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Facilitation

Publié le 05 juin 2012 par Toulouseweb
FacilitationLe transport aérien est devenu inconfortable.
Ce n’est pas un terme français, il n’est pas davantage anglais. «Facilitation» est un mot inventé, purement franglais, qui n’a pas droit à la plus modeste des mentions dans les bons dictionnaires. Un mot bâtard, qui dit bien ce qu’il veut dire, sauf qu’en matière de transport aérien, il a été vidé de son sens au fil des années au point d’être abandonné, oublié, enterré.
La preuve : le colloque de deux jours que l’Académie de l’air et de l’espace vient de consacrer au transport aérien à l’horizon 2050 n’a pas permis à un seul orateur de mentionner la facilitation. Quelle déchéance pour ce terme qui fut le leitmotiv de l’IATA et d’autres acteurs avant les crises de croissances successives du trafic et, surtout, le déferlement des mesures de sûreté. Lesquelles ont créé retenues, bouchons, goulets d’étranglement, à l’infini, suscitant la mauvaise humeur, l’exaspération, de vilains coups de fatigue et la mise à l’écart de voyageurs qui ont le malheur d’être physiquement fragiles.
Non pas les handicapés, qui ont droit à un fauteuil roulant, mais plutôt hommes et femmes tristement ordinaires qui clopinent vers les portiques, les tapis roulants, des préposés en uniforme foncé rarement souriants qui nous regardent avec une grande méfiance. Chacun d’eux rêve sans doute d’empêcher le détournement de votre ATR 72 vers Cuba ou une prise d’otage à bord d’un CRJ 900 assurant la ligne Lyon-Marseille. La sûreté est le mal du siècle, nécessaire, certes, mais le mal du siècle quand même, faute de discernement, de profilage, bref de bon sens.
Du coup, la langueur aéroportuaire, du temps perdu à tout jamais, du temps qui n’est même plus précieux, peut être investi en réflexions hautement philosophiques consacrées au calvaire du voyageur aérien. Les plus âgés d’entre nous évoquent alors avec émotion l’heureuse époque où le terrorisme aérien n’avait pas encore été inventé, les années d’aviation commerciale élitiste, délicieusement «classe», celles d’un personnel de bord attentif, d’une complicité non dite entre passagers, à bord des Super Constellation, DC-7C Seven Seas, des premiers 707 et DC-8. On fumait partout, on mangeait bien, la distinction était de règle. On s’habillait pour prendre l’avion.
Aujourd’hui, un jean élimé est largement suffisant pour traîner sa nostalgie d’un portique à l’autre. De toute manière, pas une oreille bienveillante ne se manifeste pour provoquer un minimum der compassion. Tout au contraire, le préposé attend un minimum de coopération de la part de chacun : retirer votre ceinture, enlevez spontanément vos chaussures, placez sans tarder téléphone, ordinateur, clefs, monnaie dans un bac en plastique gris triste, avancez à petit pas, impassible. Mais sans faire preuve d’une indifférence qui serait malvenue. Aux Etats-Unis, de petits écriteaux le rappellent : security is not a joking matter.
Les compagnies aériennes font désormais preuve d’une grande retenue lorsqu’elles vantent la qualité de leur service à bord. Les uniformes des hôtesses restent d’une élégance de belle facture mais les images sur papier glacé sont celles d’un transport aérien virtuel. Les danseurs de la publicité Air France sont graciles, élégants, raffinés. Mais ils semblent exprimer leur intense bonheur d’évoluer à mille lieues de l’aéroport le plus proche. Le PNC d’Emirates, lui, affiche sa grande élégance à l’intérieur d’un très gros porteurs, sans doute un A380, mais évolue, semble-t-il, en dehors du temps.
Lors du colloque de l’Académie, un audacieux a posé la question iconoclaste : «c’est quoi, le rêve aérien, aujourd’hui ?» L’interrogation qui fait mal, qui blesse. Vous voyez les portiques là bas, au loin, vous n’approcherez de la salle d’embarquement qu’après les avoir enfin atteints, vous échangerez d’ici là des propos désabusés sur de mauvaises aventures de survente, vous esquisserez un sourire amer en passant devant une affiche rappelant la solide réalité du sacro-saint droit des passagers. Alors que vous aspirez de toutes vos forces à la création de la très hypothétique liaison ferroviaire CDG Express, que vous voudriez marcher d’un pas alerte de l’entrée de l’aérogare à la porte d’embarquement sans qu’il s’agisse d’un véritable chemin de croix semés d’embûches, placé sous haute surveillance.
En fait, il faudrait éviter d’assister aux grands colloques internationaux qui rythment la vie des experts du transport aérien. Ils nous parlent inlassablement d’un monde merveilleux qui n’existe tout simplement plus, englouti, écrasé, annihilé par d’inhumaines statiques de trafic.
Avant de perdre nos dernières illusions, nous espérions beaucoup mieux.
Pierre Sparaco - AeroMorning

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