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Secret Story 6, mon très coupable plaisir sériel estival

Par Sullivan

Il me faut vous avouer mon secret. C’est avec inquiétude et anxiété que j’ai vu arriver, très tôt cette année, la nouvelle saison de «Secret Story». Pourquoi ? Tout simplement parce que regarder chaque semaine six émissions quotidiennes de quarante-cinq minutes, auxquelles s’ajoute une émission hebdomadaire de deux heures,  ça plombe considérablement mon emploi du temps.
Il y a longtemps, mon plaisir coupable estival prenait la forme des «Cœurs Brûlés», de «Terre Indigo», voire de «Sandra, Princesse Rebelle» (là, il était vraiment très, très coupable). Mais la saga d’été a quasi-disparu, faute d’avoir su rester en accord avec son époque, figée dans des principes narratifs et de mise en scène de plus de vingt ans d’âge.
Un temps comblé par «Koh-Lanta» – avant que je ne découvre la tellement supérieure version américaine, «Survivor» – voire «Greg le / Marjolaine et les Millionnaire(s)» et «L’île de la Tentation» (très, très, trèèèès coupable), ce besoin de feuilleton estival ludique et léger est à nouveau, depuis quelques années, comblé par une télé-réalité: «Secret Story». Pourtant, le programme revient de loin. La première saison n’était qu’un énième retour de «Loft Story», à peine enrichi d’une petite part de jeu en plus. Le résultat était tout juste moins ringard qu’un «Nice People», précédente tentative de la Une de se réapproprier la télé-réalité d’enfermement.
L’émission a entamé une progression, encore timide, lors de sa deuxième saison, avant d’exploser dans une troisième saison incroyable, pendant laquelle le téléspectateur ne s’est pratiquement pas ennuyé en trois mois de jeu quotidien.

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Qu’est-ce qui a changé?
D’abord TF1 a assumé un choix stratégique important, celui de faire de «Secret Story» une émission de niche. Elle ne réunit pas 35% de parts de marché, mais ce n’est pas le but: ses chiffres moyens en audience globale sont contrebalancés par ses spectaculaires performances sur cibles. Prenons l’exemple de la quotidienne du 29 mai (chiffres Le Blog TV News). 17% du public se trouvant devant sa télé à l’heure de la diffusion a regardé «Secret Story». Pour TF1, c’est très moyen. Oui, mais la part de marché monte à 33% sur les femmes de moins de 50 ans, et carrément 47% sur les 15/24 ans. Autrement dit, pour le publicitaire qui veut vendre un produit aux jeunes, pas si facile à toucher en masse via la télé, l’émission est un moyen idéal. Tf1 peut donc établir des tarifs publicitaires en conséquence, ce qui rend l'émission très rentable. Et elle est même plus puissante encore que ce que ces chiffres laissent entendre, puisque l’émission cartonne aussi sur Internet. Ce début de saison 6 réunit en catch-up sur TF1.fr des chiffres similaires aux années précédentes: 500 000 visionnages par quotidienne via Wat -- un chiffre qui ne tient pas compte des vues des services de catch-up intégrées dans les Box câble ou ADSL.
En assumant de cliver, et en l’assumant de plus en plus ouvertement au fil des premières saisons jusqu’à atteindre le niveau actuel au moment de la saison 3, «Secret Story» peut se permettre ce qu’on ne voit jamais sur TF1. Être moderne, jeune, proposer des personnages complexes et loin d’être tous ‘‘aimables’’ et sympathique (mais qu’on peut adorer détester).
Au-delà de cet aspect business, une chose a sauvé «Secret Story»: cette histoire de secrets. Un peu anecdotique au départ, elle a provoqué un changement de mentalité complet de la télé-réalité française. Pour la première fois, le message officiel n’y était pas que tout le monde était là pour ‘‘l’aventure humaine’’ et que ‘‘l’important était de participer’’. A chaque fois qu’un candidat très stratégique a fait «Koh-Lanta», par exemple, il s’est vite trouvé pris en grippe par le téléspectateur de TF1, venu voir avant tout des paysages et des performances sportives de candidats se battant uniquement contre eux-mêmes. Tout ce qui fait le sel du programme américain (alliance, contre-alliances et trahisons pour gagner) est absent du programme français. «Survivor» valorise l’intelligence (quitte à ce qu’elle se mâtine d’un peu de fourberie), «Koh-Lanta» ne valorise que le muscle (quitte à ce qu’il soit bourrin, l’émission à base d’épreuves presqu’exclusivement physiques, est d’ailleurs fondamentalement machiste).
Dans «Secret Story», puisqu’il faut protéger son secret, la stratégie, et donc la possibilité d’un mensonge est forcément présente, en même temps qu’elle est largement dédramatisée. Car on ment aussi au poker, par exemple, mais cela n’est pas grave et n’a pas d’impact sur les relations humaines puisque tout le monde autour de la table connaît au départ les règles du jeu.

