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Discours de Claude Bartolone, Président de l'Assemblée Nationale, du 26 juin 2012

Publié le 26 juin 2012 par Sylvainrakotoarison

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Discours de Claude Bartolone, Président de l'Assemblée Nationale, du 26 juin 2012


Présidence de M. Claude Bartolone
Allocution de M. le président
M. le président. Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, du fond du cœur, merci ! Merci pour l’honneur ; merci pour la charge que vous me confiez aujourd’hui en m’élisant douzième président de l’Assemblée nationale sous la Ve République.
Je veux d’abord dire tout mon respect, toute ma déférence à mes onze prédécesseurs. À ceux qui sont ici, siégeant dans cet hémicycle, et que je salue : Henri Emmanuelli, Patrick Ollier, Bernard Accoyer. À ceux qui sont ailleurs, œuvrant à d’autres tâches : Louis Mermaz, Laurent Fabius, Jean-Louis Debré. À ceux qui sont là-haut : Jacques Chaban-Delmas, Achille Peretti, Edgar Faure. Et permettez-moi une pensée un peu particulière pour Philippe Séguin et Raymond Forni, avec qui je partage, pour le premier, une naissance de l’autre côté de la Méditerranée, et pour le second, des racines italiennes et quelques-unes des étapes du parcours républicain.
Tous, avec leur tempérament et par-delà les engagements partisans, ont servi l’institution parlementaire avec la même passion. J’entends marcher dans ces pas.
Mes chers collègues, je me tiens devant vous et je regarde vos visages, de tous les genres, de tous les âges, de toutes les couleurs de la France, de la ville et des campagnes, de la métropole et des outre-mer – à qui j’adresse ma chaleureuse amitié, tant je les connais et tant je les aime – et, pour la première fois, des Français de l’étranger.
Et, tandis que je vous regarde, je réalise, comme vous, que c’est le visage de la France qui est en train de changer.
Je sais l’émotion un peu nouvelle qui peut vous étreindre, vous, jeunes députés fraîchement élus, le sentiment que le poids de l’institution et de ses rites pourrait presque vous écraser, que l’éclat des ors de la République pourrait presque vous aveugler.
Vous apprendrez, en très peu de temps, que les ors des palais se ternissent toujours plus vite que les valeurs de la République, dès lors que nous savons les servir, les protéger, les chérir. Et c’est à cet instant précis que chacun d’entre vous deviendra le garant de ces valeurs qui sont, pour tous les Français, et au-delà, autant de repères historiques et moraux.
La liberté. Celle d’aller et venir. Celle de penser, de dire, de contredire.
L’égalité. Pas l’égalitarisme – il n’a pas sa place dans la méritocratie républicaine. Ni l’égalité des chances – le succès ne saurait se jouer sur un coup de dés. Simplement l’Égalité, celle qui donne à chacun, quelle que soit sa naissance, le droit et les moyens de réussir sa vie.
La fraternité. Non pour se ressembler, mais pour nous rassembler.
La laïcité, enfin. Non pour punir, mais pour unir « ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas ».
La tentation de s’affranchir de ces valeurs est forte lorsqu’un pays connaît des heures difficiles, et singulièrement quand la morsure d’une crise sociale fait sentir son empreinte.
Alors, mes chers collègues, prenons garde : notre assemblée, elle aussi, a ses fêlures. Lorsqu’elle a cru pouvoir oublier son histoire, lorsqu’elle a jugé bénin d’oublier ses valeurs, elle a oublié la République. Elle s’est oubliée elle-même.
Gardons gravés en mémoire le courage et l’honneur de ces parlementaires qui, avec Léon Blum, refusèrent de se saborder. Ce n’était pas simplement la fin d’un régime ou d’une Constitution qu’ils ont récusée en refusant les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Non, ils ont refusé que la devise « Travail, Famille, Patrie » ne vienne remplacer les valeurs républicaines de « Liberté, Égalité, Fraternité ».
On ne sépare pas la République de ses valeurs sans la tuer.
Gardons gravés en mémoire les noms de Georges Mandel, de Pierre Mendès France, de Jean Zay et de tous les députés qui, dans la chaleur de l’été 1940, préférèrent Bordeaux à Vichy, et embarquèrent sur le Massilia à destination de ce qui allait devenir la France libre.
Au nom de cette histoire, au nom de ce que nous sommes, dans nos comportements comme dans nos mots, j’attends de chacun d’entre nous, dans cette enceinte, un total respect de ces valeurs qui sont l’identité de la France.
Parce que c’est ici que poussent les racines de la République.
Mes chers collègues, je sais aussi l’émotion intacte, éternelle, qui embrasse le visage des députés plus expérimentés.
Chacun de vous siège ici par la volonté du peuple. À l’heure où l’antiparlementarisme demeure une menace, je veux vous rendre hommage, femmes et hommes qui, bien qu’investis de la mission de forger la loi, êtes souvent dans vos territoires – par la force des choses et la blessure de la crise – la dernière porte ouverte, une fois que toutes les autres se sont closes.
Vous partagez un autre secret : le goût de la loi. Je veux parler de l’amour du travail que nous menons, de ces débats passionnés, de ces textes aspirant au rang de science et de ces séances qui, dans leur vitalité et parfois leur confusion, traduisent le bouillonnement et la complexité de l’âme humaine.
