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Nizzar Qabbani, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Me permettez-vous ?

Dans des pays où l’on assassine les penseurs, où les écrivains sont des mécréants et où l’on brûle les livres. Dans des pays où l’on rejette l’autre, où l’on scelle les bouches et où l’on enferme les idées. Dans des pays où poser une question est blasphématoire, il m’est nécessaire de vous demander de me permettre…

Me permettez-vous d’élever mes enfants comme je le veux et de ne pas me dicter vos envies et vos ordres ?

Me permettez-vous d’apprendre à mes enfants que la religion est d’abord pour Dieu et non pas pour les gens, les Imams et les Oulémas ?

Me permettez-vous de dire à ma petite fille que la religion est morale, éducation, courtoisie, politesse, honnêteté et sincérité, avant de lui apprendre par quel pied elle doit d’abord entrer dans les toilettes et avec quelle main manger ?

Me permettez-vous de dire à ma fille que Dieu est amour et qu’elle peut lui parler et lui demander ce qu’elle veut ?

Me permettez-vous de ne pas rappeler à mes enfants la souffrance de la tombe alors qu’ils ne savent pas encore ce qu’est la mort ?

Me permettez-vous d’apprendre à ma fille les bases de la religion et le respect qu’elle impose avant de lui imposer de porter le voile ?

De dire à mon jeune fils que faire du mal aux gens, les humilier et les mépriser pour leur origine, couleur ou religion est un grand pêché pour Dieu ?

Me permettez-vous de dire à ma fille que faire ses devoirs et se concentrer sur son éducation est beaucoup plus important pour Dieu que d’apprendre les versets du Coran par cœur sans même qu’elle n’en comprenne le sens ?

Me permettez-vous de dire à mon fils que suivre le Prophète commence par prendre exemple sur sa droiture et honnêteté avant sa barbe et la longueur de son habit ?

Me permettez-vous de dire à ma fille que les autres ne sont pas des mécréants et qu’elle n’a pas besoin de pleurer de peur qu’ils n’aillent en enfer ?

Me permettez-vous de crier que Dieu n’a, après le Prophète, demandé à personne de parler en son nom, ni autorisé quiconque à vendre des indulgences ?

Me permettez-vous de dire que Dieu a interdit de tuer une âme humaine et que celui qui tue un homme est comme s’il avait tué l’humanité entière ? Qu’un musulman n’a pas le droit d’en intimider un autre ?

Me permettez-vous de dire à mes enfants que Dieu est plus grand, plus miséricordieux et plus juste que tous les Oulémas (docteurs en religion) réunis de la terre ? Que ses principes n’ont rien à voir avec ceux des marchands de religion ?

Me permettez-vous ?

DES MOTS

Il me fait entendre …Quand il me fait danser
Des mots, qui ne sont pas comme tous les mots
Il me prend d’au-dessous de mes bras
Il me plante dans un des nuages
Et la pluie noire dans mes yeux
Il me prend avec lui…il me prend
Pour une soirée de bal rose
Et moi comme une petite fille dans sa main

Comme une plume prise dans les airs
Il m’apporte sept lunes
Et un bouquet de chansons
Il m’offre un soleil… Il m’offre
Un été…. Et un escadron d’hirondelles
Il m’informe que je suis son chef d’œuvre
Et que je vaux des milliers d’étoiles
Et que je suis un trésor …Et que je suis
Le plus beau tableau qu’il ait vu

Il raconte des choses qui m’étourdissent
Qui me font oublier le bal et les pas
Des mots qui bouleversent mon histoire
Qui me rendent une femme instantanément
Il me construit un palais de mirage
Que je n’habite que quelques instants
Et je reviens… je reviens à ma table
Rien avec moi… Sauf des mots.

QUAND ANNONCERA-T-ON LA MORT DES ARABES?***




1

J’essaie, depuis l’enfance, de dessiner ces pays

Qu’on appelle-allégoriquement-les pays des Arabes
Pays qui me pardonneraient si je brisais le verre de la lune…
Qui me remercieraient si j’écrivais un poème d’amour
Et qui me permettraient d’exercer l’amour
Aussi librement que les moineaux sur les arbres…
J’essaie de dessiner des pays…
Qui m’apprendraient à toujours vivre au diapason de l’amour
Ainsi, j’étendrai pour toi, l’été, la cape de mon amour
Et je presserai ta robe, l’hiver, quand il se mettra à pleuvoir…

2

J’essaie de dessiner des pays…
Avec un Parlement de jasmin…
Avec un peuple aussi délicat que le jasmin…
Où les colombes sommeillent au dessus de ma tête
Et où les minarets dans mes yeux versent leurs larmes
J’essaie de dessiner des pays intimes avec ma poésie
Et qui ne se placent pas entre moi et mes rêveries

Et où les soldats ne se pavanent pas sur mon front
J’essaie de dessiner des pays…
Qui me récompensent quand j’écris une poésie
Et qui me pardonnent quand déborde le fleuve de ma folie…

3

J’essaie de dessiner une cité d’amour
Libérée de toutes inhibitions…
Et où la féminité n’est pas égorgée… ni nul corps opprimé



4

J’ai parcouru le Sud… J’ai parcouru le Nord…
Mais en vain…
Car le café de tous les cafés a le même arôme…
Et toutes les femmes-une fois dénudées-
Sentent le même parfum…
Et tous les hommes de la tribu ne mastiquent point ce qu’ils mangent

Et dévorent les femmes une à la seconde


5

J’essaie depuis le commencement…
De ne ressembler à personne…
Disant non pour toujours à tout discours en boîte de conserve
Et rejetant l’adoration de toute idole…

6

J’essaie de brûler tous les textes qui m’habillent
Certains poèmes sont pour moi une tombe
Et certaines langues linceul.
Je pris rendez-vous avec la dernière femme
Mais j’arrivai bien après l’heure.


