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38 - Appel dans la nuit

Publié le 19 mars 2008 par Theophile

Pleinelune Je regarde le plafond éclairé par le reflet de la lune. Les vieilles poutres de la maison de mes grands-parents dessinent des ombres sur les murs tapissés de motifs bleutés. Sous les draps parfumés d'un petit lit, je repasse en boucle la scène d'aujourd'hui, épouvantable, éprouvante. Dans la chambre d'à côté, j'entends les ronflements sourds de mon grand-père qui dort à poing fermé, alors que ma grand-mère s'agite et se bat avec l'insomnie qui ne veut pas la quitter.
Nous sommes arrivés tous ensemble en début de soirée, dans l'urgence. Les yeux de ma grand-mère, son regard, ses larmes ont témoignés de son choc et de sa colère vis-à-vis de "l'autre". Je pense que son insomnie est la conséquence de notre brutale venue.
Au rez-de-chaussée, ma mère et ma soeur dorment dans le canapé-lit du salon.
Il est 3h00 du matin. Je réalise que notre cauchemar est terminé. Je réalise que nous sommes vraiment partis. Je réalise que rien ne sera plus comme avant.
J'ai peur.
C'est une nouvelle vie qui démarre pour nous trois.
J'ai peur.
Nouvelle école. Nouveaux camarades. Nouvelles habitudes.
J'ai peur.
Des larmes agressent mes yeux éveillés comme des terroristes entrant par effraction et me tenant en joue. Je ne parviens pas à résister à leur force et leur violence.
J'ai peur, et les larmes coulent avec abondance sur la grimace de mon visage qui essaie de ne pas effectuer le moindre bruit. Pour ne pas alarmer la maison endormie.
J'ai peur et je garde pour moi seul ma douleur, mon traumatisme. Par dignité. Pour être fort. Pour passer les épreuves de la vie. Pour grandir.
Les minutes passent ainsi dans le silence de la nuit.
Puis, les larmes que je considérais comme ennemies me deviennent alors sympathiques puisqu'elles ont réussie à fatiguer mes yeux et provoquer leur endormissement. Ma résistance a fini par épuisé mon esprit et je m'abandonne au repos fragile, la poitrine encore engourdie et assaisonné par le sel de mes sanglots.

Comme un couteau tranchant l'épaisseur du silence, le vieux téléphone retentit.

Une sonnerie.
J'ouvre les yeux et me demande si cette sonnerie n'était pas l'actrice d'un mauvais rêve.

Deuxième sonnerie.
Je comprends qu'elle appartient à la réalité.

Troisième sonnerie.
La lumière de la chambre de mes grands-parents s'allume.

    - Qu'est-ce que c'est ?
    - Je ne sais pas... qui appelle à cette heure-ci ?

Ma grand-mère enfile sa robe de chambre et entreprend de descendre les escaliers pour ce rendre au rez-de-chaussée.

Quatrième sonnerie.
Ma mère debout dans la salle à manger, regarde ma grand-mère descendre les escaliers, mettant ses lunettes.

    - Maman !
    - Tu crois que c'est lui ?
    - Je ne sais pas... Ne réponds pas.

Cinquième sonnerie.
Ma grand-mère est en bas de l'escalier, près de ma mère. La pâleur de leurs visages : deux cercles translucides dans l'obscurité de la maison.

    - Je suis sûre que c'est lui.
    - Qu'est-ce qu'on fait ?

Sixième sonnerie.
Je me lève et me dirige vers l'escalier en haut duquel je croise mon grand-père, en pyjama. Il passe la tête au-dessus de la rampe pour parler à ma mère et ma grand-mère.

    - Pauline, réponds.
    - Mais...
    - Papa ! je crois que c'est lui.
    - Justement ! Si on répond pas il va trouvé cela louche. Réponds.

Septième sonnerie.
Silence.

Huitième sonnerie.
Ma grand-mère est devant le téléphone. Ma mère à la main posée sur l'écouteur.
Elles se regardent. Ma grand-mère avale sa salive.

Neuvième sonnerie.
Ma grand-mère décroche.

    - Allô.
    - ...
    - Allô.
    - ...
    - ...
    - ...
    - ...

La personne au bout du fil raccroche. La tonalité du signal "occupé" suit son cours. Ma mère repose l'écouteur.

    - Il sait.

Bannirefestivalromans2


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