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Le secret séjour du coeur (2.0) et entretien avec Trey Spruance

Publié le 11 juin 2012 par Tudry

Le secret séjour du coeur du chef (version 2.0), par Thierry Jolif-Maïkov

Une introduction à l'oeuvre des Secret Chiefs Three en forme de suite à notre texte sur la musique et l'idolâtrie de la modernité !! Pourquoi ? Parce que la musique de ce groupe suit un processus d'évolution spirituel qui correspond exactement à ce à quoi nous nous référions dans ce texte !

Les expériences musicales de son groupe Trey Spruance les plaçait depuis quelques années déjà, sous le signe des études ésotériques et métaphysiques de noms comme Guénon, Schuon et quelques autres, leurs grands devanciers bien sur, maîtres du soufisme ou de l'advaita vedanta, mais surtout sous le "patronnage" d'Henry Corbin. Une gnose spiritualiste un brin intellectualiste mais non dénuée de coeur.

Comme tout humain, dont l'intelligence ne se limite pas a la dialectique discursive, qui lit des livres, T. Spruance dut certainement noter les références citées dans ces lectures puis chercher, avidement sans doute, à se "rapprocher" de ces autres auteurs, de ces autres maîtres, desquels on attend avec fébrilité quelques nouvelles découvertes, du moins de quoi approfondir les précédentes, voire illuminer un peu ce petit coeur trop sec de moderne trop moderne !

Sa musique en tout cas laisse présager de ce cheminement, à peu de chose près ! Il serait aisé de dire qu'elle emprunte à l'orient arabe, à l'Inde pour mêler ces emprunts à un rock un peu "rétro" (surf - psyché - garage) mais sous tension permanente lui-même entre électro et "hard" ! Ce serait plus facile si les musiciens qui entourent Trey Spruance ne maîtrisaient à la perfection leurs "exotiques" instruments !

Aussi se nous trouvons-nous dès lors face à une musique certes "moderne" mais qui devient très vite, à la manière de la musique des derviches (même si la comparaison  semble facile et rebattue), un sorte de miroir hypnotique dont le centre figurerait un vortex métaphysique (très réellement, tant cette musique semble faite pour dépasser littéralement la matière même qui la compose) établissant un contact furtif avec les "influences spirituelles" de "mondes anciens", influences que les traditionalistes aiment tant à dire "inaccessibles aux modernes", voire "épuisées pour notre cycle". Or, ces jeunes gens électriques, tant par leurs évocations que par leurs "méditations en actes", leurs prières électro-électriques font advenir les énergies spirituelles au coeur de leur modernité !

Et puis, et puis... ? Et puis le bonhomme, comme nous le fîmes, découvrit le travail et la vie, la vie surtout, d'un autre moderne qui fit éclater au coeur de sa vie tout étriquée de ce vide angoissant, la lumière sans déclin de la Vérité incarnée ! Ce trou métaphysique que la moderne occidentalité a creusé a force de refuser cette douloureuse et pourtant si joyeuse nouvelle : la Vérité est une Personne, une Personne divino-humaine tout environnée de la lumière au-dessus de la lumière que cette personne EST aussi ! Le monde est un buisson ardent, le feu immatériel qui y brûle sans le consumer vulgairement, ce feu est énergie, dynamique ... et qu'est-ce que la musique sinon de l'énergie, des dynamiques, les vibrations harmoniques de nos vieux instruments acoustiques : énergie ! L'electricité de nos instruments modernes : énergie !

Le feu de nos corps, le feu de nos coeurs, l'électricité de nos cerveaux, de nos neurones ... infusons toutes nos énergies, toutes les prières muettes de nos corps infusons les dans des hymnes vibrantes; hymnes acoustiques-électro-électriques. Fusons, infusons, le silence dans nos coeurs, nos prières sur-vribrantes d'énergies; assourdissantes pour imposer le silence au monde !

Il y a une route pour les musiciens post-modernes, il y a, pour eux, une Vérité, il y a pour eux, en dehors de la simple vulgarité populacière ou brutale, en dehors de l'intellectualité sèche ou pseudo-archaïque, stérile ou moutonnière ... il y a une vie, une Personne, le silence vibrant d'énergie et de lumière, au coeur même de nos notes électriques ! Comme nous le fîmes, Trey Spruance, à travers l'énergie électrique qui passe de notre cerveau à nos instruments à cherché à combler les vides contemporains, il a cherché la vérité, il l'a cherché métaphysiquement, il l'a cherché religieusement, de toute sa force animique, de tous ses espoirs, de toute son intelligence, avec les fibres électrifiées de son corps tendu dans l'ek-stase ultrasonore ... et au bout du bout de ces énergies du désespoir, au terme de la tension intellectuelle un visage ombombré d'une lumière incréée... la Vérité, la Vérité incarné, le visage qui comble les apories du monde, de la quête dans le monde...

Tropinka : Trey, peux-tu nous dire, pour tous ceux qui ne seraient pas familiers de Secret Chiefs Three, quand l'idée de cette entité musicale t'es venue à l'esprit, lorsque tu étais membre de Mr. Bungle, avant, après ?

