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La vie des autres (et autre déliquescence du monde)

Par Borokoff

A propos de Holy Motors de et avec Leos Carax ★★½☆☆

Eva Mendes, Denis Lavant - Holy Motors de et avec Leos Carax - Borokoff / Blog de critique cinéma

Eva Mendes, Denis Lavant

Monsieur Oscar est un être extraordinaire. Passé maître dans l’art de la transformation, il peut prendre, en l’espace d’une journée, tour à tour l’apparence d’un grand patron, d’une mendiante, d’un clochard monstrueux, d’un voyou assassin, d’un vieillard sur le point de mourir, d’un père de famille, etc… Mais pour qui donne t-il ce spectacle, de plus en plus épuisant physiquement ? Pour qui joue-t-il tous ces personnages aux antipodes dans la société ? Et où sont les caméras qui l’observent ? Qui l’emploie et juge ses performances ? Et qui est cette étrange femme qui conduit sa limousine transformée en véritable loge ?

Drôle de film que ce Holy Motors, c’est le moins que l’on puisse dire. Un film chorale, hommage au cinéma, à travers des personnages qui ont marqué son Histoire (créatures monstrueuses de freaks ou de Le bossu de Notre Dame, Edith Scob dans un revival de Les yeux sans visage de Franju, etc..) et celle des films de Leos Carax (réapparition de son Monsieur Merde).

Le scénario, écrit par Carax, consiste en une plongée, introduite par une scène onirique jouée par le réalisateur lui-même, dans la vie d’un homme dont on va suivre, comme en direct, comme dans une émission de télé-réalité, 24 heures de la vie.

Et cet Homme est un transformiste qui joue des personnages pour une société secrète et mystérieuse, dont on ne découvre qu’un seul membre, joué par Michel Piccoli.

Holy Motors de et avec Leos Carax - Borokoff / Blog de critique cinéma

Dans une limousine aux allures à la fois de laboratoire et d’observatoire sur le Monde, Monsieur Oscar (Denis Lavant, l’éternel acteur et grand fidèle de Carax) s’entretient avec une femme d’un certain âge dont on pense qu’elle est simplement sa chauffeur avant de découvrir qu’elle est en fait sa « coach » et une véritable manager.

Cette limousine n’est pas sans rappeler celle dans laquelle Robert Pattinson, requin de la finance, refaisait le monde dans Cosmopolis. Une limousine qui symbolisait à la fois sa réussite puis sa déchéance.

Holy Motors est mû par un double désir. Celui, pour Carax, de replonger dans le cinéma (il n’a pas fait de long-métrage depuis l’échec de Pola X (1999) et l’autre, de formuler une critique tout en métaphores et en allusions sur la société de son temps.

Les personnages un brin caricaturaux qu’incarnent Denis Lavant sont tour à tour des grands bourgeois (l’homme d’affaires), des clochards, des pères de famille de classe moyenne (celui qui va chercher sa fille après l’école), etc…

Holy Motors de et avec Leos Carax - Borokoff / Blog de critique cinéma

Mais que faut-il y voir ? Si « la beauté est dans l’œil de celui qui regarde », une certaine laideur semble en revanche nous échapper. La laideur, la vraie, celle qui inspire comme du dégoût, c’est pour Carax celle d’une société qui a poussé le vice du matérialisme jusqu’à l’indécence et une vulgarité extrêmes. Lorsque Monsieur Merde furète dans les égouts de Paris pour débouler dans un cimetière où il kidnappe une top-modèle (Eva Mendes), venue poser pour un photographe de mode, il passe devant des tombes sur lesquelles est inscrite à chaque fois une inscription à côté du nom du mort : « Visit my website ».

L’ironie est pour le moins grinçante chez Carax, et laisse place à de nombreuses interprétations. L’histoire de cet homme dont les membres de la famille sont des chimpanzés est-elle une métaphore du confort petit-bourgeois ? Dénonce-t-elle, de manière terre-à-terre, une forme de conformisme du monde contemporain qui l’aurait fait tourner à l’absurde ?

