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Clinique politique !

Publié le 24 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

Cela ressemble à la fois à de la schizophrénie, à un trouble bipolaire et même à de la paranoïa mais ce n'est rien de tout cela. C'est assez courant et cela peut même se soigner avec le temps.
Par Philippe P.

Clinique politique !

Il s'appelle Jean-Pierre, il est âgé d'une petite cinquantaine d'années, il est plutôt avenant, petit, tout en rondeur et ses yeux pétillent de malice derrière ses lunettes. S'il est dans mon cabinet ce jour c'est parce qu'il est inquiet pour son fils aîné prénommé Thomas. D'après lui, il est atteint d'une pathologie grave mais rien n'y fait, ni les menaces ni les encouragements : son fils ne veut pas consulter.

Lorsque je lui demande ce qui l'amène à songer que son fils serait malade, le père m'explique que depuis une dizaine d'années son fils est dans une sorte de délire mystique. Et s'il est venu me consulter c'est que très récemment, juste après les élections présidentielles et législatives, son fils s'est transformé comme s'il était entré dans une sorte de transe mystique. Depuis quelques temps déjà il l'avait surpris à murmurer "le changement c'est maintenant", ne comprenant pas vraiment ce que cette phrase voulait dire surtout que lorsqu'il prononçait cette phrase, son fils se mettait à croiser ses bras l'un au dessus de l'autre d'une manière curieuse.

Au début il a mis cela sur le compte de la jeunesse mais à vingt-trois ans passés, son fils n'est plus un adolescent et le temps est révolu où l'on se met à admirer et singer bêtement des idoles. Il a tout envisagé pour tenter de comprendre ce qui lui arrivait. Il a pensé que son fils glissait doucement sur la pente de la schizophrénie et qu'il s'agissait de délires sans queue ni tête et cela lui a fait peur.

Il a même envisagé que son fils puisse être homosexuel quand dans sa chambre il a punaisé un poster de François Hollande mais il ne savait pas trop. D'après lui, un homosexuel aurait plutôt mis des posters de jeunes types musclés aux dents blanches et non la photo de notre président. C'est inconcevable de tomber amoureux d'un homme affligé d'un pareil physique. Il se dit que c'est comme si un jeune hétérosexuel avait eu l'idée de décorer sa chambre avec la photo de Martine Aubry. Certes son fils aime le rose mais ce n'est pas suffisant, il a tout de même une copine avec qui il s'entend bien.

Et puis, lorsque face aux émissions de soirées électorales, il a vu Thomas s'agiter et éprouver une joie intense en écoutant des politiciens parler, il a eu d'autres idées. Il ne comprenait pas ce qui pouvait enthousiasmer ainsi son fils dans le discours de ces politiciens professionnels. D'après lui, quelles que soient les idées politiques que l'on puisse avoir, on a toujours un peu de distance vis-à-vis de la politique. On peut être content quand son camp gagne mais on garde une certaine distance, convaincu que finalement rien ne changera vraiment. C'est un peu comme dans le foot, passé la fièvre de la victoire, on revient à son quotidien. Mais là, le jeune Thomas en voyant les résultats des présidentielles s'est tourné vers lui en hurlant que le changement c'était maintenant en refaisant ce geste curieux avec ses deux bras.

Le soir des législatives, Thomas lui a vraiment fait peur. Il était animé d'une telle joie, à croire qu'il ruisselait de bonheur. Jean-Pierre a eu peur, il s'est dit que même lorsque Bernadette Soubirous avait vu la vierge dans la grotte de Massabielle, elle n'avait pas dû être aussi transportée de joie que son fils. Cela lui a rappelé un de ses amis qui s'était tapé un mauvais trip aux acides quand ils étaient en faculté au début des années soixante-dix quand on faisait un peu n'importe quoi. Cet ami s'était mis à sourire bêtement, avec un air crispé, les mâchoires serrées et ça avait duré deux jours avant qu'il ne fasse une descente terrible mais libératrice. Mais il est sûr que son fils ne se drogue pas, ce n'est pas le genre. Comme il me l'explique, il termine une formation d'expert-comptable alors ce n'est pas vraiment le genre à porter les cheveux longs et à tester tous les stupéfiants de la terre. Il a tout de même eu si peur qu'il s'est imaginé appeler le le samu ou alors lui faire prendre une douche glacée.

