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Vous souvenez-vous de votre premier baiser ?

Par Alyette15 @Alyette1

 Première pelle

Lui Hollywood Chewing-gum, moi Malabar à la fraise. Nous deux, le même sas US délavé gribouillé d’un autre monde. Lui, cheveux pas très propres, acné juvénile et baskets Adidas 3 bandes. Moi, nœud rose fluo sur baguettes de tambour, jupette à volants et fièvre du samedi soir.

 Nos deux mains se tiennent, s’oppressent, disent des mots inconnus. Ses longs doigts maigres aux ongles tachetés de Typex écaillent mes tentatives de femme ; le rouge du vernis de maman disparait sous ses griffes de chat. Dans la cour, un brouhaha, le va et vient incessant de cette puberté crachant son mépris des adultes. Nous marchons, indifférents et victorieux, ignorant les quolibets du troupeau qui injurie ce premier frémissement dans nos poitrines. Nous sommes plus grands que les grands, nous sommes deux. Il m’attrape, joue avec mon pendentif en trèfle à quatre feuilles, tend les écouteurs de son baladeur. Bernie Bonvoisin hurle : «Antisocial, tu perds ton sang-froid. Repense à toutes ces années de service. Antisocial, bientôt les années de service. Enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus… », nos baskets suivent la cadence de l’invective. Nous ne ressemblerons pas à nos parents. « Tonton » est arrivé au pouvoir un soir de mai 1981, droit comme un i et drapé dans son défi. Il parlait de fraternité et de liberté. Ce soir-là, nous avons bu notre première coupe de champagne, nous étions heureux. L’espérance rose ébouriffait nos cheveux et pour la première fois j’ai ri sans mettre la main devant ma bouche. Julien a pointé son index vers moi, s’est moqué de mes dents en avant, de cette façon dont les garçons se moquent des filles. J’ai rougi, lui ai balancé que j’avais la myxomatose et que s’il me fréquentait il finirait ébouillanté dans une cocotte-minute avec des champignons de Paris. Dans ses yeux, j’ai vu qu’il m’aimait bien. On sait ces choses-là, ces moqueries pour dire autre chose. Il a pris son stylo et a griffonné un cœur barré sur mon sac US. Dans son monde, c’était pour la vie, la grande, celle de l’aventure.

Etourdie par le champagne, j’ai dansé sur Grease et le nœud en mousseline de mes cheveux lançait des étoiles fluo dans ses yeux. A la fin de la chanson, je me suis écroulée sur l’herbe. A l’intérieur, les adultes se méfiaient de notre nouveau “Tonton”. Ils avaient déjà une famille et ne pouvaient pas comprendre. Il pleuvait mais on s’en foutait, nos cœurs jouaient au Rubik’s cube et c’est là sur le gazon humide que ma bouche encore sucrée du Malabar a perdu ses illusions. Julien s’est approché doucement, s’amusant à faire le gros matou docile. Ses mains trop maigres pour être malhonnêtes ont saisi mon visage d’enfant et sa langue mentholée a trouvé le chemin de mes lèvres closes. Il a forcé le passage avec courage et j’ai cédé. Ce fut la plus longue pelle de ma vie, une pelle au goût de fruit et de menthe iceberg…

Astrid MANFREDI, le 19 juin 2012


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