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Etre féministe avec trois grammes

Publié le 29 mars 2012 par Everobert @eve_robert

I myself have never been able to find out precisely what feminism is:  I only know that people call me a feminist whenever I express sentiments that differentiate me from a door mat or a prostitute.  ~Rebecca West

Le féminisme c’est un peu le point Godwin de mes conversations en soirée. Je finis toujours par lâcher une petite considération sur les différences de genre relatives à tel ou tel phénomène. Et ce, quel que soit le sujet de départ : la campagne électorale, Ryan Gosling (forces, faiblesses, opportunités), les lolcats, les restos asiatiques à Paris (« LE meilleur bobun de Paris »), le chemisier hideux de ma directrice de service (non mais QUI porte encore des chemisiers à fleurs aujourd’hui ?), le jeu d’acteurs des politiques de l’habitat en quartiers sensibles, et bien sûr, mes deux grands thèmes préférés passée la deuxième pinte de bière : le caca et le sexe. Oui je passe beaucoup de temps à deviser sur la sociologie de mon cul, et je suis totalement incapable de parler de sexe sans geindre contre ces rôles et ces stéréotypes genrés qui nous sont assignés.

Il parait que je suis un peu « univariée » dans ma vision du monde (en 2012 j’ai décidé d’arrêter de fréquenter des gens qui utilisent des mots comme « univarié » et « intersectionnalité » après 22h). Mais je pense que la domination de genre est un phénomène multiforme et que c’est en politisant des champs qui relèvent d’habitude du privé et de l’intime qu’on la fera réellement éclater au grand jour. Oui oui.

Ce qui n’est pas une mince affaire. Car à peine lâché une vague remarque sur les stéréotypes de genre, vous vous exposez aux réactions suivantes :

  • « Ah parce que t’es féministe ? »

Cette phrase est en général prononcée par « un gentil garçon de gauche, très ouvert, qui sait faire cuire tout seul son riz et qui attend qu’on le congratule lorsqu’il y ajoute des oignons et de la tomate » (dixit Mademoiselle). Elle est très souvent suivie de petites blagues très sympathiques et pas du tout lourdes du style « Je te laisse payer ta conso /je te tiens pas la porte, je ne voudrais pas que tu t’énerves ».

Etre féministe avec trois grammes

  • « Ouais, Eve, elle est FEMINISTE »

Alors ça c’est la copine qui t’affiche avec emphase et jovialité, mais quand même à peu près sur le même ton qu’elle dirait : « Elle milite pour le parti maoïste végétarien» ou « elle fait sauter des trains par conviction évangéliste ». Cette phrase a pour but premier de lui permettre de se désolidariser de tout propos féministe que tu pourrais tenir par la suite.  

Selon le degré de progressisme de ladite copine, l’idée sous-jacente pourra plutôt être de l’ordre de « C’est certes une idée fort originale que d’être féministe, mais je suis une fille ouverte et je ne désapprouve pas : après tout pourquoi pas ? » (Haussement de sourcils sceptique) ou de « Moi je ne suis pas comme elle, j’aime les hommes » (battement de cils). Avec des infinies nuances entre les deux.

Etre féministe avec trois grammes

Vous savez, c’est la même copine qui va se sentir perpétuellement obligée d’accoler à toute déclaration vaguement revendicatrice en matière d’égalité hommes-femmes le très célèbre : « Je ne suis pas féministe ni rien, mais… ».

A ce moment là de la conversation et de ma consommation d’alcool, j’ai en général le sentiment d’être une sorcière débarquée tout droit du Mordor dans le but d’encourager les femmes à quitter leur copain/mari, assassiner leurs enfants, devenir lesbiennes et renverser le capitalisme.

Surtout, à ce moment de la soirée, l’ensemble des convives s’emploie généralement à  m’exposer son point de vue sur le féminisme. Parce que je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça fait partie des sujets sur lesquels TOUT LE MONDE a un avis (y a des jours où j’ai envie d’ouvrir un blog sur les politiques d’insertion par l’activité économique en milieu rural – ce serait moins fatiguant nerveusement).

Loi mathématique trop peu connue : dès lors que le nombre de participants à une soirée dépasse six personnes, et qu’elles se mettent à parler de féminisme, il y a une probabilité de 100% pour que quelqu’un dise: « Non mais moi je ne suis pas pour le féminisme, je suis pour l’égalité » (sous-entendu : parce que vous les féministes ce que vous voulez c’est la domination de la femme sur l’homme n’est ce pas ?). Quand je suis chanceuse, j’ai même droit au très fameux : « Non mais l’égalité, ça y est, vous l’avez ».

Mes aïeux ! (Je trouve qu’on n’utilise plus assez cette expression. « Mes aïeux », ça claque je trouve. Ou en moins laïque, “Jésus Marie Joseph” c’est bien aussi).

La difficulté consiste alors à contenir la crise de nerfs qui me guette et à rejeter la tentation d’aller éclater en sanglots hystériques dans les toilettes du bar.