C'est pour cela que Jean-Pierre s'est imaginé le pire pour son fils. Il a cherché sur le net et a envisagé un trouble bipolaire. Selon lui, le soir des législatives, Thomas aurait fait une crise maniaque du moins son état correspondait à ce que raconte la littérature spécialisée à propos de ces brusques changements d’humeur. Jean-Pierre m'explique qu'il a lu que l'accès maniaque se caractérise par la survenue d'un état d'euphorie, des idées de grandeur, une mégalomanie et une suite d'idées rapides avec une logorrhée envahissante. Il a aussi lu que le patient présentait souvent une labilité affective et une hyperactivité et que les crises de rire n'étaient pas rares.

Il sait que les troubles bipolaires se traitent mieux de nos jours mais il a été abattu par la nouvelle. Il ne sait vraiment pas ce qui arrive à son fils. Il avait aussi envisagé qu'il soit dans une sorte de secte parce qu'à son âge on est vulnérable aux discours et qu'on se laisse embobiner par le premier gourou venu. Le manque de repères, la baisse des croyances et l'abandon des traditions laissent les gens paumés qui peuvent alors se raccrocher à n'importe quoi. Jean-Pierre m'explique que lui est ingénieur de formation et peu enclin à croire en n'importe quoi mais que son fils est différent, sensible, enthousiasme, prompt à s'enflammer pour tout et n'importe quoi. La piste de la secte l'a séduit sans pour autant pouvoir trancher entre cela et le trouble bipolaire.

C'est pour cela qu'il s'en remet à moi pour tenter d'y voir plus clair. Je lui pose alors des questions afin de mieux comprendre ce qui accable son fils. Je lui demande ainsi si dans le passé, son fils n'a pas eu d'autres comportements aberrants. Il m'explique qu'il y a déjà pensé et qu'il se souvient d'un fait troublant. Thomas devait avoir seize ans et il s'est embringué dans une drôle d'association. Comme il lui faisait confiance, Jean-Pierre n'a posé aucune question. Un jour il a vu traîner une carte MJS dans la cuisine avec un logo orné d'une rose. Il ne s'en est pas plus préoccupé. Il a songé que MJS cela signifiait Maison des Jeunes et de je ne sais quoi car il n'a pas cherché à ce que voulait dire le S. Quant à la rose, il aurait pu s'agir aussi bien d'un club de jeunes horticulteurs que de danseurs de tango. Il ne s'en est pas vraiment soucié.

Mais il se souvient que c'est là que les ennuis ont commencé. C'est pour cela qu'il parle aujourd'hui de secte. Parce que c'est à peu près à cette période que son fils a beaucoup changé. Il s'est alors lancé dans de drôles de diatribes. Jean-Pierre se souvient ainsi que son fils lui avait expliqué que l'impôt était un instrument de justice sociale destiné à gommer les inégalités de classe. Quand il a voulu en parler, son fils l'a traité de gros bourgeois et de facho. Au lieu de s'en inquiéter, Jean-Pierre a été amusé, mettant cela sur le compte de la jeunesse. Comme il me l'explique, lui-même se rêvait en guitar-hero un peu comme Jimmy Page et finalement la vie l'a rattrapé et il est devenu ingénieur. Aujourd'hui, il a les cheveux court et roule calé dans les sièges en cuir d'une berline haut de gamme : il faut bien que jeunesse se passe !

Mais chez Thomas cela s'est accentué et son langage s'est modifié. Il n'a eu de cesse de parler de démocratie et de tolérance alors que tout dans son attitude dénotait que ces notions lui étaient devenues étrangères. Péremptoire et rigide, son fils lui tenait des discours curieux, un peu comme s'il répétait des choses entendues mais qu'il n'aurait pas comprises. La tonalité était toujours la même, cela parlait d’État, de bonheur, de planification, de lutte contre les inégalités, d'égalité des chances et de tout un fatras assez délirant maintenant qu'il y repense. Cela n'avait ni queue ni tête, c'était incohérent et indigeste. Maintenant qu'il y pense, il y avait presque une tonalité mussolinienne dans ce discours : tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État.

