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The Sun et la délicatesse

Publié le 20 mars 2008 par Dlaufer

Un gros rhume, refilé par mon fils que je voulais trop soulager du sien, me fait vivre un supplice épouvantable: j’ai totalement perdu l’usage du goût. Un plat de pâtes carbonara, un verre de Syrah du Valais, et tout ça comme de la ouatte, comme de l’eau. Je ne me doutais pas que la perte de ce sens là puisse rendre la vie si triste. Il y a d’autres sens, parfois, qu’on perdrait presque volontiers. Par exemple, en lisant The Sun, le premier quotidien anglais, on rêverait presque de perdre la vue, mais c’est un tantinet drastique. Disons qu’il vaudrait mieux n’y pas chercher de sens du tout.

En bringuebalant mollement je passe sur la célèbre et institutionnelle “Page 3”, cette photo couleur en pleine page d’une gentille Londonienne précédée de ses puissants arguments laitiers, souvent laiteux d’ailleurs étant donné la latitude. Et puis il y a le reste du journal, c’est à dire une série de potins et de ragots illustrés par d’immenses photos floues, prises au téléobjectif. On y apprendra comment telle star d’une émission de téléréalité est sortie de sa voiture avec une jupe un peu trop courte. Comme elle avait oublié ses sous-vêtements, le cliché est d’un naturalisme touchant. Mais The Sun, et ce cher vieux Rupert Murdoch qui en a fait la fierté de son groupe de presse, vous informe aussi quelques fois. L’autre jour, j’ai donc appris que Heather Mills, alias la deuxième femme de Paul McCartney, avait  finalement remporté 30 millions d’Euros à l’issue de son divorce. Or il paraît que c’est une menteuse compulsive et qu’en plus elle a posé dans sa jeunesse dans des magazines de charme. Ces tares combinées de mensonges et de pornographie, pourtant familière aux lecteurs du Sun, met en branle les rédacteurs grassement payés pour trouver des titres délicats et sobres. Ils décernent donc à Mme Mills le charmant surnom de Pornocchio.

The Sun et la délicatesse

Dans un registre apparemment différent, j’ai également appris dans The Sun que l’appartement le plus cher du monde vient de trouver preneur. Sur St James’s Square, un étage d’immeuble entièrement refait a été échangé contre 300 millions de francs suisses. A ce stade, les métaphores sont sans effet. On peut à la limite s’exclamer : autant claquer 300 millions pour un seul appartement ! Je me demande, à titre comparatif, pourquoi l’acquéreur n’a pas simplement racheté tout le Val d’Anniviers, ou tout Cully, ou tout le centre d’Orange. Pour une retraite dorée, c’eût été plus tranquille que le centre de Londres. Mais j’avais parlé plus haut d’un registre apparemment différent que la délicate Pornocchio. Il y a en effet des liens très directs entre ces deux types de nouvelles : la destruction délibérée des limites, qu’elles soient morales ou financières.

Le libéralisme à l’anglaise explose et se décline désormais sous toutes ses formes, et nous n’avons pas encore fini de l’apprendre. On peut évidemment, comme les Français, à l’exception notable de leur président, se pincer le nez et faire un écart devant cette pénible vulgarité. On peut aussi trouver cela diablement intéressant, sans avoir besoin d’y souscrire ou de rentrer dans la danse. Cette période d’excès de toutes sortes prendra de toute façon fin, probablement plus tôt que prévu, et probablement dans la douleur. Cette fin pointe d’ailleurs le bout de son nez, et 300 millions pour un appartement, ou la pathétique Pornocchio, m’en racontent bien plus que de longues analyses socioéconomiques. En attendant le mot fin, et en dépit de mon rhume, je déguste.


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