TS : C'est amusant, parce qu'en fait maintenant Secret Chiefs Three est « séparé » en plusieurs entités musicales (Traditionnalists, Ishraqiyyun... NDLR) et, en fait, à l'époque c'était ça mon idée, avoir plusieurs directions musicales, ce qui remonte à 1992 ou 1993. En réalité SC3 est né officiellement en 1995, donc lorsque Mr. Bungle existait encore. Les deux premiers disques sont sortis alors que Mr. Bungle existait encore.

T: Se sont là les « sept incarnations » dont tu as parlé dans un autre entretien, les sept différentes manières de jouer de la musique ?

Oui, mais jouer « live » et enregistrer en studio ce sont deux choses très différentes, il y a la manière dont tu penses intérieurement les choses en tant qu'idéaux ou en tant qu'archétypes et puis lorsque tu joues vraiment sur scène ce doit être plus incarné, c'est comme injecter le sang des personnes qui jouent physiquement dans des idées...

T : Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce nom Secret Chiefs Three ? Est-ce qu'il t'es venu d'un coup ou est-il le résultat d'une réflexion sur chacun de ses éléments ?

C'est un peu de tout ça. En vérité il me semble qu'il apparaît beaucoup de chose autour de SC3, beaucoup de significations semblent provenir de collisions, de double-sens ou plus... Mais, finalement, peut-être n'y-a-t-il rien de si profond... Tu vois cette idée du monde comme étant gouvernés par des forces secrètes, par des « chefs secrets ».... ? C'est une idée très actuelle, qui marque les consciences...

T : C'est une sorte de plaisanterie à l'attention de ceux qui prennent l'idée de conspiration trop au sérieux... ?

TS : hmmm c'est encore trop simple de dire ça... parce qu'en amérique il y a tous ces dixieland bands qui se nomment eux-mêmes Five Horses Five ou d'autre chose comme ça...

Il ya quelque chose d'un peu ironique en référence à cette tradition avec Secret Chiefs... Three, mais également avec le symbolisme, évidemment du « trois », le plus grand, mais aussi avec le sens de la « trinité », du triangle phytagoricien...

T : pour de nombreux auditeurs l'un des intérêts dans la musique de SC3 est son « aspect » oriental, mais, peut-on te demander Trey, en tant que musicien occidental moderne, quel est ton orient, quel peut être ton orient ?

TS : Pour ça il faut se référer à l'un des groupes qui composent SC3 : Ishraqiyun ! Ishraq est comme une contraction qui signifie à la fois la lumière et l'est... Tout le monde sait que la

lumière se lève à l'est, pour la plupart des auditeurs c'est surtout ce « groupe » qui sonne oriental ou asiatique mais chacun des groupes représente en fait une « orientation » différente mais finalement la question est de savoir si tu peux être « orienté » « au centre »... si tel est la cas, alors tu peux être conscient d'où vient la lumière, ou elle va et donc comment l'ombre projetée est orientée. Alors, en tant qu'occidental je peux dire que j'ai commencé dans l'ombre, c'est de là que j'ai commencé le cheminement...

T : et tu te diriges depuis, toujours, vers l'est... ?

TS : Non, pas nécessairement... c'est plus intérieur... je veux dire, parfois, les tonalités les plus orientales peuvent être « orientées » vers l'ouest, vers l'ombre et, inversement, les tonalités les plus « occidentales » être tournées vers la lumière... mais c'est lorsque tu te situes au centre que tu peux être attentif à cela...

T : Tu a été très influencé par les travaux d'Henry Corbin...

TS : énormément

T : et par l'ésotérisme musulman... Pour certains il paraît très difficile, sinon impossible, de transcrire ces influences dans la musique moderne... Alors, quelle est ta « méthode » ?

TS : Le commencement de cette question c'est le désir, la volonté, l'inspiration d'unir des choses qui nous sont devenues abstraites, que nous avons oublié... des « principes ». La musique nous unit, nous réunit à des idées que la modernité tend à repousser hors de notre portée... Alors je dirais, qu'originellement, l'intention était de rendre ces choses plus tangibles, plus à notre portée... Mais ceci c'est le projet « originel », nous avons du devenir de plus en plus réalistes par rapport à nos désirs, à nos intentions, c'est un processus que nous devons continuellement redéfinir... Pour moi ce fut un processus très personnel, un développement très personnel... mais la musique n'est pas mon « dieu » ou mon « seigneur », nous avons du nous accorder pour mettre en acte ce qui est, de façon tangible, des principes philosophiques...

La musique m'a permis de découvrir qu'il y avait quelque chose au-delà de la philosophie. En tant qu'occidental je suis parti de cette idée des philosophes antiques pour lesquels la « sophia », la sagesse était le but et la philosophie le moyen, le « médium ». Au départ, clairement, tout ça n'avait vraiment rien de religieux... Je pensais vraiment appliquer le programme du « quadrivium »... La musique devait permettre d'appliquer ces « principes ».

T : As-tu alors, arrivé à ce point, étudié la théologie, les Ecritures...

