économique sur ces disparités africaines.

- Olatunji AKINWUNMI: Responsable du Développement de Nouveaux projets chez Total, notamment dans la zone Asie-Pacifique.

De nombreuses choses ont été dites, mais voici le résumé:

Afrique anglophone: une croissance impressionnante, mais à nuancer

  • Le Ghana est #1 de la croissance en Afrique de l’Ouest, suivie de l’Ouganda avec (6,8%) et la Tanzanie (6,6%) à l’Est
  • Il y a plus de dynamisme côté anglophone, surtout du côté du secteur informel.
  • Le droit anglo-saxon est plus business-friendly, plus souple, plus pragmatique donc les anciennes colonies britanniques sont les plus à même à attirer des investissements
  • La Banque Mondiale a évalué une croissance entre 2000 et 2009..

    de l’Afrique francophone: de 3,2%

    de l’Afrique anglophone: de 6,2%

  • Le Ghana est le bon élève de l’Afrique, notamment grâce à sa stabilité démontrée par l’alternance politique. Le Sénégal semble prendre cette direction toutefois. La situation du Sénégal est d’ailleurs intéressante car elle semble progressivement délaisser le modèle francophone.
  • Certains taux de croissance sont extraordinaires, mais à nuancer. Exemple du Nigeria, qui est un poids lourd démographique, mais dont la croissance spectaculaire est principalement due à l’augmentation du prix du pétrole ces dernières années, ainsi que la hausse des volumes produits. Par ailleurs, ce pays sortait du gouffre (guerre) et ne pouvait donc que remonter économiquement, comme la Sierra Leone qui est passée d’une économie nationale à l’arrêt pendant des années…à 9% de croissance. Il faut donc relativiser. On peut opposer le cas de la Côte d’Ivoire et du Ghana également: le 1er rayonnait quand le 2ème sombrait, et aujourd’hui, le cas s’est totalement inversé. Il n’y a pas de fatalité, mais l’Histoire (politique) peut très vite faire basculer l’économie d’un pays du meilleur au pire. Toutefois, le cas ivoirien est à surveiller: les premières années de la gouvernance Ouattara vont être déterminantes pour deviner l’avenir économique de la Côte d’Ivoire des 10 (voire 20) prochaines années.

« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

Afrique francophone ou anglophone: différences majeures

  • Les pays anglophones sont numériquement plus nombreux que les pays francophones
  • L’hétérogénéité (géographie, histoire coloniale) de ces deux entités est importante.Il faut éviter les comparaisons hasardeuses, mais plutôt regarder la situation pays par pays. En effet, comparer le Cameroun et le Nigeria peut paraître pertinent du fait de leur proximité, mais leurs fonctionnements sont bien trop divergents
  • Le poids des capitales est plus important en Afrique francophone, à cause du centralisme spatial hérité de la colonisation
  • Il y a eu une mise en place d’un système d’élitisme scolaire en Afrique francophone, contrairement à l’Afrique anglophone qui est plutôt axée sur la démocratisation de l’éducation (ce qui a pour effet de réduire la qualité de l’enseignement, notamment les salaires du corps enseignant)
  • Dépendance encore trop forte de l’Afrique francophone vis-à-vis de la France: Le cas de l’Ohada (L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) symbolise bien le problème. Cette superstructure juridique a été montée par et pour les états africains francophones dans le but de faciliter les affaires mais l’omniprésence française a SURTOUT (voire exclusivement) profité à la France uniquement, et ça n’a pas tellement développé le business entre pays africains francophones. Depuis sa création en 1993, la véritable première réforme de cette institution ne date que…de l’année dernière (2011). Ca en dit long.

« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

Lourdeurs juridiques:

  • Différences juridiques entre Afrique francophone et anglophone: chez la 1ère, l’état en acteur économique vampirise le secteur privé, avec notamment des exceptions rigides (biens inaléniables), le tout dans un continent encore en balbutiement dont il faut fluidifier le fonctionnement juridique.
  • « Le Ghana et le Nigeria peuvent, deux fois par an s’ils le souhaitent, modifier leurs arsenaux juridiques respectifs, car il n’y a pas de rigidité imposée par la France entre autres », B. Faye.
  • Phénomène d’engourdissement par l’imitation du modèle français: on importe des choses qui ne sont pas adaptées localement, sans tenir compte de la présence de superstructures
  • Logique d’assimilation (Francophones) s’opposent à la logique d’« indirect rule » en phase avec les réalités locales
  • « Quand l’état va mal, c’est souvent pire côté francophone »

« Pourquoi l’Afrique francophone décroche-t-elle par rapport à l’Afrique anglophone ? »

Perspectives d’avenir et recommandations pour l’Afrique francophone:

  • Il faut construire des contre-pouvoirs (syndicats..)
  • Etendre l’éducation sans nuire à sa qualité (la gratuité de la scolarisation peut être contre-productive)
  • Encadrer le rush MONDIAL sur les matières premières et les terres cultivables par des pays qui ne sont pas des anciens colons (on pense à la Chine qui rachète pas mal de terres en Afrique en ce moment pour nourrir la population chinoise)
  • Récupérer la réelle souveraineté des pays d’Afrique francophone
  • Multiplier les partenariats commerciaux avec d’autres pays pour sortir de cette relation exclusive avec la France
  • Le rôle de la diaspora est et sera crucial: la grande nouveauté ici est que les africains à l’étranger n’investissent plus uniquement dans leurs pays d’origine, mais sont plus mobiles. Cela peut être en partie expliqué par le fait que les différentes diasporas africaines à l’étranger communiquent de plus en plus entre elles. « Le nouvel entrepreneur africain pense global, et agit local ». On remarque d’ailleurs que les grandes entreprises internationales en Afrique recrutent de moins en moins d’étrangers occidentaux pour diriger leurs succursales ou franchises, et se tournent plutôt vers des africains (formés à l’étranger ou résidant sur place).
  • On pense très souvent que la démocratie aidera à un développement plus rapide de l’Afrique. Ce n’est pas si sûr, car selon les pays, plus il y a de démocratie, plus il y a d’instabilité.Si l’on réfléchit uniquement en termes économiques, il faudrait presque préférer une « dictature éclairée » qui encadre mais interfère peu dans le secteur business, qu’un état démocratique qui n’est pas stable.

Je ne partage pas toutes les analyses bien sûr, mais ce fût très instructif comme rencontre. Félicitations à l’African Business Club pour la mise en place de conférences de ce genre, auxquelles je vais commencer à assister de manière régulière.


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