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Le LEAN mangement tue doucement

Publié le 24 mai 2012 par Chezfab

société,travail,management,LEAN,syndicat,lutte,anarchismeSelon la définition admisse, le LEAN mangement (anglicisme comme toujours) est une méthode dite de type approche systémique pour atteindre l’excellence opérationnelle. Le but afficher est de « mettre fin au gaspillage » et aux « opérations qui n’apportent pas de valeur ajoutée au client ». En clair : c’est la mise en place d’une relation de type capitaliste et marchande dans toutes les sphères de la vie. Oui, car le LEAN management est aujourd’hui appliqué de partout, en particulier dans les services publics et les grandes entreprises.

Quelle est la cible de ce type de dressage ? Officiellement, le LEAN management s’attaque à sept points précis : la surproduction, les attentes, les rebuts-retouches / corrections, les gammes et processus opératoires mal adaptés, les transports / ruptures de flux, les mouvements inutiles et les stocks (productifs ou administratifs). Ces points sont appelés, de façon assez prosaïque, « formes de gaspillage ».

Vous l’aurez compris : le but est le flux tendu permanent (donc la course à la production et la flexibilité, comme diraient nos têtes d’ampoules), la diminution de personnel (ce qui est appeler « mouvements inutiles » est en fait une notion très étrange, qui se traduit sur le terrain par mouvement financiers inutiles, ce qui peut être fait par un en compressant et accélérant doit l’être au lieu d’être fait par deux) et le prix de production le plus bas possible pour le profit le plus haut possible.

Dans la définition officielle, le LEAN management doit, pour être efficace, s’appuyer sur l'amélioration continue avec une forte implication de tout le personnel impliqué dans les processus à optimiser. Oui, vous avez bien lu : pression continue et permanente, et surtout, tout le monde est impliqué, de l’exécutant au directeur, du patron à l’ouvrier. En théorie en tout cas, car sur le terrain c’est autre chose. D’ailleurs, pour en mettre plein la vue au prolo et donner une impression de supériorité (et de science) aux « team manager » comme on dit, ce LEAN management s’appuie sur un outil précis, le PDCA (Plan-Do-Check-Act) … Outil inventé par un nommé Shewhart, basé sur les travaux d’un statisticien du nom de Deming. On sent tout de suite le côté humain de la chose.

Quel but a cet outil ? L’infantilisation d’un côté, en mettant de belles couleurs et de jolis graphismes circulaires, et de l’autre la mise en perspective individuelle, c'est-à-dire, la mise en accusation. Car si la « roue » se déroule pour le service, par exemple, elle est aussi bien souvent individualisée. Au travers d’entretiens d’objectifs ou autres noms, on met la pression individuellement à chacun pour « arriver à l’excellence ». Et surtout se met en place le tous contre tous. Un tous contre tous orchestré, qui touche avant tout le plus bas niveau de l’échelle.

A cette « roue » un peu débile s’ajoute un outil fun, le KAIZEN (issu du japonais pour une fois, contraction de Kaï (changement) et Zen (bon)). Oui notez qu’on aime dans le LEAN management les formules alambiquées et pleines de sous entendus. Alors c’est quoi le KAIZEN ? Et bien c’est l’amélioration continue. En gros, vous êtes mauvais, vous le serez toujours car on peut toujours s’améliorer… Ne voyez vous pas là dedans une forme d’absolu un peu flippant ?

Cette théorie des petits pas est mise en pratique dans énormément de secteurs : l’industrie lourde, l’hôpital, la poste, des PME, etc… Sa méthodologie est simple : mise en accusation et faire de l’opérateur concerné son propre bourreau. Comment cela peut-il se traduire ? Et bien je vais essayer de donner un exemple concret.