Tout est affaire de sensations dans Holy Motors, dont le côté à la fois science-fiction, abstrait et onirique, laisse place à de nombreuses interprétations. Mais une pensée revient tout au long du film, celle d’un monde qui parait désincarné pour le réalisateur, décharné, une terre déjà lointaine pour un Monsieur Oscar qui chercherait, en quelques sorte, dans ses transformations, à retrouver une « beauté du geste ». Une beauté originelle, salie, pervertie par le monde contemporain ? Ce monde que Carax semble si peu aimer, lui qui laisse flotter dans son film comme un parfum de grande tristesse et de regrets.

La scène sur les toits du magasin La Samaritaine à Paris, entre Eva (très bonne Kylie Minogue), un amour d’antan, et Monsieur Oscar (exceptionnel Denis Lavant), symbolise la propension du film à la nostalgie. C’est paradoxalement l’une des scènes les plus charnelles et les plus émouvantes du film, où l’on sent qu’il y a eu vraiment une histoire forte d’amour entre eux même si elle appartient définitivement au passé.

Mais est-on bien sûr de comprendre le film qui part un peu dans tous les sens, et les intentions de Carax, qui fait du cinéma comme s’il s’agissait d’un geste désespéré, vain, dans une époque soucieuse de faire d’abord tourner les moteurs de ses voitures, de ses machines et de ses usines avant ceux des caméras de cinéma ? Réactionnaire, Monsieur Oscar ? Un peu sans doute, mais c’est le double d’un réalisateur qui, malgré les difficultés et les échecs commerciaux, n’a jamais renoncé (et c’est là sa grande force) à vouloir faire des films.

Une foule de questions arrivent pêle-mêle dans ce Holy Motors dont on ne dira jamais assez à quel point il fourmille de portes pour l’appréhender, au point de s’y perdre comme dans un labyrinthe. C’est d’ailleurs son principal mérite, cette ouverture et cette richesse de sens à lui donner.

L’une d’entre elles consisterait à considérer philosophiquement nos vies comme des existences isolées, contrôlées au sens propre (et de manière terrifiante) par l’image. Le transformiste joué par Denis Lavant est à un stade de sa vie où il s’essouffle et où il déçoit un peu ses employeurs. Ces dernières performances lui ont valu des critiques de la part d’un homme à la tâche de vin sur le visage qui symbolise la figure visible de Big Brother (Piccoli, toujours). Monsieur Oscar croise tout au long du film des gens qui jouent leur vie comme lui, acteurs de leur propre existence. Cette vie par procuration est une idée centrale dans le film. L’idée qu’on traverse l’existence de manière fantomatique, étrangers à nous-mêmes, dans un monde qui n’est pas le notre, est récurrente dans le cinéma torturé et romantique de Carax, qui confirme là comme jamais sa grande inadaptation au monde contemporain.

Dans une scène symptomatique, Denis Lavant, déguisé en ouvrier spécialisé de la Motion Capture, court sur un tapis roulant qui s’accélère tandis que des images de monstres défilent sur un grand écran à côté de lui. A la fin, l’ouvrier s’écroule, vaincu par la vitesse du tapis roulant et des images dont il ne parvient plus à contrôler le débit.

Cette métaphore en dit long sur le scepticisme du réalisateur, qui affiche même, dans son humour sarcastique, un certain dépit qui culmine dans une scène à la fois drôle et tragique où des limousines parlent entre elles et confient leur crainte de devenir désuètes voire de finir à la casse. Mais n’est-ce pas le monde lui-même qui s’arrêterait si mêmes les machines devenaient inutiles ? Si Carax, dans ses constats, observe un monde qui part à vau-l’eau de manière parfois juste, il n’en a jamais paru aussi éloigné non plus, voire pessimiste…

http://www.youtube.com/watch?v=CFF6Y-ifXPg

Film français de et avec Leos Carax avec Denis Lavant, Edith Scob, Kylie Minogue, Eva Mendes, Michel Piccoli (01 h 55).

Scénario de Leos Carax  :

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Mise en scène : 

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Acteurs :

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½
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Dialogues : 

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Chanson du film Who Were We? par Kylie Minogue et écrite par Leos Carax et Neil Hannon :

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