Et tant que nous adhérerons à l’idée que le plus grand privilège d’une société est qu’elle se donne à elle-même sa propre règle de vie, ce travail que nous menons continuera d’être le garant de la démocratie.
La démocratie, chers collègues ! Nous ne siégeons pas sur ces bancs par hasard. Nous formons cet hémicycle au nom d’une vieille idée qui n’a jamais été aussi neuve. Cette vieille idée, conquise dans le sang et dans les larmes, bien des peuples du monde nous l’envient. Elle porte le beau nom de démocratie.
Plus que partout ailleurs, c’est en ce lieu que bat son cœur.
C’est au nom de la démocratie que la gauche y est aujourd’hui majoritaire. Je devine l’impatience de cette majorité qui, dans toute sa diversité, partage la volonté d’être à l’heure au rendez-vous du changement. Je devine aussi le sentiment de l’opposition à cet instant. C’est parce que je l’ai connu hier que je lui fais aujourd’hui cette promesse : je serai un président protecteur de vos droits. J’en ai la volonté et j’en ai le caractère.
Au nom de la démocratie, le peuple français a confié à cette assemblée le soin de forger les grandes lois du quinquennat et de les assortir du talisman de la justice : justice dans l’effort pour reconquérir la croissance ; justice dans la redistribution de ses fruits.
Il nous confie aussi le devoir de rassembler les Français. Pas simplement en proclamant des valeurs, mais en donnant à ces principes un prolongement tangible dans leur vie et celle de leurs enfants.
Par l’école, par l’emploi, par la culture, par le logement, par un développement plus respectueux de l’environnement.
Par une lutte acharnée contre le racisme et l’antisémitisme.
Par le refus des discriminations, qui est un corollaire de notre engagement laïque.
Par la présence du service public – le « patrimoine de ceux qui n’ont pas de patrimoine », notamment dans les territoires industriels qui craignent le déclassement, à la campagne et dans les quartiers populaires.
Il nous confie enfin la charge de faire résonner plus fort la voix de la France en Europe et dans le monde. Pour porter haut les valeurs de paix et de démocratie. Pour faire triompher aussi l’idée que le bonheur de quelques-uns ne peut se faire au prix de la dignité de tous les autres.
Même si tous, ici, quel que soit leur banc, ont cette destination en partage, chacun aura le loisir de défendre l’idée qu’il se fait du chemin à emprunter pour l’atteindre. Toutes les voix seront entendues, respectées. L’intérêt général sera seul juge de paix.
Mes chers collègues, notre assemblée suivra la feuille de route que nous ont confiée nos compatriotes, en loyauté avec le Président de la République, le Premier ministre et le gouvernement de la France.
Elle le fera avec un seul dessein à l’esprit : le redressement du pays. Elle le fera en tenant sa place. Toute sa place.
La France est une République parlementaire et je salue le soin que met le Président de la République à le réaffirmer. Dans la même inspiration, je souhaite que l’Assemblée nationale soit pleinement respectée. Pour cela, efforçons-nous de la rendre absolument respectable.
Notre assemblée doit vivre avec son temps. Plus que jamais, ayons à cœur d’en faire une maison de verre.
Transparente, exemplaire, irréprochable, parce que la force de la loi est subordonnée à l’exemplarité du législateur.
Féminisée, renouvelée, diversifiée. Jamais notre assemblée n’a compté autant de femmes, une telle jeunesse et tant de visages aux couleurs de la France. C’est déjà une fierté. C’est encore une exigence.
Ouverte, aérée, vivante. Il nous faut régénérer le lien entre l’Assemblée nationale et les corps intermédiaires : collectivités locales, partenaires sociaux, monde de l’entreprise, mouvement associatif.
C’est ainsi que nous parviendrons à en faire l’assemblée-pivot dont le pays a besoin pour aller de l’avant. Pour cela, je sais pouvoir compter sur le personnel de cette maison, dont je salue, en votre nom à tous, la grande qualité, l’absolue neutralité et l’entier dévouement.
Chers collègues, j’en terminerai par un mot plus personnel. Ce sera le seul.
Je sais d’où je viens. J’assume tout de ce que je suis, un fils de prolétaire, un enfant de Tunis, né de père italien et de mère maltaise qui, un beau jour de 1960, dut transiter en vingt-quatre heures d’une rive à l’autre de la Méditerranée, de l’odeur des orangers et de la caresse du soleil à la vie des usines qui rythmait alors le Pré-Saint-Gervais, ma ville d’adoption, en bordure de ce département qui ne s’appelait pas encore la Seine-Saint-Denis.
Rien ne me destinait à m’élever. Rien ne me vouait à me transcender. Rien, sauf la République, ses valeurs, son école, les seules à pouvoir donner à des parents aimants la force de contrarier les mauvais destins. Je dois tout à la République et je veux lui rendre aujourd’hui ce qu’elle m’a donné.
Vous représentez la plus grande fierté de ma vie. C’est, en même temps qu’un honneur, le règlement d’une dette envers mon pays. Je ferai tout pour m’en rendre digne et pour qu’ensemble, nous fassions grandir encore dans notre pays le goût de la loi, l’amour de la démocratie et la foi républicaine. Merci. (Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement.)
Claude Bartolone, 26 juin 2012


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