Magazine Journal intime

Premier morceau de mon projet taré

Par Eric Mccomber

La pièce reprend la cadence très sereine et émouvante de The Weight de Robbie Robertson, popularisée par son formidable groupe de The Band, et fabuleusement pervertie en funk par Aretha Franklin. Sur son chef d'œuvre Oh Mercy, Bob Dylan en a emprunté l'essence pour le couplet de sa magnifique Shooting Star, dont la première phrase a inspiré tout le texte d'Indigo. Voilà la boucle nouée. L'an dernier, galvanisé par quelques jeunes talents Youtubiens, j'ai failli me mettre à me filmer en train de chanter mes tounes, avant de réaliser que ça voudrait dire me voir la gueule pendant des heures. Comme je ne la supporte pas trop, j'ai laissé tomber. Mais j'avais fait quelques prises de cette Indigo, dans lesquelles j'avais improvisé des fins de couplets inspirées par mes aventures cyclonomades. C'est ce texte modifié que j'ai enregistré avant-hier.
Indigo est une des mes chansons les plus simples et j'ai eu beaucoup de plaisir à la glisser entre deux reprises de standards blues lors de mes innombrables virées autostop-busking ces dernières années dans le Sud de la France. Les Hexas croient que c'est de l'anglais et ça leur plaît généralement. Les anglais croient que c'est du chinois et ils s'en foutent. Les Chinois prennent des photos et cherchent le Pont du Gard.
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Petite histoire et remarques générales sur l'état du showbiz québécois
Voilà, j'ai commencé à écrire et arranger un disque en 1996. J'ai cessé de travailler dessus en 2005, après une série ininterrompue de galères diverses; accidents, maladies, faillites, pannes d'équipements, gestes malheureux, tracasseries, sinistres, décès de proches, folie, guerre, interventions divines, déceptions, trahisons, boutons (dont un dans la narine qui m'a vraiment fait mal). Puis quand je suis parti sur mon vélo en 2007, j'étais à toutes fins pratiques paralysé de la main gauche depuis des mois. Je n'ai véritablement recommencé à jouer de la guitare que lors de mon séjour chez la Patronne, à Flaux, en 2010. Le projet pèse désormais quelque 300 à 1000 chansons (à des degrés très divers de parachèvement) et, croyez-moi ou non, j'ai l'intention d'enregistrer et de rendre publiques au minimum 100 d'entre elles, que je rassemblerai par disques doubles, triples, ou dans un monstrueux recueil, d'ici un an ou deux. Bon, c'est quoi, ça, un disque ? me demande candidement la jolie brune qui ne connaît ni Bob Dylan ni Peter Gabriel, mais qui sait au moins que les Beatles ont chanté Smoke on the Water. Uhm. Disons qu'un disque, c'était une sorte de gros dossier dans lequel on stockait les mp3 dans le temps de Napoléon.
Cet hiver, j'ai failli mourir deux fois. Pour de vrai. Alors, faut plus me faire chier. Et le premier qui n'a plus le droit de pisser dans mon lait, c'est moi-même. Voilà. It's the new me. Si je crève dans trois jours, je sais désormais (avec plus de limpidité que jamais) que ce n'est pas la somme des petites velléités, des politesses et des gênes, qui me fera plaisir d'emporter au trou, mais ce que je serai parvenu à organiser, à engendrer, la beauté que j'aurai pu mettre en lumière, la chose que j'aurai su dire, l'idée que j'aurai su transmettre assez clairement pour que quelqu'un puisse la reprendre et l'amener ailleurs. J'y crois pour moi, tout petit dans ma chambre avec Modestine qui roupille. J'y crois pour mon village de pierres et de platanes. J'y crois pour mon pays cybernétique, dont vous êtes citoyenne ou touriste, puisque vous lisez ceci. J'y crois aussi pour ma patrie physique, mon peuple qui habite la vallée du Saint-Laurent, qui a sérieusement besoin de transmettre, de transformer, de se souvenir et de puiser dans ses incommensurables ressources culturelles. Et j'y crois même de manière universelle. N'importe quelle planète qui a oublié un type comme Woody Guthrie a sérieusement besoin d'aide au niveau de sa mémoire.
J'appelle par la même occase les autres créateurs de ma génération à faire fi des gros tabarnaks de caves qui ont agi en chiens de garde du Kapital en nous empêchant systématiquement de dire autre chose que « Donne-moi du beurre de pinotte » au cours de ces années de plomb. Les rares pur-sangs qui auront réussi à percer le siège, les spectaculaires évasions des Desjardins, Mistral, Colocs, et autres rarissimes Falardeau, n'auraient pas dû nous faire croire à une soi-disant liberté (et c'était peut-être là leur fonction), mais au contraire, nous montrer, par la dureté du combat qu'ils ont dû livrer, l'invraisemblable puissance de l'armada mise en place pour nous enfoncer la botte dans la bouche. C'est à nous, maintenant, d'employer les outils inouïs que la providence a mis à notre disposition pour manifester notre dissidence artistique, pour la rendre publique, pour venger ces trente années de Céline Dion, de Roch Voisine, de Lara Fabian. Nous ne sommes plus forcés de passer par les miradors pour nous exprimer. À nous les champs, à nous les forêts, à nous les montagnes ! Pour encore quelques mois, quelques années, le Net est un Klondike de liberté.
Nous savons, n'est-ce pas, que nos Félix, nos Vigneault, nos Tremblay ont été ligotés hors du cercle comme autant d'Assurancetourix honnis par les Einzatsgruppen de CKOI et de CKMF. Assez de conneries, maintenant. Il ne sert à rien de pendre aux lampadaires (même si cette activité présenterait des aspects réjouissants et que le sport vivifie les poumons et ravive les muscles) les directeurs de programmation qui ont fait que des bleds comme Kamloops ou Kapuskasing ont eu l'air d'autant de Florences renaissantes pendant que Montréal souffrait publiquement, humiliée par les agitations grotesques de ses piètres imitateurs de guenilles préfab sous-soi-disant-pseudo-ersatz de la saveur du mois. Il est l'heure, consœurs, confrères, de sortir des maquis, de jaillir des taillis, de s'extraire de l'ombre.
Il est trop tard pour nous, de toute manière. Et si vous êtes comme moi, vous vous en êtes toujours foutu. « On est pas là pour montrer notre talent, » disait Jean-François Thibaud en 1993, « on est là pour changer le monde ». J'en avais fait le refrain d'un morceau emblématique de Jéricho, ce groupe qu'il a été IMPOSSIBLE de proposer au public Québécois entre 1993 et 2001. Ce groupe qui a vendu plus de disques au japon et aux USA qu'au Québec, ce groupe qui a fait l'objet d'une émission spéciale d'une heure de BBC World, mais dont pas un seul extrait n'a été une seule fois programmé dans une radio « officielle » québécoise. Ce groupe dont les musiciens (à part votre serviteur) sont tous devenus des stars individuelles chacun de leur côté depuis, ou presque. C'est tout de même pas d'une moitié de grande noirceur, dont on parle.
Bref.
C'est commencé.© Éric McComber

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