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De la comparaison amoureuse

Publié le 29 octobre 2009 par Gregory71

Certaines personnes font de la comparaison amoureuse, le critère permettant de juger d’une relation en en distinguant la qualité. On aimerait des personnes selon des niveaux quantitatifs différents et en comparant ces niveaux il serait possible de les hiérarchiser et de les discriminer.

C’est la question « Suis-je celle que tu as le plus aimé? ». On est forcément embêté pour répondre à une telle question parce que les conditions même de sa signification sont problématiques.

Il y a quelque chose d’absurde dans cette approche, car pour élaborer une comparaison encore faut-il disposer d’une échelle de valeur commune. Une telle échelle suppose qu’on puisse égaliser terme à terme. Ainsi je peux comparer le niveau de deux verres identiques. Si ceux-ci ne sont pas identiques, il me faudra effectuer une traduction selon des règles universalisables de volume.

Dans le cas d’une relation amoureuse la complexité de la comparaison la rend inopérante: comment comparer ce que j’étais pendant une relation X et ce que je suis devenu pendant une relation Y, sachant que la relation X a changé ce que je suis devenu et que l’Y change la lecture a posteriori de la X? Comment comparer deux individus différents? Comment comparer deux relations mêlant deux dynamiques interindividuels? Comment dénouer toutes les boucles de rétroaction entre des temps et des individus différents? On pense alors pouvoir se fixer sur le sentiment amoureux comme échelle de valeur commune, mais les conditions même de celui-ci changent avec le temps. Est-ce que j’aime de la même facon dans des temps différents et avec des individus différents? Ceci supposerait une parfaite continuité de l’identité, une adhérence à soi sans faille, sans aucune modification.

La comparaison amoureuse est une absurdité logique. Il faut mieux considérer chaque relation comme un événement pur, c’est-à-dire une singularité entrelacée sans doute avec d’autres singularités (toi, moi, ce que j’ai été, ce que tu as été, celles que j’ai aimé, ceux que tu as aimé, etc.), entrelacement qui s’oppose à toute hiérarchisation, à toute comparaison. On ne peut donc pas dire qu’on a plus aimé telle ou telle personne, les conditions de chaque amour étant uniques. Ces conditions ne sont pas seulement le sentiment amoureux, c’est un monde complexe, deux personnes, une saison, un espace, tout un ensemble de phénomènes uniques qui jamais ne se répéterons. Une relation amoureuse s’effectue de beaucoup de manières à la fois et chaque participant peut la saisir à un niveau d’effectuation différent dans son présent variable. ll faut donc éviter tout platonisme amoureux et croire qu’il s’agirait là d’une Forme Idéale baignant dans une lumière toujours égale à elle-même et indifférente aux contingences du monde.

Il y a dans la comparaison amoureuse une incapacité à approcher l’amour comme un devenir, à chaque fois unique et singulier. Ainsi, verdroyer indique une singularité au voisinage de laquelle l’arbre se constitue. Mais être vert est un prédicat de l’arbre comme sujet constitué. Il en est de même dans le fait d’aimer. Cette comparaison cache sans doute une profonde mélancolie, une construction du temps consistant à ne pas pouvoir faire passer le passé. On y revient toujours, on regrette toujours l’amour précédent parce que se souvenant des « bons moments » on croit qu’un tel rappel les raniment et qu’ils sont en quelque sorte présents. On s’empêche de penser que même le bonheur partagé est un événement pur qui ne se répète pas, qui n’est pas une règle. Une fois passé, on ne peut pas y revenir si ce n’est en gardant bien nette ce qui sépare le passé du présent, ce que j’ai été de ce que je suis en train de devenir.


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