7

J’essaie de renier mon vocabulaire

De renier la malédiction du “Mubtada” et du “Khabar”
De me débarrasser de ma poussière et me laver le visage à l’eau de pluie…
J’essaie de démissionner de l’autorité du sable…
Adieu Koraich…
Adieu Kouleib…
Adieu Mudar…

8

J’essaie de dessiner ces pays

Qu’on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes,
Où mon lit est solidement attaché,
Et où ma tête est bien ancrée,
Pour que je puisse differencier entre les pays et les vaisseaux…
Mais… ils m’ont pris ma boîte de dessin,
M’interdisent de peindre le visage de mon pays…;

9

J’essaie depuis l’enfance

D’ouvrir un espace en jasmin.
J’ai ouvert la première auberge d’amour… dans l’histoire des Arabes…
Pour accueillir les amoureux…
Et j’ai mis fin à toutes les guerres d’antan entre les hommes.et les femmes,
Entre les colombes… et ceux qui égorgent les colombes…
Entre le marbre… et ceux qui écorchent la blancheur du marbre…
Mais… ils ont fermé mon auberge…
Disant que l’amour est indigne de l’Histoire des Arabes
De la pureté des Arabes…

De l’héritage des Arabes…
Quelle aberration!!

10

J’essaie de concevoir la configuration de la patrie ?
De reprendre ma place dans le ventre de ma mère,
Et de nager à contre courant du temps,
Et de voler figues, amandes, et pêches,
Et de courir après les bateaux comme les oiseaux

J’essaie d’imaginer le jardin de l’Eden?
Et les potentialités de séjour entre les rivières d’onyx?
Et les rivières de lait…
Quand me reveillant… je découvris la futilité de mes rêves.
Il n’y avait pas de lune dans le ciel de Jéricho…
Ni de poisson dans les eaux de l’Euphrate…
Ni de café à Aden…

11

J’essaie par la poésie… de saisir l’impossible…
Et de planter des palmiers…
Mais dans mon pays, ils rasent les cheveux des palmiers…
J’essaie de faire entendre plus haut le hennissement des chevaux;
Mais les gens de la cité méprisent le henissement!!


12

J’essaie, Madame, de vous aimer…

En dehors de tous les rituels…
En dehors de tous textes.
En dehors de tous lois et de tous systèmes.
J’essaie, Madame, de vous aimer…
Dans n’importe quel exil où je vais…
Afin de sentir, quand je vous étreins, que je serre entre mes bras le terreau de mon
pays.

13

J’essaie -depuis mon enfance- de lire tout livre traitant des prophètes des Arabes,
Des sages des Arabes… des poètes des Arabes…
Mais je ne vois que des poèmes léchant les bottes du Khalife
pour une poignée de riz… et cinquante dirhams…
Quelle horreur!!
Et je ne vois que des tribus qui ne font pas la différence entre la chair des femmes…
Et les dates mûres…
Quelle horreur!!

Je ne vois que des journaux qui ôtent leurs vêtements intimes…
Devant tout président venant de l’inconnu..
Devant tout colonel marchant sur le cadavre du peuple…
Devant tout usurier entassant entre ses mains des montagnes d’or…
Quelle horreur!!

14

Moi, depuis cinquante ans
J’observe la situation des Arabes.

Ils tonnent sans faire pleuvoir…
Ils entrent dans les guerres sans s’en sortir…
Ils mâchent et rabâchent la peau de l’éloquence
Sans en rien digérer.

15

Moi, depuis cinquante ans
J’essaie de dessiner ces pays
Qu’on appelle-allégoriquement- les pays des Arabes,

Tantôt couleur de sang,
Tantôt couleur de colère.
Mon dessin achevé, je me demandai :
Et si un jour on annonce la mort des Arabes…
Dans quel cimetière seront-ils enterrés?
Et qui les pleurera?
Eux qui n’ont pas de filles…
Eux qui n’ont pas de garçons…
Et il n’y a pas là de chagrin

Et il n’y a là personne pour porter le deuil!!


16

J’essaie depuis que j’ai commencé à écrire ma poésie
De mesurer la distance entre mes ancêtres les Arabes et moi-même.
J’ai vu des armées… et point d’armées…
J’ai vu des conquêtes et point de conquêtes…
J’ai suivi toutes les guerres sur la télé…

Avec des morts sur la télé…
Avec des blessés sur la télé…
Et avec des victoires émanant de Dieu… sur la télé…

17

Oh mon pays, ils ont fait de toi un feuilleton d’horreur
Dont nous suivons les épisodes chaque soir
Comment te verrions-nous s’ils nous coupent le courant??