 

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C’est un candidat, Léo, qui a fait complètement réaliser à TF1 et à Endemol le potentiel de l’émission qu’ils avaient entre les mains. D’une intelligence extrême, aussi bien sur le plan du raisonnement que sur le plan émotionnel, il kidnappe littéralement le programme pendant sa présence: tout le jeu tourne autour de lui. Après quelques semaines, il est sorti du jeu, suite à un dérapage personnel. Mais il avait définitivement changé l’émission et, à ma grande surprise à l’époque, la troisième saison de «Secret Story» continua sur cette lancée, prouvant au passage que les ‘‘scripteurs’’ du programme en avaient sous le capot.
‘‘scripteur’’, un drôle de néologisme que j’utilise à dessein. Je pourrais parler de scénariste, mais en France, c’est immédiatement compris de travers: il laisse entendre que les candidats se plieraient à une matière préalablement écrite, alors qu’il ne s’agit pas de ça. Ce sont d’autres écritures qui sont à l’œuvre. Celle du montage d’abord. Même en enlevant huit heures de sommeil, la production doit disposer, au bas mot, de trente ou quarante heures de rushes par jour (les candidats ne sont pas toujours ensemble et créent autant de ‘‘scènes’’ parallèles) qui sont réduites à quarante-cinq minutes de quotidienne. Evidemment que ce retraitement du réel implique de la dramaturgie. Le casting est une autre forme d’écriture, différents assemblages de personnalités construisant forcément différentes histoires. Et puis il y a les formes d’interventions plus directes: ‘‘missions’’, énigmes, instructions/déstabilisations via les téléphones de la maison, etc.
La troisième saison correspond aussi au moment où les producteurs ont commencé à vraiment maîtriser cette narration particulière de la télé-réalité quotidienne, ce que Manuel Raynaud avait très bien évoqué dans un article pour TéléObs à la fin de cette saison épique: «Secret Story : aux limites de la fiction».
En réalité, TF1 et Endemol n’ont pas tout à fait autant d’aisance à gérer ces éléments que je peux le laisser entendre. D’ailleurs, la qualité de la troisième saison de «Secret Story» reste inégalée. Pire, des tentatives maladroites de reproduire cette alchimie (la saison de «La Ferme Célébrités» avec Mickaël Vendetta et le crash «Carré VIP») ont abouti à des catastrophes éditoriales.
En fait, les saisons 4 et 5 ont été marquées par deux grandes tendances. D’abord, la volonté de racheter une image à l’émission, qui repose aussi sur une certaine confiance de TF1 et Endemol en la force du format. Le coté exhibitionniste – caméras sous les douches, photos quotidiennes des candidats à poil sur le blog de Morandini – a été totalement supprimé (les garçons sont même obligés de revêtir un t-shirt avant d’accéder à la salle d’interview). Personnages et situations doivent suffir en eux-mêmes pour faire le buzz. Ensuite, on a constaté l’accentuation du coté soap du programme, avec une mise en avant des histoires sentimentales (des couples déjà formés sont intégrés dès le départ, pour s’assurer d’avoir du contenu de ce type dès les premières semaines).
Ces deux saisons ont par ailleurs reposé sur des principes structurels beaucoup trop similaires – une candidate-poissonnière au centre du programme (Amélie puis Aurélie), une ou deux folles sympas pour le coté décalé (Benoît/Thomas puis Morgan), et un candidat stratégique un peu gâché, puisqu’on peut difficilement jouer tout seul (Bastien puis Zelko).
Usure et lassitude se faisaient sentir. La saison 6 allait-elle confirmer que les télé-réalités françaises sont incapables d’innover et se contentent de se reproduire à l’identique de saison en saison ?
Après quelques jours, impression est bonne et «Secret Story» pourrait me divertir tout l’été, alors que j’ai décroché avant la fin les deux années précédentes (l’émission gagnerait d’ailleurs à s’arrêter quand elle n’a plus rien à raconter, le tirage à la ligne autour du couple Amélie-Sena, que la prod a été jusqu’à ‘‘marier’’ pendant une hebdo, ayant été assez pathétique).

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Le casting de la saison nous épargne les personnages/caricatures les plus vues ces dernières années. Pas de poissonnière, pas de folle-asexuée-tellement-trop-cool, mais le sentiment d’un groupe plus mature venu avec l’envie de s’amuser pendant trois mois, plutôt qu’avec l’ambition de faire la couv’ de Closer pendant trois ans. Et plusieurs potentiels très bons joueurs se démarquent. Le plus évident étant Julien, mannequin avenant, mais aussi intelligent qu’observateur, et qui, lors des toutes premières nominations de ce mardi, vient de signer un ‘‘blindside’’ à la «Survivor». C'est-à-dire qu’il a pris totalement par surprise les nominés, qui n’avaient rien vu venir, et en plus sans se faire griller: ses adversaires dans le jeu ne soupçonnent pas qu’il est l’auteur de ce coup.
Il faut avouer que les débuts de «Secret Story» sont rarement ennuyeux, plusieurs secrets tombant forcément dans les premières semaines. Mais en navigant intelligemment, la prod a matière à animer au-delà, un secret comme celui des combines cachées de Julien finissant toujours par être révélé dans cette émission.
Bilan à la fin de l’été, pour voir si «Secret Story 6» a tenu ses promesses...

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FICTION EN CRISE - Et si TF1 copiait moins les séries US et plus... « Secret Story » !


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