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Prophecy : tweeter n’est pas tuer… Quoique !

Publié le 03 juillet 2012 par Paoru

Prophecy

Impossible de passer à coté. Affiches dans le métro, publicité partout sur la toile, invitation de l’auteur à Japan Expo, tournée de dédicaces dans l’hexagone, articles Animeland à profusion, et bien sur un concours sur ce blogTetsuya Tsutsui et son nouveau manga, Prophecy, sont là et bien là depuis la semaine dernière dans nos librairies préférées, aux éditions Ki-oon.

Mais le marketing n’a jamais fait le talent donc on peut forcément se demander : retour réussi ? C’est la question de l’article d’aujourd’hui avec un décorticage en règle de ce premier tome.

Allez on ne perd pas de temps, en route et bonne lecture !

Tokyo, Japon, de nos jours…

Le gouvernement japonais vient de mettre sur pied le département anti-cyber criminalité et s’engage dans une lutte sans merci contre les fléaux qui gangrènent la toile. Mais le lieutenant Erika Yoshino, en charge de cette nouvelle faction, n’est pas au bout de ses surprises… Il y a en effet bien plus grave que de simples abus de droit d’auteur et recel de jeux vidéo… Il y a paperboy.

Ce mystérieux personnage dont la tête est masqué par une feuille de journal, poste des vidéos sur You Tube où il annonce le pire : incendie, meurtre, torture…. Devant les internautes il proclame ses condamnations et semble décider à faire justice lui-même. Le problème c’est que toutes ses prophéties se réalisent et le département anti-criminalité ne parvient pas à stopper cet engrenage sanglant !

Mais qui est donc paperboy ? Qui se cache derrière ce vengeur qui prétend remettre les compteurs de cette société pourrie à zéro ? Est-il seul et comment l’arrêter alors qu’il devient de plus en plus populaire ?

Prophecy1_PLANCHE7

La traque sera longue et sans pitié… Et elle ne fait que commencer !

Meutres, papier, réseaux !

Prophecy
Voilà un certain temps qu’on l’attendait ce nouvel opus !  Cela fait effectivement 5 ans que l’auteur de Manhole ne nous avait pas donné de nouvelle et même Ahmed Agne, le co-fondateur de Ki-oon, attendait avec impatience de découvrir ce nouveau récit ! C’est chose faite avec Prophecy, annoncé comme la première longue série de l’auteur, même si un seul tome a été publié au Japon comme en France pour l’instant.

Ce titre signe un virage important pour l’auteur puisqu’il n’est désormais plus publié chez Square Enix mais chez le célèbre mastodonte Shueisha, dans le magazine Jump Kai pour être plus précis. Ce basculement éditorial chez le leader du manga a-t-il changé quelque chose au travail de Tsutsui ? Pour l’instant, rien de flagrant, car on retrouve dans Prophecy tout l’univers, l’ambiance et les thématiques propre au mangaka : un seinen très sombre axé sur une vengeance meurtrière et un regard extrêmement critique sur la société, en se jouant de ses failles, de ses folies et de ses contradictions.

Après le jeux vidéo de Reset et Duds Hunt, Tsutsui place internet et les réseaux sociaux en plein cœur de son intrigue. Twitter et You Tube sont les étendards de cette modernité, secondés par Wikipedia, 2chan, les anonymous et quelques publicités à peine dissimulées pour la marque à la pomme.

Dans cette équation riche de variables, on retrouve aussi une violence omniprésente, qu’elle se manifeste dans les sujets abordés (humiliation, sévices, mort) ou plus directement dans les actes : meurtres à coup de batte ou avec le tranchant d’une pelle sont les premiers exemples d’une série qui va sans doute se rallonger dans les prochains volumes. Tsutsui ne cherche pas à faire mourir proprement ou gentiment et penche vers la brutalité d’un John Doe, du film Seven : chaque coupable sera en effet puni par là où il a péché et subira une loi du talion sans merci.

Durant ces 218 premières pages on découvre donc une histoire complexe, mature et maîtrisée, où on ne s’ennuie pas le moins du monde. Le scénario est ambitieux et intelligent – murement réfléchi en tout cas – et on écoute avec intérêt le cliquetis des rouages scénaristiques. Une intelligence de polar qui laisse place aux ficelles plus palpitantes du thriller lors des traques de paperboy, minutées et pleine de tension.

