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Mélenchon, l'échec d'un discours

Publié le 12 juin 2012 par Omelette Seizeoeufs
 

Les commentaires se multiplient sur la défaite de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont. Prenons par exemple Laurent Joffrin :

Son aventure reposait sur un postulat : pour ramener à gauche les classes populaires détournées par le vote FN ou l’abstention, il fallait radicaliser le langage, la tactique et le programme. […] il fallait en tout point déclarer la guerre au réformisme. Pour séduire les ouvriers déçus par la gauche, il fallait être beaucoup plus à gauche. C’est ce raisonnement, plus que le candidat Mélenchon, qui a échoué à Hénin-Beaumont.

Sur ce point, je suis d'accord : on a trop souvent expliqué le passage d'une partie du vote populaire de la gauche à l'extrême droite par le positionnement trop timide du Parti Socialiste. Comme si les "prolétaires" étaient naturellement à gauche, voire à l'extrême gauche, et qu'il suffisait de poser son filet au bon endroit pour les ramasser. Le double échec de Mélenchon montre que ce n'est pas le cas. Le discours traditionnel de la gauche révolutionnaire ne prend plus, en dehors du peuple de gauche, cette petite dizaine de pour cent des électeurs très politisés, qui restent fidèles à la radicalité communiste ou trotskyste.

 

Chez les électeurs populaires qui n'ont pas, ou qui n'ont plus cette culture politique, les discours nostalgiques d'une gauche vraiment à gauche ne fonctionnent plus. Joffrin se trompe en revanche, lorsqu'il cherche à l'expliquer leur indifférence à l'égard de Mélenchon :

Les classes populaires, contrairement au postulat mélenchoniste, ont les pieds sur terre. Elles se méfient de la radicalité verbale qui recouvre avant tout l’irréalisme. Aussi bien, un candidat qui proclame à tous vents que l’immigration ne pose aucun problème ne saurait remporter un grand succès auprès des ouvriers et des employés, qui craignent la concurrence d’une main d’œuvre sous-payée et corvéable à merci.

La précarité et la pauvreté ne rendent pas xénophobe. Mais la xénophobie est un imaginaire politique facile, et la famille Le Pen s'entraîne à l'exploiter depuis des décennies. Marine Le Pen, en apportant une touche "sociale" et en dissimulant la référence antisémite, a encore amélioré la machine. Les discours, les tactiques, tout était prêt pour devenir le véhicule d'un fort désarroi social et politique.

Le gauchisme traditionnel avait, avec le Parti Communiste, en France et ailleurs, et surtout en URSS, ses théoriciens, ses intellectuels, ses artistes. Le discours était rôdé depuis longtemps ; les cadres étaient formés. L'ensemble, composé de propagande, d'idées, avait construit l'opinion, dépeint la société et ses conflits de façon à se présenter comme la solution aux problèmes des travailleurs.

Si je les compare, ce n'est pas pour dire, comme Jean-François Copé et tant d'autres avant lui, que les extrêmes se valent, mais uniquement en termes du développement d'une vision du monde. Celle à laquelle fait référence "la vraie gauche" et que Mélenchon était censé représenter ne marche plus. Elle visait, à l'époque où elle fonctionnait bien, un électorat ouvrier dans le contexte d'un capitalisme national ; elle n'a pas de réponse convaincante pour le chômage, le précariat et la mondialisation. La grille de lecture marxiste reste souvent pertinente, pour le diagnostique. Les solutions politiques en revanche se font désirer. Le discours n'a pas été renouvellé, ou pas suffisamment.

 

Au moins l'expérience de Mélenchon aura servi à montrer qu'il faut trouver autre chose. Il faut donc un discours populaire qui ne soit pas une version éducolorée de ce que propose le Front National (c'est la direction probable de l'UMP), un discours qui ne soit pas non plus une discrète validation des thèses frontistes, comme le fait Joffrin quand il dit qu'"un candidat qui proclame à tous vents que l’immigration ne pose aucun problème ne saurait remporter un grand succès auprès des ouvriers et des employés", un discours qui s'adresse aux "vrais problèmes des vrais gens" (ce que tout le monde promet, toujours) et qui, surtout, réussit à s'imposer dans l'imaginaire populaire.

Le PS, qui n'a rien à proposer sur le plan de l'imaginaire, a l'occasion de faire ses preuves par le concret. Cela ne suffira pas, mais cela peut être un début. Car un discours et un imaginaire ne se construisent pas en un après-midi, ou même en un quinquennat. En attendant il faut espérer que les couches vulnérables de la population iront mieux, et que l'on réussira à montrer que c'est grâce à une politique de gauche. Cela ne remplacera pas une vision du monde et un imaginaire politique, mais ce serait déjà pas mal.

Dernière minute :

Marc Vasseur poursuit cette problématique depuis des années. Il avait prévu l'échec de Mélenchon et ses commentaires ce soir sur la paresse intellectuelle d'une gauche qui ne veut pas s'investir véritablement dans cette lutte sont très justes.


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