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Vive la ponctuation!

Publié le 16 juin 2012 par Frontere

Vive la ponctuation!On prête ce propos à Gustave Flaubert : « La plus belle femme au monde ne vaut pas une virgule mise à sa place », je n'ai pas trouvé la référence exacte de cette citation, peut-être se trouve-t-elle dans la correspondance abondante de l'auteur de Madame Bovary, peut-être est-elle tout simplement apocryphe.

Flaubert, adepte de l'asyndète¹, aimait bien la virgule et supprimait volontiers les "et" de liaison quand il voulait donner à son texte un rythme plus nerveux, à l'égal du style coupé du XVIIIe siècle². Proust se voyait corrigé par les protes³ qui ajoutaient des virgules là où il avait oublié d'en mettre... Chez l'auteur de La Recherche on trouve a contrario une profusion de parenthèses. Louis-Ferdinand Céline était un maniaque des points de suspension. Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889) dans ses Contes cruels accumule les virgules, les points-virgules, les tirets et les parenthèses ; il ne se serait pas entendu avec le maréchal Pétain qui exécrait le point-virgule au point d'en subodorer la bâtardise!

Voilà ce que l'on apprend à la lecture du livre théorique Esthétique de la ponctuation de la linguiste Isabelle Serça, université du Mirail.

L'auteur souligne une évolution dans l'utilisation de la ponctuation, à l'origine destinée à permettre une respiration dans le texte, particulièrement chez les classiques. Elle démontre ainsi son lien premier avec la rhétorique, c'est-à-dire l'oralité du discours. Elle embraye sur la ponctuation mise au service de la syntaxe, avant son triomphe au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle chez les romanciers français dans la recherche formelle d'une prose poétique, là on peut parler d'une "ponctuation littéraire". Il est curieux de constater à l'opposé que, dès 1913, Guillaume Apollinaire, sur les conseils de Blaise Cendrars, fera un sort à la ponctuation totalement absente du recueil Alcools, citons pour le plaisir le début du poème Zone :

« A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine », etc.

C'est dire si cet essai - dont je limite le compte rendu à la seule dimension littéraire alors qu'il aborde d'autres arts - est passionnant sauf à être totalement allergique à la ponctuation, ce qui n'est pas mon cas : j'aime les traités de ponctuation. Et il me plaît à souligner que dans cette phrase citée par l'auteur, p. 49 :

« Cette fonction respiratoire de la ponctuation est cependant au service de la sémantique, car “les signes de la Ponctuation, comme les repos de la voix servent à déterminer le sens” » (Nicolas Beauzée, rédacteur de 135 articles de L'Encyclopédie de Diderot)

si un écrivain contemporain eût ajouté une virgule après le mot "voix", Isabelle Serça, elle, ne s'est pas permis de corriger ce qui à l'époque n'était pas une faute de syntaxe. Mais chut, silence! On ponctue.

(Isabelle Serça, Esthétique de la ponctuation, Gallimard, 2012, 23 € 50)

M. Fr.

Notes

¹ ce terme désigne l'absence des conjonctions, le refus de la subordination associé à celui de la coordination ; les phrases, propositions ou constituants de la phrase, ne sont que juxtaposés (source : Daniel Bergez, Violaine Géraud, Jean-Jacques Robrieux, Vocabulaire de l'analyse littéraire, Nathan, 2001)
² cf. chez Vivant Denon (1747-1825) l'incipit de Point de lendemain, canonique du genre
³ chef du service de la composition dans une imprimerie typographique


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