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Pépère

Par Placebo
PépèreChristophe SPIELBERGER, Pépère, Édition L'une et l'autre, 2012 (144 pages).
Il sera question aujourd'hui d'un livre que vous ne pourrez pas trouver sans effort, l'éditeur n'étant pas distribué au Québec; vous restera la possibilité, à défaut d'aller le chercher en France, ou de vous le faire rapporter par quelque truchement secourable, de recourir aux bons offices d'une dame, toute virtuelle, mais fort diligente, « à l'âme et aux allures viriles » -- selon le Trésor de la Langue française. Ou service assimilé.
Je vous y encourage vivement car vous y ferez la connaissance d'Albert Binot, dit Pépère, libraire de son métier -- entre autres sympathiques qualités -- et récemment centenaire, lequel décide de tenir un carnet, journal qui, bien mieux que nombre de gazettes, vous en apprendra sur le temps qui passe, s'arrête, et nous défait; irrémédiablement. Lequel tient sa chronique des petits et grands aléas quotidiens depuis Élisa, son asile : « un mouroir d'élite et qui se targue d'avoir le taux de suicide le plus bas de la région ». On s'y tient entre vieux, entre deux tours d'infirmières, de docteurs et de dentistes. Cent ans, et l'impression de déranger un peu par cette obstination à survivre « on se voit partir dans le regard des autres ». On apprend rapidement à jouir du moindre petit plaisir, comme le passage quotidien d'un joggeur sous sa fenêtre, la visite d'un arrière-petit fils, tout informatique, et de sa copine, ainsi que les rares instants de lucidité de Clotilde, la jolie voisine Alzheimer, mais en redoutant l'arrivée du brancard qui vous vide une chambre et vous laisse face à l'absence et à la question : à quand, et qui le suivant ? Libraire donc, l'Albert, on le sent à ce style qui vole allègrement d'un imparfait du subjonctif à cent autres petites élégances, dont un salut à Brel et aux avantages marqués des bonbons sur les fleurs et, consciemment ou non, à Réjean Ducharme (page 119). Peut-être radote-t-il un peu, mais est-ce délirer que de parler d'amour à l'amante et à l'épouse : fidèle à leur souvenir, n'est-il pas fidèle a soi-même ? Bigre, quand on a cent ans, qu'on a connu deux guerres, bien des vies, bien des amours, bien des morts, il faut bien faire le tri de temps en temps... restent Jeanne et Mina.
L'incorrigible pinailleur que je suis n'a pu s'empêcher de s'étonner du peu de mémoire historique et politique d'Albert. Pas un mot sur le fait que, né à Strasbourg, en 1904, on était Allemand; qu'on est devenu Français en 1918; redevenu Allemand en 1940 puis définitivement Français en 1945 ? Par ailleurs, je voudrais bien rassurer Albert sur un fait qu'il tient de son cher arrière petit-fils, et étudiant en neurologie, lequel semble fort mal renseigné des récents progrès de la neuropsychologie : contrairement à ce qu'il affirme, ce qui inquiète fort l'ancêtre, les neurones de notre cerveau ne meurent pas tous, il est désormais bien établi que cet organe, dont la plasticité est maintenant reconnue, travaille aussi bien à un âge avancé, mais différemment.
Mais comment pourrais-je tenir rigueur à Albert des mauvais renseignement qu'on lui donne, ou d'avoir choisi de faire l'impasse sur l'histoire du chef lieu de l'Alsace et du Bas-Rhin ?
Las des aléas du quotidien, chers lecteurs ? essayez donc de vous procurer ces cent chroniques de cent années bien vécues.

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