TS : Oui, oui bien sur, mais pas avec mon « esprit » philosophique... ce sont deux « ordres » différents... Il n'y a pas d'opposition, mais tu n'agis pas de la même façon lorsque tu es assis, que tu étudies et analyses les idées et lorsque tu es dans une relation d'amour et d'adoration de Dieu, de l'Amour...

T : La musique n'a donc aucune part dans ta conversion à l'Orthodoxie ?

TS : C'est encore une très longue histoire... Environ un an avant ma conversion j'ai rencontré quelqu'un qui ce faisait connaître sous le nom de Anonymous 13. Elle est maintenant none dans un monastère en Roumanie, elle est d'origine roumaine et c'est une grande musicienne, à cette période elle jouait de la musique, c'était ma petite amie, elle a vécu trois ans chez moi, ce fut une période vraiment très fructueuse. C'est à cette époque qu'elle a commencé naturellement à se tourner de nouveau vers l'Orthodoxie. Elle traversait quelque chose de très douloureux, elle avait besoin d'être soigner de cela, naturellement elle se tourna vers sa patrie spirituelle alors que nous avions le même intérêt profond pour les mêmes sujets, l'ésotérisme et tout ça. Maintenant je peux dire, c'est de l'avoir vu guérir après avoir traversés des voies différentes, d'avoir rencontré les gens qui l'ont aidé qui m'ont permis de ne pas, je ne peux pas dire, « me perdre » mais, enfin, de ne pas être, oui, perdu spirituellement, enfermé dans des limbes intellectuelles. J'ai fait la même expérience avec mon père spirituel. Donc la question du rapport de sa guérison avec la musique, puisque la musique est notre vocation me vient à l'esprit car c'est par elle, à cette époque, que je me suis retrouvé confronté au chant byzantin, de même pour elle, en Roumanie, sa particularité, pour les moines et spécifiquement pour le chant roumain byzantin, ce fut son talent musical, elle a été très importante pour la renaissance de ce chant, mais ce fut également un combat, il lui a fallut du temps pour ajuster les choses, elle n'est pas une « diva » mais elle en a le talent, alors, une jeune moniale qui doit apprendre à tout le monde le chant byzantin et les moniales agées qui guident le coeur à aller au-delà, mais c'est une bonne relation. Ce fut ça mon introduction, par la musique à l'orthodoxie, toute l'énergie du chant, l'harmonie, entendre le vrai sens de l'harmonie qui prend place de le cycle liturgique...

T : Alors, finalement, l'Orthodoxie aura été une guérison de quelque chose de très sec et intellectuel vers quelque chose qui soit plus « du coeur » ?

TS : Pour moi il s'agit de deux catégories tout à fait différentes... Je vois une profondeur au centre de la musique, une profondeur au centre de ce que signifie l'harmonie, ce que j'ai toujours recherché et que la musique orthodoxe incarne, qu'elle incarne idéalement si ce n'est toujours dans l'exécution mais en tout cas elle sait toujours où est la profondeur... je ne fais que recevoir ça, je me sens très passif face à la musique orthodoxe, dans un contexte orthodoxe je n'ose pas...

T : Quel est le poids de ta propre spiritualité dans la musique de SC3, tu as étudiés en profondeur l'ésotérisme, particulièrement l'ésotérisme musulman avant de te convertir à l'Orthodoxie... ?

TS : A ce point c'est très bien que je puisse parler de ça, c'est certainement le seul moment ; le seul « lieu » où je puisse le faire car d'habitude je n'en parle pas... Habituellement je garde ça à un niveau très personnel, même dans la musique... nous avons travaillé sur des symboles, sur des idées très vastes, très nombreux et de ce fait nous avons un grand nombres d'auditeurs très différents et qui se concentrent sur ces choses, et c'est merveilleux d'une certain manière, et parfois, ce n'est pas si merveilleux que cela parce que chacun apporte ces idées propres et nous pouvons nous sentir un peu irresponsables... D'une certaine manière je suis parfois entravé par ce que le musique reflète de moi-même et par ce qu'elle me fait, c'est pour cela que je préserve un peu plus de ce qui est, actuellement, intensément personnel. Mais maintenant je peux dire que cette étude très intensive, l'ésotérisme musulman, tout ça... sur lequel je me suis penché pendant une très longue période, douze ans... cette façon de faire était très sèche, c'était comme une terre aride, très intellectuelle à partir de laquelle rien ne pouvait pousser, toutefois cette étude, froide, détachée, très intellectuelle de l'ésotérisme musulman aura certainement brisé quelque chose qui m'a amené à pouvoir concevoir la théologie... d'une façon ultime la théologie elle même, cette rupture avec un rationalisme dur... il y a douze ans de cela je n'aurais certainement pas été capable de lire les Pères comme je le fais aujourd'hui... Une réponse très convenue, non ? Mais vraiment c'est ce qui m'a permis de comprendre la balance entre le coeur, l'intuition et l'intellect... c'est quelque chose de très important...

Entretien réalisé par O et Jen C.


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