Coté visuel, le graphisme est mis au service de l’immersion. Il est donc volontairement réaliste avec quelques détails qui font mouche comme certains objets ou certains lieux qui nous paraissent familier… Il plonge ainsi le lecteur dans un Japon contemporain et reconnaissable. De plus, en dehors de quelques moments intenses où le trait se remarque, le visuel s’efface la majorité du temps avec des couleurs ternes (des niveaux de gris et des trames basiques sans jamais, quasiment, de noir) et un chara-design fin et passe partout (tel qu’il a toujours été chez Tsutsui d’ailleurs).

Les gros plan et plans moyens sont généralement plus épurés et centrés sur les protagonistes… Le mangaka utilise alors le regard de ses personnages pour faire passer un très large panel de réactions, de sentiments ou d’émotions. Ce sont les yeux qui parlent bien souvent.

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Vous connaissez donc maintenant les principaux ingrédients du dernier Tsutsui mais cette preview resterait superficielle si je ne soulevais pas une question : Prophecy ne serait-il pas un manga polémique ? Débattons-en pour finir…

Du choix scénaristique au règlement de compte…

En ancrant son histoire dans une réalité à portée de tweet, Tetsuya Tsutsui fait des choix scénaristiques qui sonnent comme une vision personnelle de la société. Les choix des « gentils et des méchants » définit dans Prophecy une vision du bien et du mal qui est suffisamment tranchée pour susciter autant d’amateurs que de détracteurs.

Premier chapitre, premier exemple : un geek se fait arrêter pour recel de jeux vidéos et abus du droit d’auteur… Voilà une situation qui fait forcément écho aux récentes arrestations de scantradeurs nippons. Tsutsui prend alors position en montrant un scantradeur gros, moche, imbus de sa e-personne, d’une mauvaise foi pathétique… Un chapitre qui règle très nettement la question.

Prophecy

Par la suite, l’auteur va effectuer d’autres caricatures plus ou moins prononcées qui s’accumulent : les patrons sont des salopards égocentriques et bedonnants, les policiers de base des incompétents, les journalistes des concierges un peu médisantes et que dire, surtout, du public de masse qui suit paperboy ?

En effet, les premiers fans du meurtrier ressemblent à une horde de hyènes socialement nécrophages et ils se laissent totalement manipulés par un justicier auto-proclamé. Ce dernier, poussé à bout par une société détestable – écœurante même – n’a pas d’autre choix que d’endosser son masque pour rétablir la justice. On se surprendrai presque à l’encourager. Pourtant beaucoup plus noir qu’un Robin des bois et plus violent qu’un Batman, paperboy est un « héros » dont la radicalité et la toute puissance fascinent.

Pour revenir à l’exemple de Seven cité plus haut… Quand Prophecy décide de laisser autant la parole au meurtrier qu’à ses poursuivants et au vu du résultat très ambigu sur l’empathie que génère paperboy,  aurions nous pu aimer et / ou soutenir le tueur aux 7 péchés capitaux si David Fincher avait décidé de nous faire suivre son parcours plutôt que celui de Brad Pitt ?

Ainsi que penser d’un serial killer, rebus de la société, qui prend sa revanche sur elle en utilisant ses propres méthodes, qui s’en sert à la fois comme némésis ET comme bouclier ? Vaut-il mieux qu’elle, au dessus du commun des mortels, ou n’en est-il qu’un abject rejeton, tout juste plus intelligent que la moyenne ? Est-ce que Tetsuya Tsutsui en fera un justicier pour victimes larmoyantes amatrices d’un populisme décevant ou trouvera-t-il les tremplins narratifs et scénaristiques pour que son héros s’élève au dessus de la web-plèbe ?

Prophecy

Si Prophecy reste – heureusement ! – une fiction, elle envoie dans son premier tome énormément de messages qui poussent à la réflexion et posent des questions très intéressantes. On a hâte d’avoir des éléments de réponses… Voici en tout cas un titre à suivre, rendez-vous en décembre pour la suite !

Fiche Technique

Prophecy
Titre : PROPHECY

Auteur : Tetsuya Tsutsui

Date de parution : 28 juin 2012

Éditeurs fr/jp : Ki-oon / Shueisha

Nombre de pages : 224

Prix de vente : 7.90 €

Nombre de volumes fr / jp : 1 / 1

Visuels © Tetsuya Tsutsui / Ki-oon

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