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Gary Victor : Soro

Par Gangoueus @lareus

Ne faites pas comme des ivoiriens rencontrés au salon du livre alors que je me pavanais avec mon nouveau Gary Victor sous le bras. Ils ont focalisé tout de suite sur le titre du livre. Soro. La scène fut cocasse. Ces africains endimanchés qui discutaillaient devant leur stand national réclament mon livre avec intérêt, pour lire quelques feuillets. Explication. Soro est un nom sénoufo générique en Côte d’Ivoire. C’est en particulier le nom de Guillaume Soro Kigbafori, ancien leader syndical étudiant (qui m’a fatigué avec les grèves à répétition qu’il fomentait sous la conduite de son mentor de l’époque, Laurent Gbagbo), ancien leader de la rébellion de sous-officiers et soldats nordistes qui partitionna le pays, ancien premier ministre de Laurent Gbagbo, actuel président de l’Assemblée nationale et, qui sait, futur pensionnaire des geôles néerlandaises où croupissent Taylor, Karazic ou Gbagbo.Gary Victor : Sorocrédit photo MJ_DeharoIci, dans le roman de Gary Victor, le soro est une boisson alcoolisée réalisée à base de canne à sucre, un cocktail explosif qu'affectionne les petites gens en Haïti. Et l’inspecteur Dieuswalwé Azémar est accro à cette boisson délicate qui lui permet de soutenir de son regard embrumé le quotidien en Haïti. Toujours accompagné de sa capsule de soro. Le roman commence alors que l’inspecteur fétiche de Gary Victor est en pleine action avec Aldrine Solon, l’épouse de son supérieur hiérarchique, son protecteur dans la police nationale.
Le tremblement de terre les surprend dans leurs ébats amoureux, Dieuswalwé Azémar survit miraculeusement à l’effondrement de l’hôtel. Informé du décès de son épouse, le commissaire Solon confie naïvement à son bras droit, le coquin Dieuswalwé Azémar, le soin de mener une enquête pour identifier l’homme avec qui son épouse s’envoyait en l’air. Avec la promesse faite à la dépouille de son épouse de mettre une balle dans la tête de l’affreux. Un témoin est dans le coma. En dehors du fait qu’il doit enquêter sur lui-même (alors qu'il fait  l'objet d'une amnésie partielle) et brouiller les pistes pour garder un semblant d’estime de l’homme à qu’il doit tout, l’inspecteur Dieuswalwé doit traiter en parallèle le cas d’un peintre et ami mort pendant le séisme, mais qui a fait une dernière fois l’amour à sa maîtresse après sa mort. Un zombi, quoi....
Gary Victor : Soro
Au travers de cette trame relevée, voire comique sur le fond du drame qu' Haïti a connu le 12 janvier 2010, Gary Victor continue son exploration de l’âme haïtienne et il s’emploie avec force à déconstruire les discours angéliques entendus de la plupart des grands écrivains haïtiens sur la force et l’abnégation des haïtiens face à cette nouvelle adversité. Au fil des pages et de l’évolution de son enquête, il dénonce l’opportunisme de ceux qui jusqu’au bout se nourrissent des souffrances de ce pays. Tuant les artistes. Traquant les quelques figures intègres pour les dépecer. Usant des croyances magico-religieuses pour abêtir et couvrir des forfaits. Dieuswalwé va lui-même peut-être basculer.
Gary Victor ne se voile pas la face. Sur le terrain, il dit ce qu’il voit et entrevoit de Port-au-Prince, des port-au-princiens. Loin des belles paroles. Loin des formules creuses. Dans la folie du séisme, des haïtiens,  sous sa plume, fomentent des coups machiavélique. Il n’y a pas une volonté chez l’auteur haïtien de faire dans une esthétique des mots et du phrasé dans Soro, une esthétique de la langue qui satisferait le confort du lecteur avachi dans son fauteuil en cuir. On a même l’impression de sentir Gary Victor désabusé dans son écriture. Une impression, seulement. Envers et contre tout, l’individu intègre se doit de résister dans cette terre marquée et scintiller comme une luciole dans un océan de ténèbres. J’ai beaucoup apprécié le final. Une perspective intéressante mais, vous le comprendrez bien, je ne peux pas vous en parler.
L'inspecteur en écoutant la conversation vérifia les ravages effectués par le soro dans sa mémoire. A moins que le choc subi dans cette chambre d'hôtel, quand une partie du plafond s'est effondrée sur madame Solon, n'ait amplifié les effets de l'alcools. Tout était flou dans ses souvenirs. Il se rappelait avoir quitté la Division vers deux heures. Il était allé boire du soro. Probablement chez madame Baptiste, sa principale fournisseuse. Chez elle, on consommait le meilleur tranpe de la ville. Il avait  peut être bu plus que de coutume. Il suffisait d'une bouffée de détresse, que son dégoût de cette terre, soudain, traverse la digue qu'il s'évertuait à tenir solide pour que sa beuverie n'ait pas de limite, pour que le soro monte entre lui la réalité de la muraille, un écran sur lequel il proietait des images de son enfance dans le vert de la montagne, des images de sa mère plongeant le linge dans l'eau claire et chantante de la rivière [...]
page 126, Editions Mémoire d'Encrier
Bonne lecture !
Gary Victor, Soro
Editions Mémoires d’encrier, 1ère parution en 2011, 202 pages

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