Et Jean-Pierre se tait alors, n'ayant plus rien à dire. Je prends un temps de pause et je lui explique que je crois savoir ce dont souffre son fils. Il me regarde un peu inquiet mais je le rassure d'un geste. Je lui explique que son fils est militant socialiste et que tous les symptômes s'expliquent. Cela ressemble à la fois à de la schizophrénie, à un trouble bipolaire et même à de la paranoïa mais ce n'est rien de tout cela. C'est assez courant et cela peut même se soigner avec le temps.

Jean-Pierre pressé de savoir son fils hors de danger me demande alors ce qu'il y a à faire et ce que dit la science de tout cela. Je lui explique alors que les récentes études ont prouvé que l'on ne pouvait être intelligent, militant socialiste et de bonne foi : il y a toujours quelque chose en trop. Tel que je le ressens, mais ce n'est qu'intuitif parce que je n'ai pas vu son fils, il me semblerait qu'il soit intelligent et de bonne foi. Je doute alors qu'ils soit réellement socialiste. Je pense que cet accès délirant n'est que passager, c'est une forme de bouffée délirante aiguë, un coup de tonnerre dans un ciel d'été comme l'on dit, qui généralement cela se dissipe et ne revient jamais.

Il veut être sûr que j'ai raison, que j'ai bien saisi tout ce qu'il m'a expliqué. Je l'apaise et lui dis que je suis à peu près sûr de moi. Que son fils comme bon nombre de jeunes exaltés et un peu sensibles a dû être piégé par des manipulateurs de haut vol qui l'ont enrôlé dans une sorte d'escroquerie politique visant à les faire élire. Je lui explique qu'à cet âge-là, tout juste sorti de l'adolescence, on est encore malléable, on ne connait pas grand chose de la vie et que si on a des idées sur tout, on a surtout des idées. Que puisque son fils a fini ses études, il va enfin se mettre à travailler vraiment.

Je le rassure définitivement en lui expliquant que j'ai déjà eu plusieurs cas de ce type dans mon cabinet. Généralement au bout de deux ou trois déclarations d'impôt, ils prennent de la distance vis-à-vis de leurs anciennes croyances. Le réel est toujours le mur sur lequel se fracassent les idées sottes. Même l'URSS a fini par se disloquer vaincue par la réalité. Je rajoute que s'il y a les grands système macroéconomiques, il ne faut pas oublier qu'à la base, il n'y a que des êtres humains. Et que rares sont ceux qui ont envie de trimer pour rien.

Je lui explique ainsi qu'une théorie de la motivation dénommée théorie de l'équité qui fait qu'à un moment on pratique tous un ratio rétribution/contribution que l'on a tendance à comparer à celui des autres. Et dès lors que l'on s'aperçoit que ce ratio tourne en notre défaveur, on commence à en avoir marre de payer tout le temps pour les autres. On devient lucide et on cesse d'être socialiste. Je pourrais lui dresser une longue liste de jeunes qui n'avaient aucun scrupule à bénéficier de l'argent des impôts des autres mais qui ont retrouvé le chemin de la saine logique quand il s'est agi à leur tour de payer pour les autres.

Il me demande alors si moi aussi j'ai été comme cela. Je lui explique alors que non, bien que plutôt généreux et altruiste, je n'ai jamais été socialiste. L'idée d'être généreux avec l'argent des autres m'a toujours semblé d'une tartuferie ignoble et pour tout dire d'une perversité redoutable. Je lui explique que dans mon métier de toute manière c'est important d'avoir un cerveau en bon état si l'on veut être utile aux patients. Il me demande alors combien de temps cela prendra pour que son fils soit guéri définitivement.

Je lui explique que c'est variable mais que je suppose que d'ici deux ou trois ans, il devrait être définitivement vacciné et ne plus être militant socialiste. "Attendez deux ou trois déclaration d'impôt et vous verrez que tout rentrera dans l'ordre. Les gens comme votre fils finissent toujours à l'UMP" lui dis-je sûr de moi. Et je conclus l'entretien en lui expliquant que "de la même manière que vous avez rangé votre Fender et coupé vos cheveux, vous verrez que d'ici peu, Thomas mettra au placard ses drôles d'idées".

Il me règle, me remercie et s'en va.

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