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Un récit d'Umar TIMOL (Île Maurice).

Par Ananda

 

L’HOMME QUI VOULAIT RIRE.

1.

Kemina me parle de sa vie. Je l’écoute à peine. Elle me ressasse tous les jours la même histoire. Je l’aime bien pourtant. Mais je crois qu’elle ne veut pas s’en sortir. Elle se complaît dans la souffrance. Sans doute parce que cela donne un sens à sa vie. Ou peut-être que je suis méchant. Enfin je ne sais plus. J’aimais avant être le confident de toutes ces dames. Depuis de l’eau ( et des rires ) ont coulé sous les ponts. Leurs confidences suscitent le plus profond ennui. Mais je l’écoute quand même. Où en sommes-nous ? Elle me parle pour la énième fois de ses déboires amoureux. Elle aime untel qui ne l’aime pas ou peut-être qui l’aime mais elle n’est pas tout à fait sûre. C’est loin d’être un drame quand on considère que mademoiselle a vingt ans mais a cet âge tout est toujours dramatique. Je ne sais plus quoi lui dire. Je me contente de murmurer des hmm très polis. Au fond il lui importe peu que je l’écoute ou pas. Elle a tout simplement envie de parler. Elle me demande toutes les dix minutes de lui suggérer des conseils. À vrai dire, il n’y a en tout et pour tout que deux options, rompre ou ne pas rompre. Tout est simple, bien plus simple qu’on ne le croit. Mademoiselle veut se morfondre dans sa mélasse amoureuse et elle ne veut pas entendre parler de mon théorème. Elle croit être une héroïne romantique. Parfois des pensées parasitaires s’immiscent ainsi dans ma tête. Une héroïne romantique, quelle belle blague. Je suis sur le point de pouffer de rire. Ce foutu rire dont je n’arrive pas à me débarrasser. Mais j’arrive à me retenir. Elle va croire que je suis fou ou que je ne la prends au sérieux et elle va se mettre à pleurer. Et je ne suis pas homme à faire pleurer des demoiselles. Et bientôt elle cesse de parler. Elle n’en peut plus. Je souffre trop. Tu es bien le seul à me comprendre. Puis, comme je m’y attendais, elle me dit les mots qui me réconcilient avec cet exercice quotidien, tu es un chou, un véritable chou. Ce mot a le pouvoir de rompre la monotonie, je suis un chou et mon cœur bat la chamade, je suis un chou et je me sens bien, je suis un chou et je suis un héros, je suis un chou, un chou, un véritable chou.

On se reverra demain. Je t’appelle ce soir. Bises. Bisous. Tu es trop chou.

2.

Chou. C’est sans doute un mot ou un légume qui me convient parfaitement. Je suis doux, gentil et sympathique. Je ne mêle pas des affaires des autres. Je garde mes opinions les plus radicales dans un coin perdu de ma tête. Je suis d’une extrême politesse. J’aime l’art, le cinéma et la musique. Je suis un sportif de très bas niveau mais sportif quand même. Je respecte la religion, l’état, les droits des animaux et des femmes, j’évite les conflits, j’aide les pauvres et je donne de l’argent aux orphelins. On considère que ma conversation est intéressante d’autant plus que je parle peu. Les hommes me trouvent cool et les femmes adorables. Je suis un fils modèle, j’ai fait de brillantes études, je suis haut fonctionnaire ( dans un lieu de bassesse je précise ), je ne bois pas, je ne fume pas, je regarde la télé mais jamais plus de deux heures et trois minutes pas jour. Mes fréquentations ne sont guère mauvaises, essentiellement des artistes qui crient à la révolution mais qui rêvent d’une révolution qui se ferait dans le confort de leur sofa. Je suis donc un veritable chou. Il faudrait peut-être m’attribuer un prix international, le prix du chou de l’année. Ou du siècle. Carrément.

Je n’y comprends plus rien.

Est-ce une maladie ? Je n’ose trop en parler à mes amis. J’ai failli aller chez un médecin mais qu’est-ce que je lui aurais dit, docteur je ne suis pas fou mais j’ai des crises de fou rire.

Il ne s’agit pas bien sûr de dramatiser. Il est aujourd’hui dans le monde des problèmes plus conséquents, Liverpool F.C n’a pas gagné le championnat depuis plus d’une vingtaine d’années et mon actrice préférée, que la pudeur m’interdit de nommer, n’est pas très jolie sans maquillage.

3.

Prenons un exemple. Hier je me suis rendu à Ebène. Pour ceux qui ne résident pas dans notre île paradis, Ebène est le lieu de notre nouvelle cybercité, en d’autres mots, la ville informatique du futur. J’ose croire que ma définition est bonne mais je ne suis pas doué pour ce qui est des définitions. Cybercité me semble, par ailleurs, grandiose. Mais il est vrai qu’à Maurice on a un talent assez particulier, qui est celui de s’inventer des titres grandiloquents, on ne compte plus le nombre de managers, de consultants ou d’experts. Le mauricien se prend généralement très au sérieux, le monde le prend moins au sérieux mais il ne s’en soucie guère. On dira que l’ironie n’est pas son fort. J’étais donc hier à Ebène et voilà que j’eclate de rire. Un rire tout à fait spectaculaire, qui mérite, à mon avis très modeste, de figurer dans le livre Guinness des records. Au fait, c’est une maison particulièrement laide qui a suscité mon rire. Une véritable monstruosité rose à mi-chemin entre le barbe à papa et un gâteau d’anniversaire pour un enfant débile. Mais qu’est-ce qu’on n’invente pas ? On pourrait se demander par quel tour de passe passe est-ce que des êtres humains, comme vous et moi, sans doute normalement constitués, qui mangent, boivent, secrètent de la sueur et des rêves, qui ont un minimum d’intelligence, parviennent à concevoir de telles œuvres ? Il est vrai qu’on ne discute pas des goûts et des couleurs mais il est des lois ou des critères esthétiques. Etant donné, par ailleurs, que cette maison n’est pas la progéniture d’un architecte avant-gardiste on se doit de conclure qu’elle est laide. Magnifique gerbe de rire qui a duré une bonne vingtaine de minutes. Non mais une maison barbe à papa. Qu’est-ce qu’on n’invente pas ? Hahahaha. J’étais devenu fou. Mais une douce et agréable folie. Sauf qu’il y avait un hic, ma copine, je n’ose dire ma fiancée, était assise à coté de moi. Son amour, je tiens à préciser, est aussi incommensurable que ses crises de nerf et je la sentais vivoter entre rage extrême et bonheur. Mais je suis parvenu finalement à me maîtriser. Etait-elle sur le point de me donner un coup de poing ou de m’embrasser ? Je ne saurais vous le dire. Comme quoi le fou rire peut être très dangereux.

Umar Timol

(à suivre)


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