18

Moi, après cinquante ans,
J’essaie d’enregistrer ce que j’ai vu…
J’ai vue des peuples croyant que les agents de renseignements
Sont ordonnés par Dieu… comme la migraine… comme le rhume…
Comme la lèpre… comme la gale…
J’ai vue l’arbisme mis à l’encan des antiquités,
Mais je n’ai point vue d’Arabes!!

JE SUIS POUR LE TERRORISME**

De terrorisme on nous accuse
Si nous osons prendre défense
De notre femme et de la rose
Et de l’azur et du poème
Si nous osons prendre défense
D’une patrie sans eau sans air

D’une patrie qui a perdu
Sa tente et sa chamelle
Et même son café noir.
De terrorisme on nous accuse
Si nous osons prendre défense
De la crinière
De la reine de Saba
Des lèvres de Maysoun
Des noms de nos plus belles filles,

Du khol qui de leurs cils
En pluie retombe
Comme une chose révélée.
Certes vous ne trouverez pas
En ma possession
De poésie secrète
Ni de parler énigmatique
Ou des ouvrages clandestins,
Et par devers moi je ne garde

Aucun poème traversant
La rue, caché derrière son voile.
De terrorisme on nous accuse
Quand nous décrivons les dépouilles
D’une patrie
Décomposée et dénudée
Et dont les restes en lambeaux
Sont dispersés aux quatre vents…,
D’une patrie

Cherchant son adresse et son nom…
D’une patrie ne conservant
De ses antiques épopées
Que les élégies de Khansa…,
D’une patrie
Où ni le rouge, ni le jaune, ni le vert
Ne teignent plus les horizons…,
D’une patrie qui nous défend
D’écouter les informations

Ou d’acheter quelque journal…,
D’une patrie où les oiseaux
Sont censurés dans leurs chansons,
D’une patrie où, terrifiés,
Les écrivains ont pris le pli
D’écrire la page du néant…,
D’une patrie
Qui ressemblerait dans sa forme
A la poésie

Dans notre pays
Sorte de langage égaré
Improvisé
Sans aucun lien avec les êtres
Sans aucun lien avec leur terre
Ni avec les problèmes
Dans lesquels ils se débattent vainement,
D’une patrie allant pieds nus
Et sans aucune dignité

Vers la paix négociée…
D’une patrie
Où les hommes pris de panique
Ont fait pipi dans leurs culottes
Et où ne restent que les femmes.
Le sel amer est dans nos yeux
Et sur nos lèvres,
Il est dans nos propres propos.
Notre âme a-t-elle été touchée

De stérilité héritée
Léguée par la tribu Kahtane.
Dans notre nation,
Il n’y a plus de Mu’awya
Plus de Abu Sufiane
Plus personne pour crier “Gare”!
A la face de ceux qui ont abandonné
A autrui notre foyer
Et notre huile et notre pain

Transformant notre maison
Si heureuse en capharnaum.
Il ne reste plus rien de notre poésie
Qui n’ait sur le lit sur tyran
Perdu sa virginité.
Du mépris nous avons pris
Le pli de l’habitude.
Que reste-t-il donc de l’homme
Lorsqu’il s’habitue au mépris?

Je recherche dans les feuilles de l’Histoire
Usaman Ibn Munkid
Okba Ibn Nafi’,
Je recherche Omar,
Je recherche Hamza,
Et Khalid chevauchant
Vers la Grande Syrie,
Je recherche al Mu’tacim
Sauvant les femmes

De la barbarie des envahisseurs
Et des furies des flammes,
Je recherche dans ce siècle attardé
Et ne trouve dans la nuit
Que des chats apeurés
Craignant pour leur personne
Le pouvoir des souris.
Avons-nous été atteints
De nationale cécité?

Ou bien tout simplement
Souffrons-nous de daltonisme?
De terrorisme on nous accuse
Quand nous refusons notre mort
Sous les râteaux israéliens
Qui ratissent notre terre
Qui ratissent notre Histoire
Qui ratissent notre Evangile
Qui ratissent notre Coran

Et le sol de nos prophètes.
Si c’est là notre crime
Que vive le terrorisme!
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons que les Juifs
Que les Mongols et les Barbares
Nous effacent de leur main.
Oui, nous lançons des pierres
Sur la maison de verre

Du Conseil de Sécurité
Soumis à l’empereur suprême.
De terrorisme on nous accuse
Lorsque nous refusons
De négocier avec les loups
Et de tendre nos deux bras
A la prostitution.
L’Amérique
Ennemie de la culture humaine

Elle-même sans culture,
Ennemie de l’urbaine civilisation
Dont elle-même est dépourvue,
L’Amérique
Bâtisse géante
Mais sans murs.
De terrorisme on nous accuse
Si nous refusons un siècle
Où ce pays de lui-même satisfait

S’est érigé
En traducteur assermenté
De la langue des Hébreux.

Nizzar Qabbani, poèmes

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