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Narcis Comadira, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

La tâche du poète

1
Ecrire lentement
-traits blancs sur un fond noir-,
sur le papier bruyant
des mots de grand silence.

2
Promptement, fracasser
-en traits rouges de sang-
des silences douteux
avec des mots qui crient.

Narcis Comadira (1942-), in La nouvelle revue française n°590, de juin 2009.
Traduction : Denise Boyer
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Un passeig pels bulevards ardents (Traduit par Denise Boyer)

Des caravanes fuient, pleurantes, en traînant
un ballot assez lourd. Et des fermes brûlent au loin.
Maintenant je reviens sur mes pas, je vois de visages connus
qui ne me reconnaissent plus. L’épouvante et la peur les entraînent.
La famine et la peste dévastent tous les villages d’Europe.
Il y a des armées de pillards, de paysans révoltés,
des prêtres qui vendent leur âme à des démons dérisoires.
Cours, cheval, cours ¡Que le vert du hêtre est clair!
Le saltpetre ronge le fond des peintures,
un arthropode mange le texte des manuscrits.
Mon amour, mon amour, et je t’embrasse, apporte-moi des brassées de roses. [...]
Londres, février 1973
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Gigue

Les longues nuits dans les abris, les bombes,
et le chant des sirènes, tout revient
dans le doux soir bourgeois. Tu ne t’en souviens pas ?
Si lointaines les ombres et les ballons captifs,
les longues nuits dans les abris, les bombes.
Tous ces adolescents qui mouraient par milliers
et se sont putréfiés sous tant de champs d’Europe
et sont graines d’usine, charbon et betterave,
petits crimes passionnels et bicyclettes,
béton et horizons, chemins, agriculture.
Les péniches se traînent sur le canal.
Tulipes et beurre bercent des cheveux blonds,
de grands corps qui grossissent, conçus naguère
en des soirs de misère, les bombes,
longues nuits aux abris, oui tout revient,
le chant des sirènes, les guerres mondiales.

Et maintenant Herr Hitler, un petit tour de danse.
Combien de sucres voulez-vous dans le sourire ?
- Toutes les jeunes filles d’Europe m’oublient, petit coeur en peluche bien bordé de murmures.
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Ne rien t’en dire

Ne rien t’en dire et laisser s’écouler
le soir épais. Ces cris de mouette sont
des coups de bec au cœur. Ne rien t’en dire,

de la lente terreur qui croît en moi,
des cellules malignes qui s’étendent
dans mon esprit. Ne rien t’en dire. Écrire.

Et par un soir de pourpre sur la mer,
avec cet orgueil terminal d’agave,
savoir fleurir au bord du précipice
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Biographie

Narcís Comadira est né à Girona le 22 janvier 1942. Il a fait des études de philologie romane à l’université de Barcelone où il a obtenu une licence en histoire de l’art. Il a été lecteur au Département d’Espagnol de Queen Mary College à l’université de Londres de 1971 à 1973. Peintre et poète depuis très jeune, son activité dans les deux domaines trouve un équilibre exceptionnel sans que l’un ne prenne le dessus sur l’autre ni en intensité ni en qualité.
Depuis 1970 il a publié divers ouvrages de poésie qu’il a par la suite regroupés, comme La llibertat i el terror (Poesia 1970-1980) – La liberté et la terreur (Poésie 1970-1980) – et Enigma – Énigme – en 1981 ; En quarantena – En quarantaine – en 1990, Usdefruit – Usufruit – en 1995 ; L’art de la fuga – L’art de la fugue – en 2000 ou Formes de l’ombra – Formes de l’ombre – en 2002.
Son expression lyrique adopte des formes classiques par la rigueur linguistique et métrique; la contemplation, la réflexion et l’ironie sont d’autres caractéristiques. Il reconnait être sous l’influence des grands poètes catalans du XXème, tels que J.V. Foix et Gabriel Ferrater.
Il a également publié des œuvres en prose: Girona, matèria i memòria – Gérone, matière et mémoire – en 1989, qui est un portrait de sa ville natale; Fórmules magistrals – Formules magistrales – en 1997, un essai gastronomico-culturel; Sense escut – Sans bouclier, recueil d’articles politiques parus dans le journal El País – en 1998, L’ànima dels poetes –L’âme des poètes- (2002) sur des questions poétiques et Camins d’Itàlia – Routes d’Italie – en 2005.
En tant que dramaturge, il a mis en scène quatre pièces de théâtre: Neva – Il neige – en 1992, La vida perdurable – La vie perdurable – en 1992, L’hora dels adéus – Le temps des adieux – en 1995 et El dia dels morts, Un oratoire pour Josep Pla, en 1997.
Pour ce qui concerne son extraordinaire capacité comme traducteur, il faut remarquer une anthologie de poètes italiens (1985), une collection d’anciens hymnes chrétiens composés originellement en latin (1998), une anthologie de poèmes de W.H. Auden (Digue’m la veritat sobre l’amor – Dis-mois la vérité sur l’amour – en 1997), les Canti de Giacomo Leopardi (Cants, Chants, 2004) et des œuvres de G. Bassani, E. de Filippo, E. Montale et P.P. Passolini.Il a réalisé pour le théâtre la version catalane de The Rocky Horror Show, le Bernstein-Sondheim-Wilbur musical Candide et I giganti della montagna de Luigi Pirandello. Son œuvre a été traduite en français, anglais, allemand, galicien et espagnol.

Bibliographie

Quelques ouvrages traduits en français:
•La vie éternelle: Un repas de famille. Traduction de Marina Lopata et Didier Ruiz, sous la direction de Raül David Martínez Gili. Paris: L’Amandier, 2005.
•En quarantaine, suivi d’usufruit. Traduction de Denise Boyer. Paris: L’Amandier, 2005.

Narcis Comadira, poèmes


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