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Lawrence Ferlinghetti, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

CONVERSATIONS SURPRISES

Conversations surprises au cours de chaudes nuits d’été
aux fenêtres des immeubles
dans les cités de ce monde
ou dans les chefs-lieux des campagnes

les amants dans les escaliers de secours
ou sur les balançoires des balcons
calculant leur fuite

et les vieux cherchant le frais à l’intérieur
somnolant sur les nouveaux journaux
en train de se bercer

les mots doux des amants surpris par les vieux
comme autant de week-ends perdus ou de trains ratés

les promesses de baisers lointains
en des paradis inconnus
résonnent encore
dans les syllabes de la nuit chaude
dans la bouche même des jeunes gens
dans l’éternelle chanson
que l’on pourra toujours rechanter
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LA LUMIERE DES OISEAUX

J’ai très tôt appris à aimer les oiseaux
la lumière des oiseaux le règne des oiseaux
dans les plus hautes cimes des arbres
foudroyés par la lumière
vivant à l’écart
leur vie de légèreté
ils vivaient à des années-lumière
si loin de nous
scintillants sous le soleil
très loin au-dessus du Bronx River Parkway
très loin au-dessus des falaises de l’Hudson
ils volaient en tous sens
légers comme des feuilles
(et ils étaient tels des feuillages
sauf en automne
juste avant qu’ils ne tombent)
s’appelant les uns les autres
encore et encore
très haut dans les airs
ou perdus dans le ciel
alors qu’ils s’élevaient là-haut
bien loin derrière le réservoir
où nous allions enfants
jacassant comme des oiseaux
le dimanche au crépuscule
alors que nous jouions dans la lumière déclinante
et entendions pour la première fois
les croassements lointains et étouffés
de notre propre nuit
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SALUT D’AMOUR

A tout animal qui mange ou tire sur sa propre espèce
A chaque chasseur en 4×4 avec fusil à lunette monté à l’arrière
A chaque tireur d’élite ou ninja de Forces spéciales
A chaque redneek botté avec pitbull et fusil a canon scié
A chaque membre des forces de l’ordre avec chiens dressés pour traquer et tuer
A chaque flic ou indic en civil ou agent secret avec holster rempli de mort
A chaque serviteur du peuple tirant sur le peuple ou visant un malfaiteur en fuite pour tuer
A chaque guarde civil de tout pays gardien des citoyens avec menottes et carabines
A chaque garde frontière devant n’importe quel Check point Charley de n’importe quel côté de n’importe quel Mur de Berlin de Bamboo ou Totilla Curtain
A chaque motard CRS d’élite patrouille fédérale en pantalon de cheval fait sur mesure casque en plastique cravate lacet
A chaque voiture de patrouille avec fusil à pompe sirènes hurlantes chaque blindé anti-émeute avec lance-à-eau et matraques prêtes à servir
A tout pilote d’élite avec missile laser et napalm plein les ailes
A chaque commandant au sol donnant la bénédiction aux bombardiers qui décollent
A n’importe quel Département d’Etat de n’importe quelle superpuissance marchande d’armes vendant aux deux côtés de n’importe quel conflit à la fois
A n’importe quel nationaliste extrêmiste de quelque nation que ce soit dans n’importe quel monde tiers est ouest nord sud
Qui tue pour sa nation chérie
A n’importe quel prophète poète enflammé armé de fusils de symboles ou de rhétorique
A chaque propagateur de la foi et de la raison de la lumière spirituelle par la force des armes
A chaque instrument attitré de la légitime puissance publique de n’importe quel pouvoir d’état
A tous et à chacun qui tuent tuent tuent encore et toujours au nom de la paix
Je lève – seul et unique salut possible ! – mon doigt majeur.
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Créateur de la maison City Lights à San Francisco, Lawrence Ferlinghetti a diffusé dès les années 1950 les écrits de bon nombre d’auteurs du mouvement de la Beat Generation, dont Jack Kerouac, Allen Ginsberg et Gregory Corso. Lui-même un poète fort représentatif de ce courant, Ferlinghetti s’en est toujours fait l’ardent défenseur, notamment lors du procès intenté à Allen Ginsberg pour son poème «Howl», paru en 1956 chez City Lights, et qui fut taxé à l’époque d’œuvre obscène. Ginsberg et ses éditeurs eurent finalement gain de cause.
Auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes, peintre, homme très engagé dans sa communauté, Lawrence Ferlinghetti
continue de faire entendre à travers l’ensemble de ses activités une voix empreinte de lyrisme, mais aussi d’une grande lucidité.
Les poèmes que vous allez lire sont extraits du recueil intitulé How to Paint Sunlight, paru en 2001. On peut sentir par moments dans ces textes un souffle whitmanien, une nostalgie de ce qu’a pu être l’Amérique d’autrefois en même temps qu’une certaine critique de ce qu’est devenu «le plus grand pays du monde entier».
Originaire de New York, Lawrence Ferlinghetti vit toujours sur la côte ouest américaine.


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