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Qu’il était beau, le Tibet… (1) Par-dessus l’Himalaya

Publié le 18 mars 2008 par Argoul

Le Tibet… Je suis allé deux fois au Tibet, en 1992 et, huit ans plus tard, en 1999. Il avait déjà beaucoup changé – en bien en en mal. Le bien, c’était le développement ; le mal, l’acculturation. Pour bien faire, il aurait été nécessaire que j’y revienne cette année, mais l’état de mes finances ne me le permettent pas. Comme le Tibet fait la Une de l’actualité, revenons au Tibet de 1999, plus authentique peut-être. Pour mesurer ce qui se perd peu à peu.

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Nous sommes un groupe de marcheurs, cette fois, plus en vélo comme en 1992. Nous passons par Katmandou, afin d’adapter progressivement nos organismes à l’altitude, particularité du Tibet. L’altitude rend les Han venus de Pékin mal à l’aise – elle peut expliquer certaines réactions « anormales » des Chinois des plaines chargés du maintien de l’ordre. L’altitude fatigue, éblouit, laisse la gorge sèche. Même après acclimatation. Il faut y être né pour s’y sentir à l’aise.

A Katmandou, en ce mois de juillet 1999, notre réveil a lieu à l’aube, sous les trilles des merles chanteurs. La pelouse fume encore de la pluie nocturne. L’air lourd embaume la fleur. Nous prenons un petit-déjeuner pique-nique dans un immense salon avec terrasse au premier étage, ouvert spécialement pour nous en cette heure matinale alors que les autres touristes ne sont pas levés. Des lustres en cristal de style victorien pendent du plafond, sans doute le chic indien début de siècle.

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L’aéroport est peu encombré en cette saison et à cette heure-ci. Attendent cependant sur le parking plusieurs familles portant un point rouge de riz gluant au front, signe hindouiste. Parmi elles un bel enfant caramel à la chemise-veste décorée de frises à l’indienne. Longs cils noirs, joues rondes, teint velouté,  le torse mince comme une liane. Sa mère, à côté de lui, est pourtant quelconque. Miracle de l’hérédité ou grâce éphémère de l’âge. Dans le grand hall, devant le tunnel à rayons sondant les bagages, sont installés plusieurs panneaux dessinés : un policier examinant un passeport, un revolver et un couteau barrés, deux personnes agitant un mouchoir d’adieu, un avion qui décolle. C’est ainsi que l’on communique avec les illettrés qui prennent l’avion. Dans la file, une jeune chinoise, quinze ans peut-être, au visage de porcelaine fragile comme une poupée. Elle caresse la tête de son jeune frère qui lui renvoie une bourrade. Il doit être un peu jaloux car le père (l’oncle ?) préfère manifestement la fille au moment des adieux. Elle est fraîche comme un lis et souple comme un bambou. Monique, Suissesse, pour faire la conversation parle de la petite fille de l’un de ses amis : « ses parents l’ont appelé Catherine. A l’état-civil, l’employé qui n’était pas très francophone a écrit Quatrin. Les parents ont dit non, cela s’écrit avec un C. L’employé a rectifié jusqu’au point final et a noté et paraphé la mention suivante : « j’ai gratté le Q de Catherine jusqu’au trou. ». » Je ne sais pas si cette histoire est véridique mais, comme disent les Italiens, si non e vero e ben trovato.

Le Boeing de China Airlines s’envole sans histoire au-dessus des Himalaya. Au-dessus des nuages de mousson quelques sommets surnagent, seulement les élites de plus de 6000 m. L’Himalaya est une chaîne de collision : la péninsule indienne rentre tout simplement dans le socle asiatique à la vitesse phénoménale de plus de dix centimètres par an ! Cela fait quand même plus de 1000 km en 10 millions d’années à l’échelle géologique. La mer occupait la vallée du Tsangpo il y a 40 millions d’années. Il n’en subsiste plus que quelques dunes de sables, des lacs salés et des roches ophiolites. J’engage la conversation avec Michel, assis à côté de moi. Il est prof de ZEP, enseigne en technique. Nous parlons des fonctionnaires, de l’Éducation nationale, des comportements avec les élèves. Enseigner la comptabilité en lycée technique ne lui amène pas les adolescents les plus brillants mais plutôt ceux qui ont du mal à s’adapter à la société. Ne serait-ce que leur façon de parler, me dit-il. Ils ont le langage de banlieue, comme s’ils allaient faire bonne impression avec ça pour trouver du travail ! Et ils ne comprennent pas tous seuls qu’il leur faut faire un effort d’adaptation pour s’intégrer. Ils n’ont même pas conscience de paraître agressifs lorsqu’ils s’expriment. Le premier trimestre est presque entièrement consacré à éduquer leur conduite en en parlant avec eux… Le « regroupement familial » a fait grimper en quelques années les élèves issus de parents immigrés. Ils vivent entre eux, en bandes, leur nombre les empêchent de se fondre avec les autres, ils se sentent donc rejetés, ce qui les rend arrogants et agressifs. On ne dira jamais assez combien les tabous sont bloquant et qu’à ne pas évoquer ouvertement les problèmes réels on crée des situations progressivement intenables.

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Le passage en douane est rapide malgré les nombreux contrôles successifs des Chinois. Le Tibet n’est une région ouverte au tourisme international que depuis 1984. Nous sommes priés de nous mettre en queue dans l’ordre des noms portés sur le visa collectif, sinon les bureaucrates ne comprennent rien. Un groupe espagnol a apporté ses VTT démontés dans des cartons, comme je l’ai fait il y a six ans. Le guide obligatoire local nous offre un kata de bienvenue (écharpe de cérémonie en soie blanche) avec une bouteille d’eau minérale de marque « Himalaya » et un paquet de biscuits pour la route. Nous prenons un bus le long du fleuve Tsangpo jusqu’à Tsedang, une ville modernisée à la chinoise avec ses rues rectilignes à séparation centrale de béton, ses contre-allées pour vélos, et ses immeubles aux murs couverts de carreaux de faïence d’un blanc toilettes. Les vitres sont fumées de bleu méthylène, ce qui donne à l’ensemble l’air étrange d’une modernité clinquante qui nous paraît archaïque tant elle singe les excès bétonniers de nos années 60. Le chinois et néanmoins luxueux hôtel Tsedang nous attend.

Suite demain…


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