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Hommage à Jacqueline Harpman

Par Apollinee

" Je mourus par un bel après-midi d'automne, m'épargnant ainsi l'hiver que j'ai toujours détesté. Les feuilles mortes tombaient avec grâce, je fis de mon mieux pour les imiter"

Dieu et moi, (Ed. Mille et une nuits, 2001)

C'est une radieuse journée de printemps qui vous emporta, Jacqueline Harpman, ce 24 mai, entraînant, en un mouvement ascensionnel cette plume que vous avez si bien maîtrisée. Ecrivain majeur de notre paysage littéraire - qui ne connaît, La plage d'Ostende, La dormition des amants, L'orage rompu, Orlanda, En toute impunité, Du côté d'Ostende, Ce que Dominique n'a jamais su... - vous vous assîtes, vous aussi à la table des  Madeleines de nos auteurs. (Ed Racine, 2008) Ce fut un grand honneur...un bonheur à l'avenant.

Et cette joie fébrile de recevoir, par courrier postal, le texte d'une madeleine - la vôtre - si joliment concocté.

Je me permets de le reproduire, ce jour, hommage à votre magnifique participation, aux Madeleines, à la vie.

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« Les petits gâteaux.

   J’étais  une petite fille sans appétit. Je ne dis pas anorexique car je pense que ce ne serait cliniquement pas correct, simplement la nourriture ne m’intéressait pas, sauf sous la forme des petits gâteaux et j’ai un souvenir radieux des fiançailles manquées de ma sœur.

   C’était à Casablanca et ma sœur n’était pas encore rentrée à Bruxelles. Je ne ferai pas le récit détaillé des raisons qui lui firent accepter la demande en mariage de son patron car ce récit lui appartient, mais je sais que lorsque, cet après-midi-là, je revins de l’école, la famille était en ébullition : toutes les deux minutes la sonnette retentissait  et un livreur apparaissait, chargé de flacons de parfum, de superbes sacs à main, de foulards de soie et de je ne sais quels autres cadeaux qu’un fiancé peut faire à sa bien-aimée. Tout cela me paraissait évidemment très plaisant, mais ne me concernait pas. Puis ce fut le pâtissier.

   Ah ! le pâtissier !

   Nous étions en 1942. Le rationnement sévissait déjà. J’ai raconté ailleurs que mes parents avaient emporté au Maroc l’argent dont ils disposaient, et que ce serait à qui durerait le plus longtemps, l’argent ou la guerre : il n’était donc pas question de dépenses inconsidérées. Nous nous nourrissions, mais nous ne sacrifions pas àla gourmandise. Lepâtissier apportait deux cartons qui contenaient bien vingt-quatre gâteaux chacun et nous n’étions, dans cette petite salle-à-manger, que six ou huit personnes. On ne faisait pas attention à moi. J’ai commencé à manger les petits gâteaux ; Autant que j’en voulais, et il s’avéra que j’en voulais beaucoup. J’étais une fille raisonnable et je fis attention à bien répartir ce que je laissais, de façon à dissimuler ma gloutonnerie : je suis sûre d’en avoir bien mangé la moitié, chose qui me serait impossible aujourd’hui où un éclair au chocolat me paraît trop et je le partage avec un de mes petits-enfants. Ce fut l’orgie. Le délice. L’extase. Et la meilleure digestion possible. Le fiancé de ma sœur me sembla l’homme le plus séduisant du monde, il m’avait prise par les sentiments et je fus profondément désolée lorsque le lendemain matin ma sœur rompit un si aimable nœud.

   Jamais plus, dans ma vie, il n’arriva qu’un homme mît devant moi quarante-huit petits gâteaux, et pourtant, je découvre que c’était le chemin le plus direct vers mon cœur… »

Jacqueline Harpman in Les madeleines de nos auteurs, A. Elter, Ed Racine, nov 2008


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