Prenons monsieur Bertin, ouvrier dans l’automobile, sur une chaîne de montage de portières. Il doit mettre 8 vis en 1 minute et 15 secondes aujourd’hui. Seulement voilà, son poste a été identifié comme « glouton » (oui ce genre de mot est souvent employé, infantilisation oblige) au sein de la chaîne. Au cours de l’entretien annuel cela lui est signifié. Bien entendu, on laissera sous entendre qu’il n’y est pas pour rien, ce cher Bertin.

L’étape suivante est subtile, elle consiste à mettre en place un « climat de confiance » entre les managers et leurs équipes. Deux moyens, souvent employés en même temps, existent. Le premier consiste à jouer la carte de la compétition. Vous est donc mis en évidence le fait que d’autres sites, d’autres entreprises sont meilleures que vous. Notez au passage que la notion est tellement subjective que pour le coup, aucun manager ne sera en position de vous prouver ses dires. Mais cela doit reposer sur la « confiance » qu’il inspire et « l’esprit de corps » qu’il met en place. La seconde méthode, c’est le sous entendu envers un ou une collègue. Souvent quand il / elle n’est pas là. C’est fait subtilement, en « mettant en évidence le problème » en « présentant de façon objective et anonyme (tout le monde sait que c’est impossible) des cas ». Souvent, ce / cette ou ces collègues deviennent les boucs émissaires faciles de tout ce qui cloche. Pas assez rapide, pas assez consciencieux, pas assez… Et on monte la meute contre eux. Avant d’en isolé d’autres …

Une fois ce climat installé, c’est la mise en place de « team learning » ou équipe apprenante. Cela consiste en une chose assez simple : on vous prend, individuellement, et on vous demande d’évaluer votre poste (espace de travail, cadence, positions, etc…) et de « proposer des améliorations dans l’esprit du KAIZEN (vous voilà samouraï). La première copie que vous allez rendre (ou les premières suggestions orales) sera certes reconnue mais classée comme insuffisante… surtout vis-à-vis de ce que d’autres ont fourni (comme par hasard). C’est là que monsieur Bertin (revenons en à lui) va se pencher là-dessus, donner de quoi accélérer encore la cadence de son poste (en plaçant autrement les outils par exemple) et permettre que la chaine avance plus vite, que le stock diminue du coup… Et là, bingo, félicitations et mises en place en grande pompe de ce qui est trouvé.

Seulement, l’année suivante, monsieur Bertin se retrouve seul à sa machine, là où il avait avec lui un autre collègue. Le travail augmente et on licencie. On flexibilise encore en demandant parfois des semaines de 44 heures et d’autres fois de 28 heures. Pas de stock, donc production à la demande. Plus de rapidité au poste, donc plus de fatigue et de stress, mais surtout moins de salariés. C’est le cercle infernal qui se met en place. Et puis surtout, l’entretien d’évaluation arrive et on lui demande encore d’améliorer son poste… Et c’est reparti.

Voilà donc comment on transforme n’importe qui (ou presque) en son propre bourreau. Le LEAN management n’a que ce but : faire de vous la clef de voute de votre propre servitude. Mais en décuplant en prime l’individualisme, afin de briser toute envie d’unité dans la lutte.

Cette technique de management par l’affect (souvent, elle se double d’un management « psychologique », surtout lors des entretiens annuels) est des plus redoutables car elle est souvent, au départ du moins, plébiscité par une majorité de salariés, voir par certains syndicats. Elle va avec le tutoiement d’entreprise, vous savez ce « tu » à toutes les sauces, entre tous les niveaux hiérarchiques.

Et c’est là que le bas blesse. Loin d’être une simple lubie nouvelle à la mode, le LEAN management est un outil assez terrible qui brise bien au-delà du simple corps social prolétaire, mais qui brise aussi l’esprit et les corps. Il est plus qu’urgent de combattre cela avec vigueur et force, de le dénoncer et de faire reculer le patronat.

PS : vous aurez remarqué que je répète énormément « LEAN management » dans ce texte. Et bien vous avez face à vous une des techniques pour faire accepter ce dernier : la répétition d’un concept, même absurde, mais à l’infini.


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