Etre féministe avec trois grammes

The radical notion that women are people

C’est difficile de garder tout mon calme pour rappeler quelques constats de base sur le féminisme, « the radical notion that women are people » (Rebecca West). D’expliquer avec pédagogie que le féminisme n’est pas un machisme inversé : à part dans les cauchemars d’Eric Zemmour, les féministes se réunissent rarement en société secrète pour comploter et conquérir le monde tels les Minus et Cortex en jupette. Le féminisme ne cherche pas la « guerre des sexes », il ne lutte pas contre les hommes mais contre le patriarcat ; il ne cherche pas à donner aux femmes du pouvoir sur les hommes, mais sur elles-mêmes.

Quand je suis en forme, j’essaye même d’expliquer que d’ailleurs, les féministes tendent  à considérer de plus en plus les hommes comme des alliés dans leur combat: si la virilité aussi est une contrainte ; alors l’homme est l’avenir du féminisme.

C’est dingue comme c’est difficile de revendiquer l’étiquette féministe, alors même que les clichés sur les féministes sont toujours les mêmes et toujours aussi stupides : « une image d’animale enragée, de crieuse de marchés au service d’une cause obsolète, une suffragette qui s’est trompée d’époque, une de ces gonzesses qui ne porte pas de soutien-gorge et qui appelle cela la liberté, une de celles qui ne s’épile pas sous les bras pour dire qu’elle a le choix, une moche qui se console d’être seule en disant qu’elle est avant tout indépendante, une mal baisée qui veux émasculer les hommes à défaut de pouvoir les séduire », résume jesuisféministe.com

Etre féministe avec trois grammes

J’ai toujours été frappée de voir à quel point ces stéréotypes étaient répandus et ancrés, à quel point ils continuent à se perpétuer, parfois sur le mode de l’humour et parfois non, malgré leur caractère absurde et leur déconnexion totale de ce qu’est le mouvement féministe aujourd’hui.

Ce discours est très ancien, il n’a guère changé depuis les débuts de la propagande antiféministe apparue dès la fin du XIXe siècle. Il prend racine dans la peur de voir les frontières de genre brouillées par le féminisme. Fantasmer la féministe comme  dégénérée, dans sa sexualité et dans sa vie sociale, n’est-ce pas le moyen le plus violent de lui signifier qu’elle va à l’encontre de la norme sexuée, de la renvoyer à l’ « essence » féminine qu’elle transgresse ? Ce discours me semble loin d’être innocent, même lorsqu’il est prononcé sur le mode de l’humour (blaguez, blaguez, il en restera toujours quelque chose).

Pourquoi tant de haine ?

Si le combat féministe suscite autant de méfiance, de railleries et d’oppositions (regardez l’énergie dépensée ces derniers mois par les détracteurs de la disparition du « Mademoiselle »), je pense que c’est parce qu’il remet les individus en cause dans leurs choix, leurs modes de vie et leurs modes de pensée. Finalement, c’est un peu comme l’écologie : j’ai tendance à haïr les gens qui m’expliquent que c’est abusé de prendre l’avion pour faire Paris-Amsterdam pour un week-end. Même si je sais qu’ils ont raison (ou peut être justement parce que je sais qu’ils ont raison). Le féminisme débusque en chaque homme les formes les plus insidieuses de sexisme (paternalisme, machisme inconscient, hétéro normativité…), en chaque femme les marques de sa collaboration au système patriarcal – parce que oui, nous avons toutes au quotidien des attitudes de femmes soumises. Alors forcément, ça dérange, ça gratte les fesses, on préférerait tous se dire que les sexistes (et les pollueurs) ce sont les autres…

Les féministes, individuellement comme collectivement, sont hyper conscientes de ce phénomène ; elles savent que le poids de la preuve leur incombera perpétuellement. Elles connaissent par cœur les clichés et préjugés qui leur sont attachés et sont hantées par la peur de les renforcer.  Une large partie du boulot d’une féministe consiste à échapper aux caricatures et aux clichés.

Par exemple, dans ce genre de conversation à trois grammes, je m’efforce de ne jamais hausser le ton, même quand mon interlocuteur me coupe la parole ou devient agressif ; il risquerait d’en conclure que c’est bien ce qu’il pensait, les féministes sont des hystériques. Je m’impose d’avoir toujours de l’humour, même quand les blagues sont limite, même quand il n’y a franchement pas de quoi rire. Et je ne rends jamais les hommes responsables de la domination masculine : ne jamais incriminer les comportements individuels, toujours « le système patriarcal ».

Bref on a clairement la tentation de promouvoir un discours soft, consensuel, pour tenter de rendre le féminisme cool, léger et fun. C’est ce qu’on appelle le cupcake feminism ; un mouvement qui n’est pas sans ambigüités, comme le rappelait récemment cet article paru dans The Quietus :

« Why are ‘fat’, ‘ugly’, ‘gay’ or ‘never-been-fucked’ still the first insults sent whistling towards the trench? What is their supposed import? To cry ‘We’re not all like that!’ only lends power. Some of us are fat/ugly/gay, some of us aren’t. So ? Really, though, so what?

(…)Feminism can and should be fun and frivolous sometimes – otherwise the struggle can be exhausting. But let’s bring our riot grrrls back, too. Let’s bring our battle scars and our Xerox-stained fingers and our humourless academics into the picture. We’re too big to be branded. No slogans, no gimmicks: just compassion, respect, and freedom of choice for all women. The product should sell itself”.  (Article integral Who’s afraid of cupcake feminism – à lire ici)



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