Magazine Journal intime

Les pissenlits échevelés

Par Ghizlane

le-perzel-copie-2.jpgCe matin j'ai reçu dans ma boite aux lettres, le plus incroyable des cadeaux : une machine à remonter le temps !

Une bouffée d'odeur de paille chaude s'est engouffrée dans mes narines et le goût des pommes acides m'a râpé le fond du palais. J'ai dix ans, jupe blanche et chemisier amidonné brodé de deux fraises sur le col, petites chaussettes et chaussures immaculées. Retour de la messe, petit sac à main contenant le mouchoir de coton blanc ajouré et quelques piécettes d'argent de poche vite dépensées dans une sucrerie ! Comme il fait beau sur la Bretagne en cet été 1967. Odeur aigre des toilettes champêtres, bataille de foin, chasse aux mûres, veillées humides sur la prairie, chant des grillons, lumière des étoiles, cache cache signaux avec nos lampes torches ! Zut, j'ai marché dans une bouse de vache avec mes belles chaussures blanches !  Ne pas s'approcher du purin a dit Maman, on peu tomber, c'est mortel ! Et les lapins aux odeurs de choux qui remuent leur museau dans un trou de grillage . Ramener les vaches du champ, nos bâtons à la main. Ramener le lait de ferme dans le pot en fer qui bringuebale. C'est moi qui le porte ! Non c'est moi ! Idiote ! Tu vas renverser le lait ! Tu vas te faire disputer par Maman voilà ! Les odeurs de varech qui montent avec l'humidité et qui se disputent aux odeurs de la ferme, mélange de mer et de terre humide. Le sable au fond des culottes de coton blanc après la course sur la plage et les roulades sur la grève de Ménéham. Et l'interminable pêche aux crevettes minuscules...et le bonheur d'avoir le doigt aspiré par une anémone de mer qui se referme et vous prend pour une proie. Rinçage obligatoire du maillot dans la cuvette d'eau douce. Et surtout vivre à fond et partager les rires de nos amis. les enfants de la campagne et les enfants de la ville unis dans une fête perpétuelle où l'ennui ne peut s'intercaler. Voilà, la machine à remonter le temps a tenu ses promesses, elle m'a offert en flash back toute une série d'émotions visuelles, auditives, olfactives, gustatives, sensuelles. La fête des cinq sens en cet âge ouvert à la vie, ouvert aux autres, avant de me redéposer sur la rive du temps d'aujourd'hui, de mes 55 ans qui sonnent et qui s'achèvent sur une terrasse silencieuse que le cri des enfants a déserté.  La photo noire et blanc entre les mains, la passagère en attente du prochain avion, regarde s'enfoncer dans le brouillard la vision fugitive de l'enfance radieuse. Il n'y a pas de mélancolie, car l'enfant est vivante toujours, elle n'a pas réussi à s'endormir, pas encore ! Elle réclame sa place la petite fille joyeuse à l'imagination fertile, qui se construisait des châteaux dans le sable pour y élever des bigorneaux... Je n'ai pas fini de construire mon château. S'il n'y a plus de sable, je prendrai des cailloux, et si la pierre me manque, je tisserai les nuages...et par une nuit sans lune, un jour je broderai une couverture de dentelle avec les étoiles pour enfin reposer, recouverte de ciel. Alors, je m'endormirai et je retournerai au pays radieux des pissenlits échevelés.

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