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Chamanisme et poésie

Publié le 19 mars 2008 par Ffievre
Une petite virée à la librairie José Corti, la semaine dernière, m'a permis d'acquérir une de leurs dernières nouveautés, Les techniciens du sacré de Jerome Rothenberg. C'est la première traduction française (par Yves di Manno, par ailleurs traducteur d'Ezra Pound et de William Carlos Williams) d'une anthologie de poésie "primitive", où Jerome Rothenberg a essayé de rassembler des textes rituels traditionnels, ayant tous un rapport plus ou moins proche avec le chamanisme, le paganisme ou la pensée magique. Le but de l'anthologiste est de proposer un parcours personnel dans ces différents fragments de poésie de l'extase, et de multiplier les rapports, dans ses commentaires, avec la poésie contemporaine. Comme si, dans la littérature dite "savante", se jouait une filiation avec les paroles sacrées des peuples dits "primitifs". On retrouve ainsi Rabelais, Shakespeare, Homère, Ginsberg aux côtés de vieux charmes anglo-saxons et de récits chamaniques africains, de chants altaïques ou de cosmogonies chinoises. Une mise en perspective risquée (pour ne pas dire inepte) du point de vue de l'histoire littéraire, mais passionnante du point de vue esthétique et anthropologique.
Il est nécessaire de rappeler que la première édition de cette anthologie a été publiée aux Etats-Unis en 1968, soit au beau milieu du mouvement hippie, issu lui-même de la beat generation. Le néopaganisme du mouvement hippie, ou du moins son intérêt pour les religions préchrétiennes, restent il me semble mal connus, au contraire de l'histoire de la wicca ou du néodruidisme bretonnant. Cette publication opère la jonction entre trois domaines qu'on associe peu habituellement: poésie, néopaganisme/chamanisme, et mouvement hippie. A noter également, le titre (Technicians of the Sacred dans l'original) semble visiblement inspiré de la seconde partie de celui du célèbre ouvrage de Mircea Eliade sur le chamanisme: Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase.
En couverture de l'édition française, un pétroglyphe indien de Newspaper Rock, dans l'Utah, aux USA. Détail remarquable, le fond bleu sur lequel se découpent les figures blanches est celui de la paroi originale, sur laquelle les indiens ont disposé leurs pigments bleus et blancs. L'image primitive s'insère ainsi naturellement et admirablement dans la "collection bleue" de José Corti consacrée à la littérature merveilleuse.
Pour information, des lectures de Jerome Rothenberg et Yves di Manno ont lieu courant mars un peu partout en France. Mon message vient un peu tard pour la plupart des séances, mais vous pouvez encore vous rendre aux lectures de Chalon-sur-Saone, Tours et Marseille si le coeur vous en dit (j'irai à celle de Tours personnellement!).
A noter enfin, la publication récente d'une anthologie tout à fait comparable de Kenneth White, poète contemporain d'origine écossaise, résidant en France. Dans Territoires Chamaniques, Premiers temps, Espaces premiers (publié par la petite maison d'édition suisse Héros-Limite), Kenneth White a voulu, tel Rothenberg en son temps, recueillir des chants et poèmes oraux des sociétés dites "primitives". Ce recueil est plus difficile à trouver, mais la librairie Corti, dans le VIe arrondissement à Paris, en a sur sa table actuellement.
Il est largement plus petit, moins ambitieux et probablement moins important historiquement que son prédécesseur, mais il est amusant de constater qu'il est publié quasiment au même moment (fin 2007 pour le White, début 2008 pour le Rothenberg). Les deux maisons d'édition semblent en tout cas bien se connaître, puisque Fabienne Raphoz, qui s'occupe de la collection merveilleux chez Corti, édite ses oeuvres personnelles chez Héros-Limite. Le temps serait-il à la poésie néochamanique?

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