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Diderot commente Épicure et Lucrèce

Par Les Lettres Françaises

Diderot commente Épicure et Lucrèce

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Revue cultruelle et littéraire les lettres françaises denis diderot

Denis Diderot. Gravure

Destiné à la prêtrise, Denis Diderot, fils d’un modeste artisan de Langres, est parvenu à faire des études remarquables. Et plus que de religion, il a fait provision de littérature classique, comme il le dit dans une lettre : « Plusieurs années de suite, j’ai été aussi religieux à lire un chant d’Homère avant de me coucher que l’est un bon prêtre à réciter un bréviaire. J’ai sucé de bonne heure le lait d’Horace et de Virgile, d’Homère, de Térence, d’Anacréon, de Platon, d’Euripide, coupé avec celui de Moïse et des prophètes. » Le récit de cette jeunesse très studieuse, on peut le lire, assez romancé, dans le livre de Sophie Chauveau, qui fait partie de ces biographies que je dirais hallucinées. On peut au moins y découvrir les épisodes savoureux de son mariage secret avec Anne-Antoinette Champion en 1743 après avoir été enfermé dans un monastère par son père (il a pourtant trente ans !). Peu après, il traduit les Characteristicks de Shaftesbury avec Robinet, où le philosophe anglais est hésitant devant le matérialisme des épicuriens, comme Voltaire, qui écrit pourtant à propos de leur système : « Vous (y) rentrez toujours, malgré vous. »

Dans ses Pensées philosophiques (1746), Diderot révèle cette hésitation entre le déisme et le matérialisme. Il y réfute la théorie d’Épicure sur le « jet fortuit des atomes », qui donne plus de chance à la « naissance réelle de l’univers » qu’au chaos. Mais son scepticisme et sa manière de poser la relation au divin font qu’un arrêt du 7 juillet de la cour du Parlement interdit ce livre avec encore plus de dureté que l’Histoire naturelle de l’âme de La Mettrie. Le matérialisme de Diderot, qui est en partie l’héritage d’Épicure et de ses disciples, se retrouve encore dans sa Lettre sur les aveugles, qui lui vaut un séjour de trois mois au château de Vincennes en 1749. Au fond, c’est surtout sa manière d’appréhender les sciences de son temps, de Newton à Gassendi, qui ne cesse de le ramener aux thèses épicuriennes même s’il les rejette en partie.

Cela est patent dans le Rêve de d’Alembert et les deux autres dialogues qui le précèdent et le suivent en 1769. Mademoiselle de Lespinasse critique le « microcosme » du rédacteur de l’Encyclopédie. Et là, elle développe la doctrine épicurienne de la fermentation et la doctrine de Lucrèce. Mais, dans l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778), Diderot évoque Sénèque, « comme un bouclier impénétrable à tous les traits qu’on peut lancer à Épicure », étant celui qui avait accès aux écrits du grand philosophe grec. Et il rappelle que saint Jérôme, « qui n’était pas le plus tolérant des Pères de l’Église », le « loue pour la pureté de sa morale ». Et là est bien la question qui taraude Diderot : s’il aime tant la peinture de Chardin, qui est une apologie de l’insignifiant pour son époque, et du vernaculaire et l’apologie de la peinture en soi, il a eu recours au sentencieux Greuze pour représenter cette vertu dont il a besoin pour avancer les idées les plus condamnables tant pour les sciences que pour la religion. En sorte que sa théorie des passions, librement déclinée d’Aristote, au fondement de sa pensée sur l’art, a besoin d’Épicure pour assurer un équilibre entre la jouissance pure du goût et la dure réalité de la société où il l’exerce.
 

Gérard-Georges Lemaire

Diderot, le génie débraillé, de Sophie Chauveau. Éditions Gallimard, « Folio », 576 pages, 7,80 euros.
OEuvres philosophiques, de Denis Diderot. Éditions Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1 472 pages, 65 euros.

N°84 – Les Lettres Françaises juillet 2011



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